Pire que celle de 1929 ? La crise de 2008 quatre ans après<!-- --> | Atlantico.fr
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Et si la crise de 2008, qu'on appelle "la très grande récession", était pire que celle de 1929 ?
Et si la crise de 2008, qu'on appelle "la très grande récession", était pire que celle de 1929 ?
©Reuters

Nouveaux défis

Pourquoi le monde n'est-il plus le même ? Premier volet : les chiffres et les politiques économiques.

Frédéric  Farah

Frédéric Farah

Frédéric Farah est économiste et enseignant à Paris I Panthéon Sorbonne.

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Eté 2007, une nouvelle crise financière vient au-devant de la scène et fait apparaître un nom inconnu pour le grand public : les subprimes. Un an plus tard, l’effondrement de la banque américaine Lehman Brothers  apparaît comme le symbole de la crise aujourd’hui nommée "la très grande récession". Depuis, la crise s’est déplacée et l’épicentre et se trouve en Europe qui probablement risque de voir à moyen ou long terme disparaître sa dernière réalisation économique : la monnaie unique. Aujourd’hui, la zone euro gagne du temps à défaut d’apporter une solution durable.

La comparaison avec 1929 s’est aussi naturellement imposée. Tout comme en 1929, certains n’ont rien voulu voir venir ou ont cru imprudemment à la poursuite du boom. La lecture roborative de J. K. Galbraith , La crise de 1929 anatomie d’un désastre est  instructive et nous rappelle que le célèbre Banquier Charles Mitchell annonça le 15 octobre 1929 : "les marchés , en général, sont  dans une condition saine(….). Les valeurs ont une base solide dans la prospérité générale de notre pays". Sans compter la déclaration de l’économiste Irving Fisher : "je compte voir dans quelques mois le marché bien plus haut qu’il n’est aujourd’hui". 

Mais en 1929, l’aveuglement au désastre aurait pu encore se comprendre, même si l’histoire était déjà riche d’enseignements, que l’on remonte jusqu’à la crise des Tulipes au XVIIème siècle ou dans le cas américain à la terrible crise de 1907. Nous contemporains, nous avions pour nous les livres d’histoire, nous savions que les marchés n’étaient pas efficients, nous savions que les marchés agissent de manière grégaire. Depuis 1987, le système financier connaissait des secousses violentes : krach de 1987, crise mexicaine de 1994, Enron et l' e-Krach en mars 2000, Enron en 2001. Autant de signes avant-coureurs des dérèglements d’une finance qui n’avait de cesse de montrer ces errances.

Alors quelle heure est-il dans le siècle ? Comme l’a dit en son temps Victor Serge. En 2012, le monde ne s’est pas encore enfoncé dans un protectionnisme radical, même s’il était déjà à l’œuvre bien avant la crise. Notre monde est protectionniste, mais il obéit à d’autres formes que celui des années 1930. Le libre échange est loin de faire l’adhésion, malgré un discours qui le promeut. En 1933, le panorama était en effet autrement plus inquiétant, les échanges extérieurs avaient connu une chute significative. En 1929, les échanges extérieurs des Etats Unis étaient ainsi passés de 9,5 millions de dollars à 2,9 millions en 1932 ; en France de 4 à 2 millions, en Grande Bretagne de 8,5 à 3,5 et en Allemagne de 6,5 à 2,5. La guerre monétaire battait aussi son plein.

Mais au-delà d’une comparaison termes à termes entre les deux crises,  pour nous il apparaît nécessaire de porter le regard ailleurs. En 1933, la mise en œuvre du premier New deal, l’échec du plan Laval en 1935 ont progressivement mis à mal le dogme économique de l’équilibre budgétaire. La poursuite de cet objectif représentait l’essentiel de l’orientation politique économique : "above all , we must balance the budget" disaient les experts financiers américains de l’époque. On continuait en effet à penser à l’époque que la confiance dans les finances publiques était indispensable.  La révolution keynésienne était alors en marche pour proposer un autre objectif celui du plein emploi et le soutien de l’activité. Il lui a fallu attendre l’après-guerre pour en voir tous les effets.

Aujourd’hui nous sommes dans un moment profondément anti-keynésien, et l’austérité à l’œuvre en Europe a pour but de liquider le dernier souvenir d’une inspiration keynésienne : l’Etat providence. Aujourd’hui renouer avec le keynésianisme, c’est-à-dire une interprétation de la pensée de Keynes semble difficile à mettre en œuvre au niveau européen. Et puis le keynésianisme n’apparaît pas écologiquement compatible en raison de son encouragement à la consommation.

Quatre ans après, le contrôle de la finance est encore reporté à demain et la loi Dodd Franck américaine n’aura probablement pas le même destin et les mêmes effets que le Glass Steagall act. En somme, la crise à l’œuvre a connu un bref moment où le changement radical a semblé possible, un moment bref de septembre 2008 à 2009. La finance était à genoux, la zone euro abandonnait ses dogmes et mettait en œuvre une modeste relance concertée aux effets certains. Depuis, la logique déflationniste en Europe domine, et les Etats Unis s’évertuent sans vraiment y parvenir à relancer l’activité. Les émergents, eux, s’essoufflent. 

Ce qui se défait sous nos yeux, ce sont les enseignements et les remèdes de la crise des années 1930. Cette remise en cause avait commencé à partir des années 1980, aujourd’hui elle s’accélère. La finance déréglée garde le haut de l’affiche, l’Etat social qui amortit les effets de la crise est désormais sous le feu roulant des critiques, la recherche malheureuse de l’équilibre budgétaire à n’importe quel prix produit des effets désastreux sur l’activité, et la construction européenne rempart contre le retour des nationalismes se délite dangereusement. Keynes au moment de la célèbre conférence de Bretton Woods de juillet 1944 affirmait que le monde ne souhaitait pas revenir à la situation de 1939. Tout comme en 1919, tout un chacun souhaitait  retrouver la stabilité de 1914.

Aujourd’hui le drame se situe peut être dans cette envie de revenir avant 2007, comme si rien n’avait eu lieu. Trois défis attendent le monde : la crise écologique, les inégalités et le chômage de masse, et les dérèglements de la finance. Ni le retour à 2007, ni une réplique du keynésianisme ne pourront y répondre. Il est l’heure certainement d’un green deal et d’un deal social à l’échelle du monde, autrement le capitalisme entrera dans des convulsions imprévisibles. N’oublions pas qu’une crise montre ses effets toujours avec retard. Le vrai visage de la crise des années 1930 est apparu dix ans après : la guerre.

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