Obama, cible de la guerilla médiatique des forces spéciales de l'armée <!-- --> | Atlantico.fr
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Les forces spéciales américaines ont pris part à la campagne présidentielle aux Etats-Unis et semblent avoir entamé une guerre médiatique.
Les forces spéciales américaines ont pris part à la campagne présidentielle aux Etats-Unis et semblent avoir entamé une guerre médiatique.
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"C'était pas ma guerre !"

D'anciens commandos qui publient une vidéo à charge contre Obama, un des membres de l'opération contre Ben Laden qui publie sa version de l'histoire... En pleine campagne, les forces spéciales américaines semblent devenir un véritable vecteur d'opinion.

Jean-Dominique Merchet

Jean-Dominique Merchet

Jean-Dominique Merchet est journaliste à L'Opinion. Il a travaillé pendant vingt ans sur les questions militaires.

Auteur du blog Secret Défense, il a récemment publié Une histoire des forces spéciales (Jacob-Duvernet / 2010) et de La mort de Ben Laden (Jacob-Duvernet / 2012).

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Atlantico : Aux Etats-Unis, des acteurs d'un genre étonnant interviennent dans plusieurs débats sur la politique étrangère et militaire du pays. Des commandos issus des forces spéciales bénéficient d'une forte médiatisation, les uns après la diffusion d'un documentaire très à charge envers Barack Obama, l'autre publiant leur version de l'élimination d'Oussama Ben Laden. Pourquoi les Américains s'intéressent-ils à ce point à ce que peuvent raconter une poignée de soldats ?


Jean-Dominique Merchet : Je n'ai pas beaucoup de souvenirs de précédents de ce type. Des SAS britanniques avaient à plusieurs reprises choisit de s'exprimer et de communiquer, notamment au travers de livres, après la guerre des Malouines ou du Golfe. Des témoignages qui, à l'époque, avaient été instrumentalisés par des politiques cherchant à préserver les budgets militaires.

Nous sommes ici dans un contexte bien particulier. La campagne pour la présidence américaine est particulièrement violente, de part et d'autre. Démocrates et Républicains se jettent des tombereaux d'ordures inimaginables chez nous. Les témoignages de ces soldats sont un élément parmi d'autres. Il vise le seul succès de Barack Obama sur la scène internationale. Ce dernier a déçu : alors qu'il était très attendu, il n'est pas parvenu à s'imposer comme un grand président de la trempe d'un Reagan, d'un Kennedy, d'un Wilson ou d'un Nixon. Contrairement à ceux-ci, Obama n'aura pas marqué l'histoire internationale… en dehors de cet énorme succès contre Ben Laden.

Au fond, quelle est la polémique ? De dire que Ben Laden a été tué ? Les Républicains n'auraient-ils pas fait la même chose s'ils en avaient eu l'occasion ? Je ne vois pas en quoi ce débat peut mettre les Démocrates en difficulté. On pourrait imaginer une prise de position de la part de l'extrême gauche, sur des valeurs droits de l'hommiste et humanistes … mais certainement pas de celle des conservateurs Républicains sur le fait que l'Amérique tue ses ennemis !

Comment expliquer le crédit qui est accordé à ces hommes ?


Tout cela renvoie à l'imaginaire collectif. Les forces spéciales font aujourd'hui partie prenante d'un mythe nourri par le cinéma hollywoodien et largement entretenu par l'armée elle-même ! Les films, les séries et même les livres d'action ont donné naissance à une image héroïque de ces hommes. Les Navy SEALS sont tout simplement les vrais Batman ou Superman d'aujourd'hui.

L'admiration qui entoure les forces spéciales, aux Etats-Unis, a d'ailleurs remplacé celle qui caractérisait les pilotes en d'autres temps. Ils sont devenus les héros là où les enfants d'hier prenaient comme figure de héros les cosmonautes ou les pilotes de chasse. L'ancien candidat des Républicains, John McCain, avait d'ailleurs été aux commandes d'avions lors de la guerre du Vietnam. Aujourd'hui, les pilotes, tout le monde s'en moque. Le fantasme vise dorénavant ces supers guerriers, qui sortent de l'eau avec toute une flopée de gadgets.

L'amiral McRaven, qui commande les forces spéciales américaines, a exprimé ses craintes face à ces prises de position. Quel est le risque, d'un point de vue militaire ?

Il faut relativiser. L'auteur de ce nouveau livre sur Ben Laden viole clairement les engagements qu'il a pris. Mais vu le pactole qu'il va toucher, la tentation est grande. Il n'a pas respecté l'éthique militaire a laquelle il a souscrite et, à mon humble avis, il n'a pas dû se faire que des amis en écrivant cet ouvrage : ses anciens camarades ne doivent pas tous être optimistes quand à voir leurs exploits ainsi exposés.

La vraie question à se poser, c'est de savoir s'il révèle des secrets. Les vrais secrets, ce ne sont ni l'opération en elle-même, ni le déroulement des 35 minutes de raid sur la maison de Ben Laden. Il ne faut pas surestimer l'ampleur d'une opération comme celle-ci, au delà de sa portée symbolique. Par contre, ce qui est vraiment secret et qui poserait problème si des gens parlaient, ce serait de savoir comment les Américains ont appris où se trouvait leur ennemi juré. De quelle manière l'a t-on retrouvé ? Un homme qui raconte comment il a tué Ben Laden ne révèle pas grand chose de stratégique. Un homme qui révélerait comment il a localisé Ben Laden taperait dans un tout autre registre : que pourrait-il bien avoir négocié ? Et avec qui ? Ce sont là que se trouvent les vrais secrets, en amont et en aval de l'opération. Je rappellerais que nous ne savons toujours pas ce que pouvaient bien contenir les documents récupérés dans le repère de Ben Laden.

Dans l'opération en elle même, le seul secret qu'il y avait, c'était les technologies de l'hélicoptère qui s'est crashé le soir de l'opération. Si l'auteur dévoilait la composition de la peinture de cet appareil, alors là nous aurions une véritable révélation.

Les militaires râlent toujours un peu pour dire qu'il ne faut pas parler. Mais je n'ai pas l'impression que cet ouvrage puisse avoir des conséquences énormes. Il y aura certainement un procès, ne serait-ce que pour dissuader d'autres soldats de faire pareil : le Pentagone serait bien ennuyé de voir tous les membres à tour de rôle écrire leur petit bouquin pour arrondir les fins de mois, du pilote de l'hélicoptère au maître chien. Le commandement doit vouloir appuyer sur la pédale de frein et arrêter les frais.

Pourrait t-on imaginer des membres des forces spéciales françaises qui prendraient de telles positions ou publieraient de tels témoignages ?


Tout dépend de ce que l'on a à raconter. N'oublions pas que nous parlons ici de la mort de Ben Laden : ce n'est pas rien ! Ce n'est pas l'affaire de la grotte d'Ouvéa qui, chez nous, a certes déclenché une certaine polémique sans pour autant être aussi retentissante. Le récent film de Mathieu Kassovitz sur ce sujet a d'ailleurs été un bide total.

Si nous avions des opérations d'une importance aussi cruciale que le raid contre Ben Laden, cela pourrait faire autant de bruit.


Propos recueillis par Romain Mielcarek

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