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Yasser Arafat empoisonné par des champignons ? Autopsie d'un mensonge complaisamment repris par les médias
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Sombre affaire

Un "rhumatologue" français accuse les Israéliens d'avoir fait ingurgiter des amanites phalloïdes au leader palestinien Yasser Arafat. Cette erreur a été reprise en boucle dans la presse francophone soulevant une véritable tempête médiatique mais la vérité serait autre.

Karl Wilner

Karl Wilner

Karl Wilner est journaliste.

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C'est l'un des feuilletons de l'été comme la presse française les apprécie lorsque l'actualité tourne un peu au ralenti : le prétendu mystère de la mort d'Arafat, relancé au mois de juillet dernier, sept ans après la mort du leader palestinien à l'hôpital militaire Percy de Clamart. Hier, le parquet de Nanterre a ajouté sa pierre à l'édifice en ouvrant une information judiciaire à la suite de la plainte pour "assassinat" déposée par Souha Arafat. La veuve de Yasser Arafat, qui s'est soudainement réveillée, affirme vouloir "toute la vérité" sur les causes de la mort de son défunt mari. A cet égard, il n'y a pas de raison de douter de la bonne volonté de l'ex-Première dame de Palestine, même si elle a, des année durant, choisi de garder secret le rapport médical du leader palestinien que lui avaient remis en main propre les médecins militaires de l'hôpital Percy. 

 A l'appui de sa plainte, Mme Arafat a beau jeu de pouvoir s'appuyer sur les "révélations" diffusées début juillet par Al-Jazeera. Selon une reportage de la chaîne qatarie, des traces de polonium auraient été retrouvés sur des effets personnels de Yasser Arafat. Mais cette piste d'un empoisonnement au moyen d'une substance radioactive utilisée par certains services secrets n'a suscité que quelques haussements d'épaules.

Des médecins toxicologues ont souligné que les symptômes dont souffrait Arafat étaient fort éloignés de ceux provoqués par le polonium. D'autres ont encore ajouté que le polonium est présent un peu partout à l'état naturel et qu'il suffit que les vêtements de Yasser Arafat confiés par sa veuve à un laboratoire d'analyse aient séjourné quelques années dans une cave pour que laborantins y retrouvent des traces de cette substance. 

Puis, une nouvelle anicroche a surgi rendant encore un peu plus ardue l'écriture d'un roman à suspens sur le mystère de la mort du Raïs palestinien: à la mi-juillet la fondation Arafat, dirigée par le neveu de Yasser Arafat, met le fameux rapport médical en ligne sur son site. Dès le 1er août, "Le Figaro" est le premier journal à exploiter le document et le soumet à l'expertise de médecins réputés qui livrent leur diagnostic. Certains évoquent une atteinte hépatique grave peut-être consécutive à un abus de médicaments mais excluent totalement l'hypothèse d'une mort par irradiation due au polonium

C'est à notre confrère Slate.fr qu'est revenu hier le mérite d'avoir ouvert une nouvelle piste conduisant à la thèse de l'empoisonnement. Reprenant à son tour le rapport médical, Slate l'a livré au jugement du Pr Marcel-Francis Kahn, ancien chef du service de rhumatologie de l'hôpital Bichat (Paris), aujourd'hui à la retraite. Après avoir fait litière de l'hypothèse du polonium dont il concède qu'elle "ne tient pas la route", Marcel Francis-Kahn, tel un médecin de Molière, a avancé une explication autrement plus savante: «Tout collerait très bien avec un empoisonnement par une des toxines de l’amanite phalloïde ou du cortinaire des montagnes. On y trouve la facilité d’administration, les premiers symptômes retardés, la CIVD, l’évolution prolongée (jusqu’à 30 jours pour le cortinaire et ses toxines) et la défaillance hépato-rénale avec troubles de coagulation terminaux. Ce type de toxine est étudié notamment dans le centre de Ness Ziona, pas très loin de Tel-Aviv.» explique du haut de sa chaire le professeur de médecine émérite .

Voilà donc pourquoi votre fille est muette et votre chef palestinien patraque! Les champions vénéneux cueillis dans les sous-bois mousseux du désert de Judée ont été cuisinés "pas très loin de Tel-Aviv". Tout est dit dans cette dernière insinuation drapée des oripeaux de la science médicale. L'empoisonnement serait presque établi. Mais s'il n'apporte aucune preuve à ses assertions, le rhumatologue à la retraite semble avoir identifié les empoisonneurs: ce sont les Israéliens.  

Ce que Slaten'a manifestement pas jugé utile, c'est d'informer ses lecteurs sur le véritable pedigree du médecin parisien. Fondateur de l'Association France Palestine dès les années 60, vieux routier du militantisme anti-israélien, le Pr Francis-Kahn est un compagnon de route de longue date de l'OLP de Yasser Arafat y compris à l'époque où l'organisation pratiquait le terrorisme à outrance contre les civils et prônait la destruction pure et simple d'Israël. Il faudrait une encyclopédie pour recenser les prises de positions que le professeur de médecine a prise contre l'Etat juif depuis des lustres. 

Alors que la France compte de nombreux experts en toxicologie réputés pour leur rigueur et leur indépendance, pourquoi donc avoir sollicité les lumières d'un expert en rhumatologie au parcours politique aussi marqué ?

Mais c'est peut-être précisément parce que les états de service militants du médecin n'ont pas été signalés que ses accusations ont paru à ce point crédible. C'est sans doute pour cela que ses déclarations ont été reprises intégralement par l'Agence France Presse, qui n'y a pas apporté la moindre réserve. Et c'est un mécanisme bien connu dont l'agence de presse s'enorgueillit elle-même: lorsque l'AFP ouvre ses vannes la déferlante médiatique n'est pas loin. Au lendemain du "scoop de Slate", les propos du professeur de médecine ont été diffusés sur pas moins de 280 sites internet, selon le décompte effectué par Google. Toute la presse française (Le Monde, le Figaro, L'express, Le Point, Europe 1… ) ainsi que la presse francophone à l'étranger (à commencer par l'Orient-le-Jour…) sont partis à la cueillette des lecteurs grâce aux champignons vénéneux du bon Dr Francis-Kahn

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