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La gauche se rend-elle compte qu’en dénonçant la méthode du Karcher elle finit par adopter inconsciemment la vision
sécuritaire de Sarkozy ?
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Bisounours

Les événements d’Amiens et de Toulouse cette semaine, au-delà des faits, posent la question de la communication de nos politiques. La métaphore, remplaçant l’action, parle-t-elle plus à l’inconscient collectif ?

Patrick  Crasnier

Patrick Crasnier

Patrick Crasnier est aujourd’hui journaliste et photographe de presse indépendant.

Il est psychologue et psychanalyste de formation.

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La banlieue brûle une fois de plus à cause de faits mineurs, prétexte à des guérillas urbaines visant les forces de l’ordre. Les « jeunes », ou ceux qui sont appelés de cette façon par les médias, tirent sur la police qui ne propose pour toute réponse que des balles en caoutchouc. S’il y a un sens à ces bagarres, c’est bien celui de la rébellion contre l’ordre établi, contre « les flics » et tous ceux qui peuvent empêcher ces voyous de pratiquer leurs petits trafics.

Que cet ordre soit de droite ou de gauche, c’est la même chose, et c’est bien là que le discours politique et ses métaphores deviennent très intéressants. A droite, personne ne s’offusque d’entendre parler de sécurité, de forces de l’ordre, de répression. Ce sont des vocabulaires intégrés, là pas besoin d’en employer d’autres pour parler de ces sujets. Par contre, à gauche, c’est très différent. L’amalgame entre sécurité et gauche ne se fait pas systématiquement, ne dit-on pas que Manuel Valls est « de droite » de par son discours, je dirais, moi, de par sa fonction.

Ce qui s'est passé mercredi est à ce titre très instructif, Manuel Valls hué dans la banlieue d’Amiens, quoi de plus normal ? Les voyous hurlent contre la police, et celui qui la représente et les habitants hurlent contre celui qui devrait les protéger. C’est la réponse de Manuel Valls qui nous parle, il cite la métaphore du « karcher » de Nicolas Sarkozy pour expliquer : « je ne viens pas nettoyer la cité au karcher », comme si l’utilisation de cette métaphore disait inconsciemment « je fais une politique de droite mais je ne l’assume pas ». Le rappel à Sarkozy en la circonstance est un aveu.

N’oublions pas que la métaphore du karcher a été pour la gauche un bouclier sémantique, un repoussoir de la droite sécuritaire, en un mot un argument politique. Le résultat c’est que Manuel Valls, en utilisant les mots d’un autre, s’est très bien fait comprendre de l’inconscient collectif. En psychanalyse on parle de dénégation quand on affirme quelque chose en pensant le contraire. Ici « je ne suis pas venu nettoyer au karcher » se transforme en « j’aimerais bien nettoyer tout cela » « toutes ces émeutes nous empêchent de faire la politique bisounours de gauche ». Dans ce sens, sa dénégation s’adresse à l’inconscient collectif sécuritaire (ce n’est pas un gros mot) qui le comprend très bien.

Si Manuel Valls avait été le seul à utiliser cette forme de communication, le sujet se serait arrêté là. Mais ce n’est pas le cas. L’ancienne garde des sceaux, Elisabeth Guigou, est revenue dans une interview sur le karcher de Nicolas Sarkozy. En affirmant « nous à gauche nous n’utilisons pas de karcher », elle réaffirme aussi que sa préoccupation serait de nettoyer ces banlieues. Ceci en croyant démarquer le discours de gauche, mais en utilisant aussi une métaphore appartenant à la droite. Elle ajoute, car il faut bien faire oublier les émeutes d’aujourd’hui, que tout est la faute de Sarkozy et que les socialistes devraient remettre la police de proximité en place. Vieil argument qui traîne depuis cinq ans mais auquel personne ne croit, mais « c’est de gauche ».Autant pour Manuel Valls on peut comprendre que, tiraillé entre sa fonction et l’idéologie, il soit empêtré dans la communication.

Là on ne comprend plus rien, car cette reprise élève l’utilisation de la métaphore au rang d’argumentation politique commune. Une fois ce peut être un accident, plusieurs fois c’est le fait du groupe et la métaphore sarkozyenne devient la parole de la gauche sous forme de dénégation, c’est la gauche toute entière qui se joint inconsciemment au discours de droite sur la sécurité. Quand on sait que celle qui remplace Guigou aujourd’hui est Madame Taubira, qui est idéologiquement contre toute répression, le lien se fait facilement. La justice qui sera effectivement mise en cause par ces faits doit elle aussi utiliser la métaphore de droite pour bien marquer les esprits et faire oublier les dispositions ou l’absence de dispositions qu’elle va prendre.

Remarquons que, droite ou gauche, nous sommes toujours dans le discours et pas dans l’acte, qui lui est une autre paire de manches. Une autre chose aussi très significative de cette communication, c’est la forme que prend la parole de ceux qui ont en charge la justice. A chaud sur les émeutes, ils interviennent, mais pas pour parler de justice, ils parlent eux aussi de police. C’est assez singulier mais c’est aussi une manipulation de l’inconscient collectif, qui attend de la part de l’Etat des actions fortes pour maintenir l’ordre.

Parler de police, affirmer que l’on en mettra plus ou d’autres, c’est faire croire aux Français que seule la police peut résoudre ces problèmes. Belle arnaque intellectuelle quand on sait que pendant ce temps, le ministre de la Justice veut supprimer les lois sur la récidive, ne veut pas augmenter les places de prison, en un mot : fait tout ce que lui reprochent les policiers.

Peut-être qu’avec le temps qui passe, la gauche inventera ses propres métaphores pour éviter de reprendre celles de la droite, mais alors ils vont être obligés de dire ce qu’ils pensent réellement.

Quant à notre président normal, il tente de reprendre en main la communication, mais rien ne va dans le bon sens. Il essaye de rendre un hommage aux deux gendarmes tombés mais à contre temps, il n’était pas à la sépulture, les ficelles de son plan de communication sont bien trop visibles. De plus il rate sa cible, la base pour une bonne communication étant d’arriver au bon moment, d’être crédible et d’atteindre ceux qui entendent dans ce qu’ils veulent entendre.

Pour François Hollande l’occasion est manquée, il n’est pas dans le temps en parlant d’un fait ancien (juin) alors que l’actualité est brûlante. Il n’est pas crédible quand il parle de sécurité. C’est comme si on faisait chanter le rap à un ténor d’opéra ou l’inverse. Le seul message qu’il tente de faire passer est « plus de moyens, plus de moyens, plus de moyens » sorte d’antienne socialiste. Enfin il aimerait bien dire ce que les Français voudraient entendre, mais en faisant cela il singe la droite sans conviction et met en place une ministre de la Justice qui fait le contraire. Cherchez l’erreur.

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