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Rainbow Warrior :
Mitterrand a donné l'ordre
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Raison d'Etat

Cette révélation fracassante est signée de son ancien Premier ministre, Michel Rocard, qui s'est confié au journaliste Bruno Fay pour le livre "Complocratie". Extraits.

"Michel Rocard m’a donné rendez-vous dans son bureau de l’avenue des Champs-Elysées, à deux pas du palais présidentiel. (…) J’ai souhaité le rencontrer pour évoquer les limites de la raison d’Etat et recueillir son point de vue sur les « coups tordus » des services de renseignement. Je ne vais pas être déçu. 

- Avant tout chose, me dit-il, je crois qu’il serait utile de commencer par définir la notion de raison d’Etat…
Michel Rocard me donne le sentiment d’avoir préparé notre entretien. Je le laisse poursuivre.

- Il faut bien faire la guerre, même si on ne l’aime pas. Et il arrive que des méthodes employées par des adversaires, internes ou externes, obligent l’Etat à des conduites prohibées par son code interne. La raison d’Etat, en gros, c’est ça. Et comme le fait d’utiliser des méthodes efficaces qui n’ont pas fait l’objet d’une approbation démocratique explicite peut être mal compris par l’opinion publique, voire désapprouvé, la raison d’Etat conduit à préférer la discrétion, sinon le secret. Aujourd’hui, hélas, la raison d’Etat est considérée comme couvrant des fautes, et c’est un drame épouvantable. Parce que lorsque nous sommes menacés ou attaqués dans des conditions non légales, je ne crois pas que l’on puisse abandonner l’idée de ne pas répondre au niveau de la pertinence des moyens employés. C’est-à-dire, pas toujours légalement.

(…)

- Monsieur le Premier ministre, vingt-cinq ans après, diriez-vous que le sabotage du Rainbow Warrior relève aussi de la raison d’État ?

- Naturellement, oui. Il y avait raison d’État dans le fait d’empêcher Greenpeace d’arriver à ses fins puisqu’il y avait une menace explicite et rendue publique sur la possibilité de dérouler tranquillement, sereinement et pacifiquement une activité qui consistait à faire des essais nucléaires. Mais le drame, là, c’est la maladresse de l’exécution. Le drame du Rainbow Warrior, c’est la connerie de l’exécution.

Je note scrupuleusement ses déclarations.
- Vous voulez que je vous raconte une histoire? me demande- t-il alors.
- Allez-y..., lui dis-je en vérifiant que le dictaphone tourne toujours.
- Dans ma longue vie publique, j’avais noué des relations avec Alexandre de Marenches, le chef de nos services spéciaux, nommé en 1970 patron du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage [SDECE]. Nous étions devenus amis, si bien que je l’ai revu pendant l’affaire du Rainbow Warrior. Il me dit : "Quelle sottise, quelle sottise !". Je lui réponds : "Oui, mais c’était embêtant de voir Greenpeace essayer d’empêcher le déroulement des essais nucléaires et par conséquent on ne pouvait pas laisser faire".  Il me répond : "Bien entendu, mais tout est dans la manière. D’autant plus que ce n’est pas la première fois que l’État français s’en prend à Greenpeace !". Il me révèle alors qu’en 1973 Greenpeace avait déjà tenté de nous empêcher de mener nos essais nucléaires. Une quinzaine de petits bateaux, dont pas mal de voiliers, et quelques vedettes à moteur étaient partis d’un peu partout dans le Pacifique pour rejoindre Mururoa et essayer de s’interposer pour nous rendre les essais impossibles. En se tapant sur les cuisses de rire, Alexandre de Marenches m’explique : "C’est fou, la malchance! Il y a au moins deux bateaux qui ont perdu leur hélice en mer, il y en a trois autres qui n’ont jamais pu démarrer, on avait trouvé du sucre dans l’essence, quatre autres ont cassé... bref, aucun n’est arrivé !". Rien, pas d’accident, pas de blessure, pas d’explosion. C’est une opération qui a été menée sous la raison d’État et personne ne s’en est aperçu. Ça, c’est du beau travail !".

Michel Rocard parle sans langue de bois. J’en profite pour l’interroger plus directement sur les responsabilités du président de la République en 1985. Une question jamais tranchée qui taraude toujours Edwy Plenel, journaliste au Monde à l’époque, comme on peut le lire dans une interview qu’il a donnée vingt ans plus tard à Greenpeace. Je me lance.

- Pour revenir au Rainbow Warrior, savez-vous si François Mitterrand était au courant de l’opération ?

- Il n’était pas au courant de l’extrême détail et des risques de l’opération. En revanche, c’est lui qui a voulu, qui a donné l’ordre que Greenpeace soit mis dans l’incapacité de faire ça. Oui, ça c’est clair ! Donc, au fond, vous devriez avoir un chapitre "Du mauvais usage de la raison d’État pour des raisons de mauvaises techniques", ajoute-il goguenard. C’est le mensonge sur les armes de destruction massive en Irak, c’est le Rainbow Warrior, etc."

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