"L'Eglise a 200 ans de retard" : ce qui se cache derrière la phrase posthume explosive du cardinal Martini<!-- --> | Atlantico.fr
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Le cardinal Carlo Maria Martini, ancien archevêque de Milan, est mort vendredi à l'âge de 85 ans.
Le cardinal Carlo Maria Martini, ancien archevêque de Milan, est mort vendredi à l'âge de 85 ans.
©Reuters

A quand la réforme catholique ?

Avec le décès du cardinal Martini, l'Eglise catholique perd l'un des plus fervents représentants de sa mouvance progressiste. Sa dernière interview accordée au Corriere della Serra pointe du doigt une Eglise en panne de renouveau. Mais ce renouveau est-il vraiment possible ?

Bernard Lecomte

Bernard Lecomte

Ancien grand reporter à La Croix et à L'Express, ancien rédacteur en chef du Figaro Magazine, Bernard Lecomte est un des meilleurs spécialistes du Vatican. Ses livres sur le sujet font autorité, notamment sa biographie de Jean-Paul II qui fut un succès mondial. Il a publié Tous les secrets du Vatican chez Perrin. 

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Atlantico : Dans une interview posthume au Corriere della Serra, le cardinal Martini, qui vient de mourir, a fustigé les positionnements d’une Eglise de moins en moins en phase avec les croyants : "L'Eglise a 200 ans de retard ! Pourquoi ne se réveille-t-elle pas ? Avons-nous peur ?" L’Église a-t-elle réellement peur de changer par rapport aux bouleversements sociaux de ces dernières années ?

Bernard Lecomte :  L’Eglise, par nature, n’aime pas le changement. Le dogme, la doctrine et la tradition se méfient beaucoup des modes. Depuis 2 000 ans, l’Eglise catholique est partagée, grosso modo, entre ceux qui considèrent qu’elle est dépositaire d’une "révélation" divine donc intangible, et que c’est au monde de se plier à son enseignement ; et ceux qui pensent qu’elle doit s’adapter au monde pour mieux lui transmettre, justement, la "bonne nouvelle" de l’Evangile. Le cardinal Ratzinger incarne plutôt la première tendance ; feu le cardinal Martini, plutôt la seconde. Mais ces deux démarches, parfois contradictoires, incarnent une Eglise composite, multiple, très diversifiée, à l’image de la communauté humaine dont elle est l’émanation.

Avec Benoît XVI, c'est donc la tendance de l'Eglise intangible qui dominent. Dans ce cas, les convictions du cardinal trouvaient-elles suffisamment d'échos au sein de l'Eglise ?

Des échos ? Oui, bien sûr : beaucoup de chrétiens, notamment en France, espéraient même que Martini deviendrait pape après Jean-Paul II. Il aurait été le premier pape jésuite ! Ratzinger et Martini n’étaient pas d’accord sur tout, loin de là, mais ils se connaissaient bien. Rappelons-nous que c’est précisément Jean-Paul II, dans les années 1979-80, qui avait découvert et promu ces deux personnalités exceptionnelles. A la mort de Jean-Paul II, en 2005, Ratzinger et Martini furent tous les deux papabili, mais Martini refusa qu’on vote pour lui à cause de ses graves problèmes de santé. On gardera de ce conclave l’image des deux hommes en pleine conversation, bras dessus bras dessous, juste avant le scrutin décisif.

L'Eglise catholique est-elle capable de se repenser et d'emprunter la voie de la réforme comme le voulait le cardinal Martini ?

On pourrait en douter aujourd’hui, sûrement, mais elle en a donné la preuve il y a exactement 50 ans avec le concile Vatican II, initié par le pape Jean XXIII. Le défunt cardinal Martini avait d’ailleurs appelé, dans un discours célèbre de 1999, à la convocation d’un nouveau concile – même s’il n’avait pas utilisé le mot – pour y traiter de thèmes comme la femme, les laïcs, la sexualité, le mariage, l’œcuménisme, etc.

Si les réformes voulues par le cardinal venaient à être mises en œuvre, quel serait leur impact sur les croyants ? Leur nombre s'en trouverait-il renforcé ?

Pas sûr ! Une grande partie des fidèles, notamment dans le Tiers monde, se méfient des "réformes" prônées par les chrétiens occidentaux, dont les préoccupations leur paraissent parfois futiles ou décalées. Il reste que certains diagnostics émis par le cardinal Martini dans sa dernière interview – je pense au côté vieillot et bureaucratique de l’Eglise – sont largement partagés dans toute la chrétienté.

Si rien ne change, quel rôle l'Eglise peut-elle encore espérer tenir dans le monde aujourd'hui ?

L’Eglise n’est ni un parti politique en mal d’électeurs, ni une chaîne de télévision courant après l’audimat ! Au départ, c’est une douzaine de types que Jésus a invités à "évangéliser les nations". Aujourd’hui, c’est une communauté d’un peu plus d’un milliard d’individus dont le nombre croît tous les ans, même s’il diminue dans nos pays d’Europe. Ce n’est donc pas le chiffre de ses fidèles qui compte, mais la portée de son message spirituel et moral, laquelle varie beaucoup selon les sujets, les continents et les époques.

Propos recueillis par Priscilla Romain

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