Accès au travail des Roms : une générosité soudaine qui ne fait qu’anticiper la fin de leur régime dérogatoire<!-- --> | Atlantico.fr
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Les mesures transitoires qui limitent l'accès au travail des ressortissants bulgares et roumains, et qui touchent nombre de Roms, pourraient être levées.
Les mesures transitoires qui limitent l'accès au travail des ressortissants bulgares et roumains, et qui touchent nombre de Roms, pourraient être levées.
©Reuters

Libre circulation des travailleurs

Manuel Valls envisage de lever la dérogation prévue jusqu'en 2013, qui restreint l'accès au marché du travail pour les citoyens européens de Roumanie et Bulgarie. Vraie solution ou poudre aux yeux ?

Henri  Labayle

Henri Labayle

Henri Labayle est professeur agrégé des Facultés de droit françaises, en poste à la Faculté de Bayonne à l’Université de Pau.

il dirige le CDRE, laboratoire de recherches spécialisé en matière européenne et notamment en matière de droits fondamentaux, d’immigration et de sécurité intérieure.

Il est également membre du réseau Odysseus et directeur du GDR "Droit de l'Espace de liberté, sécurité, justice"

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Atlantico : Ce jeudi sur France Inter, le ministre de l’Intérieur Manuel Valls a annoncé que la levée des mesures transitoires qui limitent actuellement l'accès des Roms au marché du travail pouvait être une solution, qui pourrait être décidée lors de la réunion interministérielle sur les Roms. De quoi s’agit-il ?

Henri Labayle : Lorsque la Roumanie et la Bulgarie sont entrées dans l’Union européenne, un régime dérogatoire concernant l’accès au marché du travail de leurs ressortissants dans l’Union européenne a été prévu, en 2005.

Temporaire, cette restriction est liée aux risques de perturbation du marché national du travail. Elle est d’une période maximale de 7 ans divisée en 3 phases (2, 3, et 2 années) où le libre arbitre des Etats est progressivement réduit. Elle s’achèvera irrévocablement le 31 décembre 2013.

Nous sommes donc entrés dans la dernière phase.

Pourquoi la France n'a-t-elle pas encore, à ce jour, levé ces restrictions ?

Au préalable, il faut être clair : ces restrictions concernent les travailleurs bulgares et roumains et il ne s’agit en aucun cas d’une discrimination de nature ethnique qui concernerait la minorité "Rom". Une telle différenciation serait totalement illégale, tant du point de vue français qu’européen.

Par ailleurs, il ne faut pas confondre la libre circulation des travailleurs (restreinte pour les bulgares et les roumains) avec la libre circulation des citoyens (dont ces ressortissants peuvent user précisément parce qu’ils sont citoyens de l’Union).

Schématiquement, 11 Etats membres (Belgique, Allemagne, Espagne, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Malte, Royaume-Uni, Irlande et Autriche) ont fait le choix de fermer ou de restreindre l’accès de leur marché national du travail aux travailleurs roumains et bulgares. Ces Etats ont considéré qu’il s’agissait là d’une mesure appropriée pour éviter un appel d’air de travailleurs le plus souvent peu qualifiés. D’autres, comme l’Espagne, y sont venus après coup, utilisant cette clause de sauvegarde, avec l’accord de la Commission, jusqu’à la fin 2012.

Quelles seraient les conséquences d'une telle mesure, que ce soit sur les flux migratoires ou sur le marché du travail ?

Dans un rapport de novembre 2011, la Commission estime que les craintes des Etats en question ne sont pas fondées et elle parie même sur un effet positif sur le PIB à long terme. Elle a vraisemblablement raison. Quelques éléments significatifs à ce sujet : plus de 70% des ressortissants bulgares et roumains ayant exercé leur droit à la mobilité l’ont fait essentiellement vers l’Italie et l’Espagne. Ils sont aujourd’hui près de 3 millions dans l’Union soit près du double d’avant l’adhésion, ce qui n’est pas grand chose en définitive : 0,6 % de la population de l’Union. Cela relativise les choses.

Cette levée des restrictions sera-t-elle une vraie solution, dans la mesure où les Roms, citoyens européens, sont une population en général mobile, non sédentaire ?

Une fois encore nous parlons de citoyens roumains ou bulgares et non pas de « Roms ». Derrière ce mot, la réalité est beaucoup plus complexe que la stigmatisation d’une nationalité car une part de ces « Roms » porte une nationalité autre que celle de la Bulgarie ou de la Roumanie, y compris française. Elle n’est donc pas concernée.

Quant à l’impact de cette mesure, le nombre des populations touchées est vraisemblablement trop faible pour être significatif. Soyons courageux : il s’agit ici avant toute autre chose de dignité de la personne humaine et de la capacité de notre société à ne pas tolérer que des êtres humains vivent dans les conditions qui sont les leurs.

Pour ce qui est de la réalité elle est simple : si cette levée a lieu à l’automne ou en fin d’année, de "pistes de travail" successives en réunions interministérielles et autres comités Théodule, la satisfaction d’un engagement de la campagne présidentielle sera effective.

Cette générosité soudaine ne fera qu’anticiper la fin programmée de cette dérogation en 2013, ce qui l’éclaire sans doute…  

Pour le ministre de l'Intérieur, "la vraie solution" est que "les pays d'origine" de ces populations, "qui sont membres de l'Union européenne et demandent à rentrer dans l'espace Schengen, changent fondamentalement ces politiques qui discriminent depuis des décennies ces populations".

Pour ma part, je ne parlerai pas là de "vraie solution" mais de "vrai problème". Le politiquement correct qui sévit en matière de droits de l’Homme ou de construction européenne interdit généralement de poser la question dans sa réalité, que les gens de bon sens perçoivent instinctivement.

La construction européenne n’a pas été entreprise pour qu’un Etat membre assume à la place d’un autre Etat des obligations élémentaires dont ce dernier s’affranchit vis à vis de ses propres citoyens. En quoi appartient-il à la France ou à un autre Etat européen de faire cet effort et de tolérer ce comportement des Etats d’origine ? Une fois assimilés les principes relevant des droits humains les plus élémentaires, comment les faire partager à une opinion publique incapable de les accepter, pour peu que xénophobie et vent de l’Histoire soufflent sur les braises ? Imaginer cette pédagogie est un formidable défi pour les dirigeants publics.

L’élargissement de ce point de vue est un raté magistral et la Commission qui avait ce processus en charge ferait bien de commencer par balayer devant sa porte avant de donner des leçons tous azimuts.

La question de l’Etat de droit dans ces pays demeure posée, même si elle sert malheureusement le plus souvent de prétexte aux Etats membres pour se défausser de leurs responsabilités. L’appartenance à l’Union ne peut se satisfaire des libertés prises avec la corruption ou la discrimination érigée en mode de fonctionnement d’une société nationale. Une fois encore, l’Europe a bon dos et ces attitudes minent le projet européen. A qui fera-t-on croire qu’en France ou ailleurs, il a fallu attendre l’élargissement à la Roumanie ou la Bulgarie pour que naisse le problème des conditions de vie et d’intégration des "Roms" ?

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