Comment Pétain est devenu le point Godwin de la politique française<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Comment Pétain est devenu le point Godwin de la politique française
©

Accusations à répétition

Luc Chatel a accusé Vincent Peillon d'avoir paraphrasé Philippe Pétain sur la morale laïque qu'il veut promouvoir à l'école. Et de se demander pourquoi les hommes politiques français ne cessent de s'accuser de pétainisme.

Cécile  Desprairies

Cécile Desprairies

Cécile Desprairies est auteur et chargée de cours à l'Université Paris V Sorbonne et à l'Université de Nantes. Elle a écrit l'héritage de Vichy : ces 100 mesures toujours en vigueur ainsi que Paris dans la collaboration

Voir la bio »

Entre  hommes politiques français, qu’ils soient de droite ou de gauche, il existe une arme, dégainée de temps à autre, avec plus ou moins de bonheur : traiter l’autre de « pétainiste », le comparer  à Pétain – rien de moins.

Pour cela, il suffit d’entendre un mot ou une expression extrait d’un discours prononcé par Pétain afin de faire mouche. Le maréchal Pétain, rappelons-le, porte la responsabilité de ce qui fut alors l’État français, période d’Occupation (1940-1944), mais aussi de Collaboration proclamée avec le IIIe Reich.

Oui,  l’appel au « redressement intellectuel et moral du pays »  a bien été prononcé par Philippe Pétain, alors président du Conseil, le 25 juin 1940. Sa « plume » est alors Emmanuel Berl, écrivain et journaliste. Berl appartient à la grande bourgeoisie juive, il est apparenté à Bergson et Proust. Auteur de formules fortes dont abondent les discours prononcés par Pétain les 23 et 25 juin 1940, celles-ci restent dans les mémoires.

Ainsi, « Je hais les mensonges qui vous ont fait tant de mal », c’est bien Pétain, mais c’est d’abord Berl ;

« La terre, elle, ne ment pas », c’est aussi Berl, prononcé par Pétain ;

Et « le redressement intellectuel et moral du pays » est également le résultat du tandem de juin 1940.

Mais ceci n’est pas tant le problème. Le problème, c’est que la grande majorité de la population française était alors pétainiste, et que la France d’aujourd’hui refuse de regarder cet héritage en face.

Peut-être peut-on creuser un peu ce fameux discours de Pétain qui fait tant couler d’encre. « Le redressement intellectuel et moral du pays », c’est aussi une place et un statut pour l’enfant délinquant, démarche visant davantage à protéger l’enfant qu’à le réprimer. D’où le rôle de l’éducation -  où l’on retrouve notre ministre Peillon, accusé par l’ancien ministre Chatel - et de la prévention, essentielles. L’enfant doit être d’abord guidé et rééduqué (voir le « redressement » du pays).

Ainsi sous Vichy, les « lois Alibert » d’août 1940, plaçant l’enfant au centre de la réflexion pénale, lui donnant le droit à l’irresponsabilité, en découleront. Ce sont des lois sur lesquelles la France vit encore largement aujourd’hui.

Mais Raphaël Alibert, l’auteur de ces lois, est aussi le collaborateur antisémite, le signataire (entre autres) du statut des Juifs du 4 octobre 1940.

Si on touche à un fil de Vichy, c’est tout l’écheveau qui se dévide.

Donc, attention Pétain, sujet sensible. Les hommes politiques se jettent à la figure des accusations, appliquant, sans toujours le savoir la « loi de Godwin » de la politique française. Plus une discussion dure longtemps, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Hitler (version française : Pétain et la Collaboration) approche de 1. Ça y est, nous avons atteint ce point.

Mais lisons d’abord les textes. Et si, au lieu de s’envoyer des anathèmes, on prenait la juste mesure de cet héritage de Vichy ? « Je me suis efforcé de ne pas rire des actions des hommes, ni de les déplorer, ni de les mépriser, mais de les comprendre » écrit Spinoza, dans le Traité de la réformede l'entendement (1665). Peillon est philosophe, voilà qui ne devrait point lui déplaire. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !