Bleu et muscles pour les garçons, rose et talons pour les filles : quand la société rejette les clichés, mais que les individus les exacerbent <!-- --> | Atlantico.fr
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Alors que le normal est à la mode, jamais les normes n’ont été autant contestées.
Alors que le normal est à la mode, jamais les normes n’ont été autant contestées.
©DR

T'as de beaux genres, tu sais

Alors que le concept de "normes de genre" masculin ou féminin subit aujourd'hui de rudes critiques, les individus, eux, dans le concret du corps à corps, ne visent plus qu'à se différencier en exagérant leurs particularités, notamment par le biais de la chirurgie plastique.

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Alors que le normal est à la mode, jamais les normes n’ont été autant contestées. Normes individuelles et normes collectives s’affrontent en un combat qui paraît, pour le moment, donner l’avantage aux premières.

Les normes de genre, en particulier, subissent de rudes critiques. Ces représentations sociales, profondément enracinées dans une culture donnée, décideraient en Occident de façon trop stricte du masculin et du féminin. D’autres cultures, comme les Bissus de Sulawesi, prévoient davantage de croisements entre sexe et rôle social, et l’on peut être un homme masculin ou féminin, une femme féminine ou masculine, ou encore un individu hors du masculin et féminin (et alors proche des dieux) : les Bissus disposent ainsi de cinq genres et non pas simplement deux, comme nous.

Pour préserver les enfants de la pression d'attributions que l'on peut, après tout, considérer comme arbitraires, des magasins comme Harrod’s exposent à présent leurs jouets dans un rayon neutre, sans les classer en jeux de fille ou de garçon. Plus extrémistes, certaines écoles, en Norvège, décident de bannir dans les premières années le pronom masculin et féminin [il] ou [elle] au profit d’un pronom neutre [on], d’éviter les récréations où [on] se harcèle, et de ne distribuer que des jouets calibrés pour leur neutralité.

Il n’est pas inutile de réfléchir à la façon dont une société impose à chaque sexe des stéréotypes, et enferme hommes et femmes dans des rôles qui correspondent à ce que la collectivité attend d’eux. On peut, par exemple, s'interroger sur l'association du bleu au masculin et du rose au féminin. De même, rien ne s’oppose à ce que désormais, la voiture de pompier avec sa grande échelle soit, pour leur Noël, convoitée indifféremment par le petit garçon ou la petite fille. De là à dire que la société est responsable de tous les comportements masculins et féminins, il y a un pas.
D’autres normes plus insidieuses sévissent également, dont on ne semble pas autant mesurer le danger.

Depuis quelques années, les demandes de chirurgie esthétique des parties sexuelles ont explosé. Une séance récente de l’académie de chirurgie était consacrée à la chirurgie esthétique du pénis : on admet que certaines malformations, les « micropénis », justifient une intervention qui s’avère d’ailleurs lourde, mais les demandes d’aujourd’hui concernent des individus porteurs d’un organe de dimension ordinaire. La réunion d’experts avait pour but de délimiter les bonnes indications et freiner les abus. De même, un grand nombre de femmes réclament une rectification de la dimension de leurs lèvres intimes : en Angleterre, les demandes dans ce domaine se sont multipliées par cinq en quelques années, et elles proviennent parfois de très jeunes filles.

Ainsi, au moment même où une approche conceptuelle exige que les sexes soient confondus et cessent de subir la pression de normes de genre trop restrictives, les individus, eux, dans le concret du corps à corps, ne visent plus qu’à se différencier en exagérant leurs particularités.

Il y a peut-être une explication. Notre bon vieil Occident a su générer des normes communes aux deux sexes, des normes qui transcendent le genre. [On] ne vise plus à présent que le désir. [Il] et [elle] étaient hier les agents d’une relation qui se construisait et s’emplissait jour après jour. [On] ne voit plus aujourd’hui que l’attirance qui se vit dans le moment, sans prendre garde au sens qui s’inscrit dans la durée. [On] n’est plus sujet, mais objet de consommation, et l’[on]rêve d’une accroche qui fascine. [On] n’obéit plus qu’aux normes du marketing : que faire pour être assuré d’être pris dans le caddy ? Encouragés par un esprit de liberté, très occidental, qui conçoit le lien comme une entrave – sans mesurer les risques de l’aliénation au désir.

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