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Le fillonnisme, késako ?
Le fillonnisme, késako ?
©Reuters

Le fils prodigue ?

Dans une interview au Point publiée ce jeudi, François Fillon revient sur ses ambitions, ses idées, ses valeurs et ses relations avec Nicolas Sarkozy. Une véritable profession de foi pour la présidence de l'UMP, alors que la bataille s'intensifie avec Jean-François Copé. Mais après cinq années à Matignon, de quoi Fillon est-il le nom ?

Thomas Guénolé

Thomas Guénolé

Thomas Guénolé est politologue et maître de conférence à Sciences Po. Son dernier livre, Islamopsychose, est paru aux éditions Fayard. 

Pour en savoir plus, visitez son site Internet : thomas-guenole.fr

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Définir le fillonnisme s’apparente à un travail d’enquête. Cinq pistes sont possibles : l’équipe de campagne de François Fillon pour l’élection du président de l’UMP, ses positions exprimées pendant cette campagne, son parcours personnel, ses écrits, et son exercice du pouvoir.

La piste de l’équipe de campagne n’est pas probante. Au même titre que Jean-François Copé, François Fillon s’est efforcé d’y rassembler des représentants de toutes les sensibilités de la droite. Y cohabitent des chiraquiens tels que Valérie Pécresse, des profils de centre-droit issus de feu l’UDF tels que Laurent Wauquiez, des personnalités de la droite sociale telles que Roselyne Bachelot, des membres de la Droite populaire tels qu’Eric Ciotti. Identifier une cohérence idéologique est dès lors impossible. Par exemple, tandis que Roselyne Bachelot fut l’une des rares à soutenir le Pacs sous le gouvernement Lionel Jospin, Eric Ciotti est surtout connu pour ses positions sécuritaires.

La piste des positions exprimées pendant la campagne n’est pas davantage éclairante. En effet, dans leur compétition pour les suffrages des adhérents du parti, aussi bien François Fillon que Jean-François Copé s’efforcent de couvrir l’ensemble du spectre des sensibilités de la droite. De toute évidence, ce sont les opinions majoritaires des sympathisants qui déterminent ces positions, empêchant d’y repérer les idées spécifiquement fillonnistes.

La piste du parcours personnel, en revanche, apporte de premiers indices. François Fillon a pour « père » politique Joël Le Theule, dont il hérita sa circonscription de la Sarthe. Sous De Gaulle, Joël Le Theule fut un spécialiste de la modernisation des armées et de la force de dissuasion nucléaire, d’où le souci constant qu’a François Fillon de la souveraineté nationale et des enjeux de défense. Comme il le revendiqua lui-même publiquement en automne 2010 ou lors de sa réaction émue au décès de Philippe Séguin, ce dernier fut par la suite son mentor.

Cette filiation le rattache au gaullisme social, continuateur de la « Nouvelle Société » de Jacques Chaban-Delmas associant l’autorité de l’Etat à une démocratie sociale poussée, inspirée du modèle suédois. Elle le rattache également au mouvement des rénovateurs : autour de personnalités comme Philippe Séguin, Michel Noir et Alain Carignon, ces douze députés tentèrent dans les années quatre-vingt-dix, sans succès, de transformer le RPR et l’UDF en un parti unique avec courants, douze ans avant la création de l’UMP, moyennant un renouvellement générationnel. Elle le rattache enfin au souverainisme, préférant l’Europe des nations à l’Europe fédérale et refusant la monnaie unique : il fit campagne pour le Non à Maastricht aux côtés de Philippe Séguin.

La piste des écrits est de même riche en indications, en particulier le livre La France peut supporter la vérité qu’il a publié en 2006. Son diagnostic de l’état du pays est sensiblement le même que celui de Nicolas Baverez dans son ouvrage La France qui tombe de 2003, ce qu’il confirmera en 2007 comme Premier ministre en se déclarant « à la tête d’un Etat qui est en situation de faillite ». Les propositions qu’il y formule sont révélatrices. Dans la continuité de la position exprimée par Philippe Séguin sur le plateau de 7 sur 7 quand il était président du RPR, il prône un régime présidentiel avec disparition du poste de Premier ministre, ayant pour contrepoids une décentralisation accrue.

Dans la continuité du gaullisme social, il souhaite une démocratie sociale de type suédois où la syndicalisation est beaucoup plus forte et où les syndicats passent d’une logique de confrontation à une logique de proposition et de conciliation. Dans une démarche qui le rattache à la théorie de la croissance endogène de l’économiste néoclassique et Prix Nobel Robert Lucas, il préconise un effort massif ciblant la recherche et les universités.

Sur le modèle de la flexibilité-sécurité développée aux Pays-Bas par le ministre Ad Melkert, il souhaite que la priorité concernant le chômage porte moins sur le traitement social et davantage sur les incitations, la formation et les contraintes pour le retour à l’emploi. Ces idées se retrouvent d’ailleurs dans le programme électoral de Nicolas Sarkozy pour 2007, dont il fut le principal rédacteur.

L’exercice du pouvoir est également révélateur. En plus de son gaullisme social, François Fillon s’inscrit clairement dans les pas du Premier ministre Raymond Barre, sur une ligne de maîtrise des finances publiques qui le rapproche de l’économiste et prix Nobel Friedrich Hayek, dont Raymond Barre fut d’ailleurs, comme économiste, le traducteur en langue française. En tant que ministre du second mandat de Jacques Chirac, il a donc systématiquement cumulé ces deux approches : démocratie sociale sous l’angle de la méthode, maîtrise des finances publiques sous l’angle du résultat, quitte à échouer lorsque la jonction s’avérait impraticable. De fait, il connut le succès dans sa réforme des retraites et l’échec dans sa réforme de l’Education nationale.

En tant que Premier ministre, l’hyperprésidence le conduisant à un rôle effacé en termes de leadership, c’est surtout par ses positions publiques qu’il marqua les esprits. Trois caractéristiques sont alors à noter : le parti pris très en amont du quinquennat de Nicolas Sarkozy pour une politique de rigueur, la persistance du souverainisme jusque dans l’assimilation de la réduction de la dette à un enjeu de souveraineté nationale, et une réticence constante à suivre la ligne de course à l’électorat du Front national dont le discours de Grenoble reprenant explicitement le lien entre immigration et insécurité fut l’archétype. Emblématiquement, à l’automne 2010, c’est d’ailleurs sur le clivage entre politique de rigueur et virage social qu’il fut reconduit à Matignon de préférence au centriste Jean-Louis Borloo.

L’inventaire de ces pistes permet donc, malgré le brouillard de guerre de la campagne pour la présidence de l’UMP, de définir le fillonisme. Ses figures tutélaires sont Joël Le Theule, Philippe Séguin, Raymond Barre, Ad Melkert, Robert Lucas et Friedrich Hayek. Fondé sur le diagnostic d’une France en déclin dont les finances publiques sont en crise, ses composantes fondamentales sont le souverainisme, le gaullisme social, le néoclassicisme économique, la flexibilité-sécurité hollandaise, et le libéralisme hayekien.

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