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Réforme des critères de la délinquance : vers la fin de le politique du chiffre ?
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Politique du résultat

Manuel Valls a annoncé au Monde, mardi, qu'il voulait une refonte des chiffres de la délinquance. Le ministre de l'Intérieur déclare vouloir combattre les "effets pervers" de la politique du chiffre, qui "incite à agir sur la statistique et non sur les traitements de fond des problèmes".

Alain Bauer

Alain Bauer

Alain Bauer est professeur de criminologie au Conservatoire National des Arts et Métiers, New York et Shanghai. Il est responsable du pôle Sécurité Défense Renseignement Criminologie Cybermenaces et Crises (PSDR3C).
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Atlantico : Manuel Valls veut une réforme de la mesure des chiffres de la délinquance. Est-ce nécessaire aujourd'hui ?

Alain Bauer : Bien sûr. L'Observatoire national de la délinquance, depuis sa création, a proposé au ministère de l'Intérieur un certain nombre d'évolutions, et je suis très heureux de constater que le ministre a décidé de les prendre en considération.

Tout d'abord, l'observatoire s'est toujours opposé au chiffre unique, c'est-à-dire à l'agglomération de toute l'activité du ministère de l'Intérieur, que ça soit le vol ou l'assassinat avec actes de barbarie. Chaque acte est à un niveau égal, c'est « un » fait, mais tout le monde se rend compte qu'ils n'ont pas la même valeur. Nous avons toujours proposé de prendre en considération des actes non cumulables : d'un côté sur les atteintes aux biens, puis les atteintes aux personnes, les escroqueries économiques et financières et enfin l'initiative des services, c'est à dire essentiellement la consommation de stupéfiants ou les étrangers en situation irrégulière.

La seconde avancée serait d'avoir des éléments d'enregistrement stables. Par exemple, en 2010, le ministère de la Justice a modifié les règles de prise en compte des escroqueries à la carte de crédit sans vol de cette dernière. Pendant longtemps, la plainte a été obligatoire, puis le ministère a changé d'avis, puis est revenu sur ce changement, avant de changer encore... Ce qui a totalement perturbé, sur des dizaines de milliers de faits, l'enregistrement de la statistique.

Autre élément à prendre en considération : le fait que la police a une politique d'enregistrement des faits qui ne se traduit pas toujours par une procédure, c'est à dire la main courante. Le plus simple serait de tout enregistrer en main courante – et donc de doter la gendarmerie nationale de cet outil - et ensuite de voir ce qui devient une procédure, car un certain nombre de déclarations ne sont pas envoyées en procédure. Par volonté des victimes, ou dans d'autres cas par élimination des faits, dans l'objectif d'améliorer la statistique au niveau local. En développant la main courante, le ministère améliorerait grandement la fiabilité du système. En indiquant par la main courant qu'elle est enregistrée, et qu'il n'y a donc plus la possibilité de l'éliminer ou de ne plus prendre la plainte.

Aujourd'hui, le seul élément vraiment important est l’enquête annuelle de victimation, qui porte seulement sur les personnes et permet de savoir ce qu'ils ont subi, ce qu'ils ont déclaré, et ce qu'il s'est passé ensuite. C'est une enquête à la fois quantitative et qualitative, qui mérite qu'on améliore les conditions de son exploitation.

Dernier élément, il faut que la statistique soit utile. Pour qu'elle le soit, il faut qu'elle soit liée à une cartographie criminelle qui fonctionne. Jusqu'à présent, quand on déposait plainte, c'est le lieu de dépôt de la plainte et non le lieu du délit qui était enregistré. Il était donc très difficile de réaliser des cartes précises, alors que cette cartographie a nettement amélioré l'efficacité de toutes les polices, notamment anglo-saxonnes. Tous ces éléments cumulés devraient permettre d'avoir un outil efficace et fiable.

Les chiffres n'étaient donc pas fiables jusque là ?

Ils sont moyennement fiables. Ça dépend : les chiffres des homicides sont très fiables, ceux des vols à l'arrachée très peu. Mais il y a beaucoup plus de vols à l’arraché, donc les chiffres globaux sont altérés par le fait que tout est égal à « 1 ».

Améliorer cette fiabilité va donc augmenter les chiffres globaux ?

On le sait bien. Quand on prend les chiffres de l'enquête de victimation, qui prend en compte tout ce que les gens ont subi, et les plaintes déposées, on trouve en gros 10 millions d'actes subis par les personnes, 4 millions de plaintes et 3 millions de procédures.

Quand on entend un ministre parler de changer les chiffres, on a tendance à penser qu'il va essayer de les baisser...

Non, l'objectif est de les augmenter. Mais en les augmentant il les rendra fiables. C'est pour cela que les autres ministres avant lui avaient calé à ce moment du jeu. Le seul qui a eu le courage de mettre en place un outil nouveau, c'est Nicolas Sarkozy, qui a créé l'OND. Mais tous ses successeurs ont calé devant l'idée qu'il fallait avoir une « année zéro » de la statistique, c'est à dire une année où les chiffres allaient brutalement augmenter parce qu'il fallait tout prendre en compte.

Le ministère veut également mieux calculer le taux d'élucidation des affaires. Était-ce une statistique oubliée ?

Il a raison, car aujourd'hui nul ne sait comment est déterminé le taux d'élucidation. Est-ce que c'est l'identification d'un auteur, son interpellation ou son déferrement ? Dans les pays anglo-saxon, on appelle cela le taux de réussite : il est identifié, interpellé et il a été envoyé devant le tribunal. D'autres pays considèrent en plus qu'il faut qu'il soit condamné à quelque chose.

La politique du résultat, comme dans toute administration publique, doit être conservée. Mais pas la politique du chiffre. La différence, c'est qu'il ne faut pas faire de croix avec des crânes : une grosse affaire est peut-être meilleur que dix petites. Ce qui implique de modifier les modes de rémunération des policiers, car certains sont fixés sur des chiffres et pas des résultats. On devrait mieux chercher les taux d'élucidation qui augmentent que les taux de délinquance qui baissent.

Propos Recueillis par Morgan Bourven

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