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Nouvel Obs, Pigasse, Montebourg, Moscovici : ce cocktail explosif de mélange des genres tellement français
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Confusion

Quand la banque Lazard doit conseiller Bercy pour la création de la Banque publique d'investissement, les amitiés d'hier soulèvent des questions. Difficile pour le citoyen français de garder une lecture claire des liaisons qui relient banquiers, politiques et journalistes dans un mélange des plus complexes.

Benjamin Dormann

Benjamin Dormann

Benjamin Dormann a été journaliste dans la presse financière et trésorier d'un parti politique. Depuis 18 ans, il est associé d'un cabinet de consultants indépendants, spécialisé en gestion de risques et en crédit aux entreprises. Il est executive chairman d'une structure active dans 38 pays à travers le monde. Il est l'auteur d’une enquête très documentée : Ils ont acheté la presse, nouvelle édition enrichie sortie le 13 janvier 2015, éditions Jean Picollec.

Le débat continue sur Facebook : ils.ont.achete.la.presse et [email protected].

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Le Nouvel Observateur vient de publier une enquête qui fait grand bruit. Elle nous explique que Matthieu Pigasse venait d’obtenir un mandat du gouvernement choisissant la banque Lazard - qu’il dirige - pour conseiller la nouvelle Banque publique d’investissement créée par l’Etat. L'hebdomadaire souligne malicieusement qu’"au moment où Matthieu Pigasse obtenait ce mandat, il nommait Audrey Pulvar, la compagne d’Arnaud Montebourg, à la tête du magazine « Les Inrockuptibles » dont il est propriétaire à titre privé".

Alors, réel scoop journalistique, fruit d’un travail vérifié ? - Remarque perfide, « fausse et désobligeante » pour reprendre les termes du tweet immédiatement diffusé par le Ministre Arnaud Montebourg - ou tempête dans un verre d’eau, "rien d’extraordinaire de faire tourner les mandats pour que ce ne soient pas toujours les mêmes", comme l’a commenté Bercy ?

Il est de plus en plus difficile de voir clair dans un monde où tout devient théâtral, où chacun bluffe de plus en plus comme au poker et crie si facilement à l’indigné, au vertueux et à l’indépendant calomnié, en guise de seule réponse à ceux qui demandent information transparente, débat contradictoire et authenticité des propos. Un jour, la décision est jugée "bonne" par le gouvernement, le lendemain, selon le sens du vent, de l’indignation populaire ou du souci de son image personnelle, un ministre déjuge cette décision soudainement qualifiée de "mauvaise".

Du coup, le lecteur se retrouve déboussolé. Il est à la fois noyé sous le flot ininterrompu des communiqués de presse, réponses enflammées sur Twitter, indignations et autres menaces de poursuites en diffamation, dont personne ne sait ce qu’elles deviendront au final. En même temps il manque de plus en plus de vraie information, se retrouvant dans une position de plus en plus complexe pour se faire sa propre opinion. Pour se faire une opinion sur ce débat du jour :

  • Il est utile de connaitre le conflit de longue date entre Matthieu Pigasse et le Nouvel Observateur. Rappelons juste à ce sujet que lorsque Pascale Clark demanda à Matthieu Pigasse sur France Inter (pour qu’il explique sa motivation à racheter les Inrockuptibles) : "Politiquement parlant, vous trouvez que Le Nouvel Obs ne remplit pas sa mission, son office ?". Réponse cinglante de Pigasse : "Vous somnolez avec Le Nouvel Obs… nous avons aujourd’hui des hebdos très institutionnalisés, dans l’entre soi, à mon sens un peu vieillissants, qui ont des marronniers... Je trouve que Le Nouvel Obs a un côté “Ancien Obs”[…] il y a un côté très dans l’entre soi… C’est un journalisme que je qualifierai parfois de complaisant ou de connivence".


Bref, avant d’être le banquier de Lazard, pour le Nouvel Obs, Matthieu Pigasse est celui qui les a traités de « vieillards somnolents, complaisants et connivents ». La vengeance est un plat qui se mange froid...

  • Il faut également garder en mémoire qu’avant d’être banquier, Matthieu Pigasse est le concurrent du Nouvel Observateur dans la presse. Il a battu ses dirigeants en finale pour le rachat du groupe le Monde, avec des procédés qui n’ont probablement toujours pas été digérés à ce jour (décris en détails dans l’enquête que j’ai publiée).

  • Enfin, il faut savoir que Matthieu Pigasse n’est pas juste un banquier, mais également un homme de presse, choisi par le gouvernement. Il fût avant cela l’ancien conseiller technique au cabinet des finances de DSK et et l’ex directeur adjoint de cabinet de Laurent Fabius, n°2 du gouvernement actuel qui vient de lui confier ce mandat. Il s’est d'ailleurs revendiqué encarté au PS.  Il est de plus membre de multiples réseaux, malgré sa déclaration théâtrale pour lectrices naïves de Elle, s’il en est : "Je n’appartiens à aucun réseau, à aucune association, à aucun club". Il est notamment membre de Terra Nova, le think-tank qui servit de tremplin à la carrière personnelle d’Arnaud Montebourg, avec lequel ce dernier organisa - pour ne pas dire imposa - les primaires du PS. Terra Nova, ce think tank « indépendant », dont le groupe de travail Médias était alors co-présidé par une certaine Audrey Pulvar, aux côtés de Louis Dreyfus, (bras droit de Matthieu Pigasse dans la presse, qu’il a aujourd’hui promu président du directoire du Monde) et constitué de 4 membres. Parmi eux, David Kessler, autre haut fonctionnaire « indépendant » de la presse qui, après avoir exercé ses talents pour Lionel Jospin à Matignon, puis pour Bertrand Delanoë à la Mairie de Paris, fut nommé par Matthieu Pigasse directeur général de l’hebdomadaire les Inrockuptibles et directeur de la publication du site Huffington Post ... avant enfin d'être nommé par François Hollande à l’Elysée au lendemain de son élection, en qualité de conseiller Médias du président. Il libéra à cette occasion son poste de direction générale des Inrockuptibles, remplacé par la présidente de son groupe de travail Médias de Terra Nova : Audrey Pulvar ...


Bref, Matthieu Pigasse est l’illustration des acteurs de cette nouvelle presse parisienne qui est non plus « contre-pouvoir », mais, pour parodier Sacha Guitry, désormais « tout contre le pouvoir ». Il ne reste plus à Matignon qu’à créer une commission de vigilance pour continuer de s’assurer que la presse reste bien indépendante des amis de Nicolas Sarkozy. Car tous ces gens sont très attachés à l’indépendance de la presse et à la liberté d’expression, qu’on se le dise !

Dans ce contexte, difficile de se forger une opinion sur l’article du Nouvel Obs sur le mandat obtenu gouvernemental par la banque Lazard. Le Nouvel-Obs informe t-il ? Et le fait-il sur le banquier, sur le politique ... ou sur leur concurrent de la presse, sur l’individu avec qui ils ont des comptes  à régler ? Il y a trop de mélange des genres pour qu’on puisse continuer à y voir clair.

Il est grand temps de retrouver une presse « laïque », qui sépare les pouvoirs et non pas cette nouvelle presse social-libérale dans laquelle un dirigeant de presse est aussi un banquier d’affaires issu des ministères qui emploie la compagne d’un ministre d’un pouvoir qui le fait travailler, avec la bénédiction des rédactions. STOP.

Il nous faut retrouver au plus vite une presse qui informe plus qu’elle ne milite, qui initie des débats contradictoires au lieu de recopier le plus souvent des dépêches AFP. Et qui ne se retrouve pas elle-même engluée au cœur des conflits d’intérêts qu’elle prétend dénoncer.

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