Bouclier fiscal : le joli caillou dans la chaussure du gouvernement que vient de déposer le conseil constitutionnel <!-- --> | Atlantico.fr
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Le Conseil constitutionnel a validé la nouvelle fiscalité mise en place par le président, tout en lui adressant un avertissement.
Le Conseil constitutionnel a validé la nouvelle fiscalité mise en place par le président, tout en lui adressant un avertissement.
©Reuters

Retour vers le futur

Tout en validant la nouvelle fiscalité mise en place par François Hollande, le Conseil constitutionnel lui a adressé un avertissement : toute nouvelle ponction fiscale devra s'accompagner d'un système de plafonnement, sous peine de devenir "confiscatoire". Une porte ouverte au retour du bouclier fiscal tant décrié par la gauche.

Frédéric Tristram

Frédéric Tristram

Frédéric Tristram est historien et spécialiste de la politique fiscale en France.

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Le bouclier fiscal n’en finit pas de faire parler de lui. On croyait la mesure morte et enterrée, après sa suppression en juillet 2011 dans le cadre d’une réforme plus large de la fiscalité du patrimoine.

Voici qu’une importante décision du Conseil constitutionnel, rendue ce jeudi 9 août sur la loi de finances rectificative, la met de nouveau dans l’actualité ! Les sages du Palais Royal ont en effet conditionné une augmentation durable de l’ISF à l’adoption d’un dispositif de plafonnement qui empêche le montant de cet impôt de dépasser un certain niveau de revenu. Et ils n’ont validé la hausse intervenue cette année qu’en raison de son caractère exceptionnel.

Cette décision pose, pour le nouveau pouvoir socialiste, un problème politique. Certes, François Hollande avait habilement pris les devants pendant la campagne électorale et avait publiquement évoqué, le 14 mars dernier, la possibilité de rétablir un mécanisme de sauvegarde. La formule retenue avait même été précisée : ce serait la même que celle adopté en 1991 par Pierre Bérégovoy, qui limitait la somme due par le contribuable au titre de l’ISF et de l’impôt progressif à 85% de son revenu. Il ne fait plus guère de doute désormais que ce nombre d’or sera inscrit dans la prochaine loi de finances.

Une mesure qui fragilise l'antisarkozysme

Pour autant, l’obligation d’instaurer un plafonnement n’est pas une bonne nouvelle pour l’actuel exécutif. La mesure, qui n’est pas sans rappeler le défunt bouclier fiscal, relativise les critiques très vives adressées à l’ancien gouvernement et fragilise cet antisarkosysme virulent qui avait été un des ressorts de la victoire de François Hollande.

Sur un autre plan, en ressuscitant un dispositif vieux de vingt-ans, le nouveau pouvoir alimente le procès en immobilisme qui lui est fait, alors que la perspective d’une réforme d’ampleur du système d’imposition apparaît de plus en plus lointaine.

La décision du Conseil constitutionnel ne vaut pas seulement par ses aspects conjoncturels. Elle a un autre mérite, qui est de réhabiliter le bouclier fiscal. Certes, les sages ne se prononcent pas explicitement en faveur de l’ancien dispositif. Mais en rappelant la nécessité d’un plafonnement, fût-ce sous une forme atténuée, ils permettent d’en redécouvrir les évidentes qualités. Celles-ci sont de deux ordres.

Une imposition confiscatoire

Le bouclier fiscal offre d’abord un avantage de principe. Dans le système libéral qui est le nôtre, une limite doit pouvoir être mise au prélèvement : il s’agit d’une garantie importante accordée à l’individu contre une immixtion abusive de l’Etat et donc un élément constitutif du pacte social. Le Conseil constitutionnel n’en a pas décidé autrement, en interdisant expressément, depuis une décision du 29 décembre 2005 un impôt qui serait, selon ses propres termes, « confiscatoire » ou qui ferait peser sur une catégorie de contribuables « une charge excessive au regard de leurs facultés contributives ». De même, il considère, et c’est sur cela qu’il fonde sa décision du 9 août, que la ponction d’une part trop élevée du revenu constitue une « rupture de l’égalité devant les charges publiques ».

Ces trois notions complémentaires restent cependant assez floues et offrent une multitude d’interprétations. Un impôt qui obligerait le contribuable à réaliser son patrimoine serait-il forcément confiscatoire ? L’obligation d’instaurer un mécanisme de sauvegarde concerne-t-elle seulement l’impôt patrimonial ou doit-elle, pour empêcher cette « rupture de l’égalité devant les charges publiques », être étendue à tous les impôts directs ? Comment évaluer réellement une « charge excessive » ?

Le Conseil pourrait être appelé à répondre assez vite à toutes ces questions, et peut-être à d’autres encore, maintenant que la possibilité d’agir par voie d’exception est ouverte aux justiciables. En revanche, il ne lui appartient pas de livrer un modèle clé en main ou de fixer une limite chiffrée. 50%, 60% ou 70% ? Ce n’est pas à lui de le dire et cette abstention volontaire est, pour le législateur, un clair encouragement à se saisir du dossier.

Correcteur d'injustices

Une deuxième raison plaide en faveur du bouclier fiscal : celui-ci est un merveilleux indicateur de tout ce qui fonctionne mal dans le système d’imposition. Il repère les défauts les plus criants et permet de les corriger. Tous ses bénéficiaires n’étaient pas, loin s’en faut, des privilégiés. La plupart d’entre eux étaient des foyers modestes possédant un patrimoine non négligeable, en général composé de biens fonciers, et pour lesquels l’impôt sur la fortune et l’impôt local, qui sont effectivement les deux points noirs de notre fiscalité, auraient représenté une part excessive du revenu.

Le bouclier fiscal ne constituait d’ailleurs pas une nouveauté, issue de la volonté idéologique du précédent gouvernement : il s’inscrivait au contraire dans une longue série de mécanismes de sauvegarde, qui ont été progressivement adoptés, souvent par des gouvernement de gauche, pour atténuer les imperfections des impôts les plus bancals sur le plan technique (c’est le cas, on l’a vu, pour l’ISF, mais aussi pour la taxe d’habitation limitée depuis 2000 à 3,44% du revenu ou de la taxe professionnelle plafonnée par rapport à la valeur ajoutée dégagée par l’entreprise).

Or, ces mécanismes partiels ne couvraient pas l’ensemble des situations et laissaient certains contribuables face à un prélèvement trop lourd. De même, ils contribuaient à l’extrême complexité du système fiscal. L’adoption d’un mécanisme global parachevait donc une tendance lourde, corrigeait des insuffisances et donnait à l’ensemble une lisibilité qui lui faisait auparavant défaut.

Relâchement de la pression fiscale

Le rétablissement du bouclier fiscal est donc aujourd’hui souhaitable. Est-il possible ? L’ancienne version s’était heurtée à deux obstacles qui ne sont, ni l’un ni l’autre, insurmontables. Le premier est dû à crise, au déficit et à l’augmentation des impôts qu’ils ont provoqués. Il apparaissait impensable de ne pas faire participer les contribuables les mieux dotés à l’effort commun. Inversement, en régime de croisière, le bouclier formerait un verrou salutaire, empêchant toute  nouvelle hausse de la pression fiscale et initiant même un mouvement de baisse légère, sans doute indispensable compte tenu du niveau très élevé atteint en France par le taux de prélèvements obligatoires.

Mauvais procès

Le second obstacle est plus sérieux. Le bouclier fiscal était apparu comme injuste à une large partie de l’opinion publique : « un cadeau fait aux riches », pour reprendre une expression caricaturale mais souvent utilisée. Cette critique était d’ailleurs excessive : la véritable injustice fiscale n’est pas de limiter le prélèvement induit par les impôts directs à 50%, ce qui représente un taux déjà très élevé.

Elle provient des niches fiscales et des innombrables possibilités de fuite légale qui permettent à des contribuables souvent très fortunés de faire baisser leur imposition bien en deçà de ces fameux 50%. Pour autant, un nouveau mécanisme de sauvegarde, s’il devait être adopté, doit tenir compte de cette impopularité.

Une solution élégante existe : elle consisterait à moduler le degré de protection selon le revenu. Pour les foyers modestes, le total des impôts directs serait ainsi plafonné à un niveau plus bas que pour les foyers aisés. Le nouveau mécanisme s’échelonnerait ainsi, par exemple, entre 40% et 60% du revenu selon les cas. Il pourrait ainsi bénéficier à une grande majorité de contribuables et, ce ne serait pas le moindre de ses mérites, il renouerait avec l’esprit de l’impôt progressif.

Associé à un impôt minimal limitant les effets des niches, ce bouclier fiscal new style pourrait même être considéré comme un des instruments majeurs de la justice fiscale.

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