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Conférence des ambassadeurs : l’occasion pour François Hollande de sortir la politique étrangère de la léthargie dans laquelle il l’a plongée ?
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Seul au monde

François Hollande donnera ce lundi sa vision de la diplomatie française et de ses priorités lors de la Conférence des ambassadeurs. De quoi faire oublier son désintérêt pour la politique étrangère, qui donne l'impression que le monde est vécu comme une contrainte extérieure ?

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier est docteur en géopolitique, professeur agrégé d'Histoire-Géographie, et chercheur à l'Institut français de Géopolitique (Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis).

Il est membre de l'Institut Thomas More.

Jean-Sylvestre Mongrenier a co-écrit, avec Françoise Thom, Géopolitique de la Russie (Puf, 2016). 

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Atlantico : François Hollande donnera ce lundi sa vision de la diplomatie française et de ses priorités lors de la Conférence des ambassadeurs. Que peut-on attendre de son discours ?

Jean-Sylvestre Mongrenier : Qu'il commence à esquisser sa vision du monde. La politique étrangère doit être plus vraie que la vérité, dit-on, il faut donc une vision du monde cohérente, structurée. Il faut un discours qui mette en scène des principes et valeurs qui doivent constituer le socle de la politique étrangère. Pour l'instant, on a l'impression d'être dans une sorte de no man's land.

Certes, il y a un principe d'inertie qui fait que la politique étrangère fonctionne sur la moyenne-durée, il n'y a pas un effacement pur et simple de la diplomatie française ; mais le fait est qu'il y a une rupture énergétique qui traduit un affaissement de la volonté.
Il y a une perte de substance de la France et des pays du même rang, car il y a un déplacement des équilibres mondiaux, et pour ces raisons-là, il faut faire preuve de plus de volonté et compenser la perte de substance par l'art de la manœuvre.

La puissance, c'est la force multipliée par la vitesse : là, il y a une décélération  spectaculaire. On a vu en quelques mois une rétractation des ambitions françaises très significative.

Après l'interventionnisme de Nicolas Sarkoy symbolisé par l'affaire libyenne, le président socialiste François Hollande est accusé d'attentisme sur la Syrie. La France fait-elle preuve d'une « diplomatie molle » depuis l'arrivée de Laurent Fabius au Quai d'Orsay ?

C'est un exercice d'interprétation, car le recensement des signes qui permettent de qualifier cette diplomatie est pauvre. Déjà durant la campagne électorale, on avait fait remarquer que la politique étrangère n'était pas du tout abordée par le candidat Hollande. La politique européenne était abordée, mais c'est déjà presque de la politique intérieure, ne serait-ce qu'avec la question de l'euro. Il y a ainsi eu toute une mise en scène assez pénible de la relation franco-allemande, avec un narratif assez pauvre de la France avocate d'une Europe du Sud généreuse face à une Europe du Nord égoïste. Tout cela ne nous a pas mené très loin et a mis à mal la relation franco-allemande qui a été instrumentalisée au profit d'objectifs de politique intérieure.

Pour tout ce qui excédait l'Europe, on a eu le sentiment d'un antisarkozysme utilisé comme doctrine.Il y a néanmoins eu un acte fondamental, qui a inauguré le septennat : le retrait d'Afghanistan. Ce n'était pas une mince affaire : quand bien même l'opinion publique approuvait la chose, ce n'est pas ce qui pouvait légitimer cette décision. C'est un théâtre d'opérations où les enjeux sont extrêmement importants et dont on ne peut pas s'abstraire aisément, surtout quand on prétend être une puissance de rang mondial.

Il y a eu une rupture de la confiance interalliée : ce qui avait été décidé à l'intérieur de l'Alliance Atlantique, c'est que ce retrait devait intervenir en 2014. Tous les pays partenaires alliés de la France respectent cette date, y compris l'Allemagne à laquelle on reproche parfois de vouloir être une grande Suisse. Et nous, on se retire de manière unilatérale. Certes, il y aura toujours des troupes après 2012, contrairement à ce que Hollande avait dit, mais cette décision a quand même une signification. Il faut également rappeler que c'est une opération qui se fait sous mandat des Nations unies. La France, membre permanent, titulaire d'un droit de véto, se retire de manière unilatérale : cela pose problème.


Cette diplomatie, sur l'Allemagne ou l'Afghanistan, est-elle due à un simple antisarkozysme, ou a-t-elle des causes plus idéologiques ?

Elle montre un certain désintérêt pour la politique étrangère et donne l'impression que le monde est vécu comme une contrainte extérieure, alors que l'essentiel serait de mettre en œuvre une politique de redistribution au niveau domestique. On ne sent pas de véritable volonté de peser dans les affaires mondiales. C'est quelque chose de foncier, avec une mise en forme antisarkozyste par-dessus. Cela pose problème en termes de continuité de l’État, car on a vu le président et le ministre des Affaires étrangères se démarquer de leur prédécesseur sur la scène internationale.

Le pouvoir se recentre sur les questions socio-économiques, et la politique au sens le plus fort du terme - c'est à dire la politique étrangère - est coincée entre le socio-économiques et le moralo-humanitaire qui consiste à débiter des généralités à caractère philanthropique.

Parmi ces déclarations à caractère philanthropique - pas pour le premier visé, mais plutôt pour les rebelles syriens - Laurent Fabius a déclaré que « Bachar el-Assad ne mériterait pas d'être sur la Terre ». Alors que le gouvernement reste discret sur le dossier syrien, cette sortie était-elle une maladresse ?

C'est une maladresse dans l'expression, pas sur le fond. Mais surtout, on ne voit pas trop ce qu'il veut dire, et on voudrait bien que les actes suivent. Sur la Syrie, la diplomatie française ne fait pas preuve d'un grand talent.

Certains experts proches du gouvernement disent de manière informelle que l'Afghanistan, c'est loin, et qu'il faut se recentrer sur notre pré-carré, car il y a un certain nombre de menaces qui se développent dans le bassin méditerranéen, en Afrique subsaharienne et dans le Sahel. Mais on constate, dans ce semblant de pré-carré - que plus personne ne nous reconnaît, d'ailleurs, on n'est plus dans les années 1970 - que la diplomatie française est tout aussi timide à moins de 5 000 kilomètres de nos frontières qu'à plus de 7 000.

La Syrie fait partie d'un bassin méditerranéen où la France a toujours été présente et ne peut prétendre s'abstraire. Or, dans cette crise, on ne peut pas dire qu'elle ait été particulièrement active. Au Sahel, dont toute une partie est tombée sous la coupe de mouvements islamistes - ce qui peut laisser craindre la constitution d'un nouvel Afghanistan - il y a des enjeux de première importance. Mais tout ce qu'à dit Laurent Fabius, c'est qu'il faut envisager une option militaire... mais qu'il n'est pas question que la France en prenne la direction. Il faut donc que ça soit la CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) qui en prenne l'initiative, pour qu'éventuellement la France lui prête un appui logistique. Là encore, il n'y a pas de volonté française d'exercer un rôle de chef de file dans une zone où on est historiquement présents.



Propos recueillis par Morgan Bourven

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