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Le grand déclassement ? La pauvreté en Europe oblige les multinationales à adopter les stratégies de vente des pays sous développés
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Europe/Asie, même combat

Alors que les dirigeants politiques européens assurent que la zone euro se sortira d'une crise qui semble sans fin, les industriels se montrent plus réalistes et adaptent leurs stratégies de vente, avec l'Asie comme modèle.

Europe et Asie, même combat ? C'est en tout cas ce que semble penser le responsable pour l'Europe de l'entreprise Unilever Jan Zijderveld. Dans une interview donnée au quotidien allemand Financial Times Deutschland, le patron du géant anglo-néerlandais de l'agroalimentaire et des cosmétiques indique en effet que la crise économique qui agite toute l'Europe les oblige à modifier leurs méthodes de vente, et de marketing, en se rapprochant de celles mises en place sur le continent asiatique. Alors que les dirigeants politiques européens tentent tant bien que mal de sauver la face en assurant que des solutions existent et que la zone euro se sortira de cette crise qui semble sans fin, les industriels ne peuvent se cacher derrière ces mirages d'optimisme et sont forcés de s'ancrer dans la réalité de la situation.

Une situation pas très reluisante si l'on écoute bien les économistes : quand l'Institute for New Economic Thinking Council on the Euro Zone Crisis (ICEC) propose des solutions pour répondre à la crise d'une zone euro menacée d'un "désastre aux proportions inimaginables", le célèbre économiste Nouriel Roubini explique que retarder l'éclatement selon lui inéluctable de l'euro ne fera qu'aggraver la crise… En attendant, les sociétés comme Unilever s'adaptent "au retour de la pauvreté en Europe", dixit Jan Zijderveld, et proposent notamment de plus petits conditionnements, et par conséquent, des produits meilleur marché, comme c'est le cas dans les pays développés sur le continent asiatique. "Si un Espagnol ne dépense plus en moyenne que dix-sept euros quand il fait ses courses, je ne vais pas lui proposer un paquet de lessive qui coûte la moitié de son budget", explique ainsi le responsable Europe du groupe, qui produit notamment le savon Dove, les glaces Magnum et Carte d'Or ou encore les lessives Cajoline et Omo.

Il ajoute par ailleurs : "En Indonésie, nous vendons des échantillons individuels pour deux ou trois centimes, et nous arrivons malgré tout à faire des bénéfices. Nous savons donc comment faire, mais avec les années d'expansion en Europe avant la crise, nous l'avons oublié". Clairement, puisque quand les revenus du groupe en Asie ont grimpé de 16% au deuxième trimestre, ils n'ont augmenté que de 0,2% en Europe.

Mais les derniers chiffres publiés par la Commission européenne sur l'emploi et la situation sociale en Europe leur ont apparemment servi de piqûre de rappel. Le rapport indique en effet que les ménages européens ont de plus en plus de mal à joindre les deux bouts, à tel point que leur malaise financier n'a jamais été aussi haut depuis le milieu des années 1980, quand l'Europe a commencé à relever ces données. Le rapport indique ainsi que la plupart des ménages sont obligés de puiser dans leur épargne ou de s'endetter juste pour pouvoir s'assurer un quotidien décent. La situation n'est pas la même partout. Au rang des pays de la zone euro les plus touchés, on trouve bien évidemment la Grèce, le Portugal et l'Espagne. Le Financial Times explique d'ailleurs qu'Unilever a déjà commencé à s'adapter à la pauvreté grandissante de la population espagnole. Le groupe propose ainsi déjà dans les supermarchés ibériques des petits paquets de lessive qui permettent de ne faire tourner que cinq machines.

Si l'adaptation des méthodes d'Unilever, et l'interview de son responsable Europe par le journal allemand font grand bruit, Jan Zijderveld n'est pourtant pas le seul à faire preuve de "réactivité" face à la paupérisation des Européens. Michel Edouard Leclerc, patron du célèbre groupe de distribution éponyme, explique ainsi dans un entretien donné à La Tribune que les propos de Zijderveld sont plutôt sensés puisque lui aussi note un "mouvement de paupérisation très nette en Europe du sud" qui doit pousser les industriels à élargir leur offre pour répondre à cette nouvelle clientèle, en proposant par exemple des yaourts à l'unité, comme c'est déjà le cas en Espagne. Il estime néanmoins qu'il faut toujours "que les consommateurs puissent avoir accès à des biens de qualité".

A quand le jus de fruit de marque vendu au verre alors ? Peut-être pour plus tôt qu'on ne pourrait l'imaginer, comme l'indiquent les déclarations de ces deux grands patrons.

Atlantico a interrogé Jean-Yves Archer, spécialiste en conseil de haut de bilan. Il dirige le Cabinet Archer et est gérant de Archer 58 Research, une société de recherches économiques fondée en mai 2012.

Atlantico : Les déclarations de Jan Zijderveld ne font pas l'unanimité dans le milieu de la grande distribution. Michel-Édouard Leclerc a confirmé avoir constaté un mouvement de "paupérisation très nette en Europe du Sud”, mais le groupe Procter & Gamble refuse d’évoquer une stratégie particulière à l’Europe. Tous les grands groupes devront-ils à terme se résoudre à adapter leur stratégie commerciale au déclin européen ?

Jean-Yves Archer : Un groupe comme Unilever est réputé pour la fiabilité de ses analyses marketing. De leurs travaux, ils ont déduit que 2013, 2014 et peut-être 2015 seront des années de récession dans l'arc sud de l'Europe. A cette baisse mécanique anticipée du pouvoir d'achat, ils ont décidé de réduire très sensiblement la taille unitaire de leur emballage. Normalement, à qualité constante, ce qui nous éloigne de la notion de low-cost que l'on peut trouver en aviation ou dans le secteur automobile.

La crise économique en Europe ne date pas d'hier. Cette rectification de la stratégie commerciale est-elle vraiment nouvelle de la part des grands distributeurs ? Si oui, pourquoi n'ont-ils pas réajusté leur stratégie plus tôt ?

Cette réorientation commerciale n'est pas de bon augure pour les conditions de vie des peuples (de plus en plus de gens ne s'en sortent plus) mais aussi pour les consommateurs, car il faudra faire le point précis du prix au kilo de ces emballages réduits. Des déconvenues pourraient être au rendez-vous…

Yves Puget, directeur de la rédaction du magazine sur la grande distribution "LSA", a déclaré au micro de BFM TV : “Le sentiment d'économie ne sera (...) ressenti qu'au moment de passer à la caisse et certainement pas à long terme. Car l'acheteur, s'il est fidèle à la marque, devra se réapprovisionner plus souvent". Ne s'agit-il pas d'une simple opération de com' de la part d'Unilever ?

A côté de cette décision ponctuelle d'Unilever, n'oublions pas que la crise nourrit l'existence du développement des biens de Giffen. Autrement dit, de cette catégorie de biens indispensables (pâtes, riz, huile, etc.) et peu substituables dont les prix montent malgré la pression sur le pouvoir d'achat. D'ores et déjà, tout ce qui intègre des céréales verra les hausses de prix répercutées. Par-delà la question du conditionnement unitaire.

Unilever parle de produits "meilleur marché car en plus petit conditionnement" ? Mais le prix au kilo diminue-t-il avec ce procédé, ou bien au contraire cela revient-il a une augmentation du prix au kilo ?

Comme le dit Yves Puget, le gain de pouvoir d'achat sera uniquement immédiatement perceptible (à la caisse) mais pas dans les comptes mensuels des familles. C'est un peu pareil que l'automobiliste qui roule dix kilomètres de plus pour parvenir à une station quatre centimes moins chers et qui ne budgète pas ses 20 kilomètres de trajet…

Propos recueillis par Julie Mangematin

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