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"Juste", "voilà" : tous ces mots inutiles égrenés à longueur d'interviews par les sportifs français
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C'est clair !

Après la longue parenthèse des Jeux olympiques, la ligue 1 de football est de retour. Et avec elle sa litanie d'interviews sportives plus indigentes les unes que les autres.

Patrick  Crasnier

Patrick Crasnier

Patrick Crasnier est aujourd’hui journaliste et photographe de presse indépendant.

Il est psychologue et psychanalyste de formation.

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Vous avez remarqué ces mots sans aucun sens répétés tout au long de leurs interviews par les sportifs : « c’est juste », « voila » ou encore « c’est juste voila ! ». Tous ces mots béquilles ou expressions dans l’air du temps qui ont envahi notre langage, sans que nous en ayons conscience, et pour qui  la plupart ne précisent en rien le message. A quoi servent-ils ? Ce sont des chevilles qui tiennent le discours, expliquent les sociologues. Sans eux, les sportifs (ou autres interviewés) qui parlent auraient l’impression que leur phrase est bancale.Cette prolifération, serait  issue du syndrome télévision et radio, où le silence est totalement banni : « il faut impérativement remplir l’espace avec de nombreux mots destinés à prolonger la phrase ».

Aujourd’hui nos sportifs sont encadrés, coachés, surveillés, ils reçoivent les conseils de spécialistes (soi disant) de la communication. Terminée l’époque où l’entretien avec un sportif se transformait en silences, en « heuuuuuuuuu » ou bien en phrases sans aucun sens, du style « j’essayerai de faire mieux la prochaine fois ». Rien de tout cela aujourd’hui, nos chers athlètes sont des « communicants » et vous l’entendez tous les jours.

Pourquoi dire « absolument » ou  « tout à fait » quand un bref « oui  » suffirait ? Ces formules sont reprises ensuite par tous, non seulement parce nous les entendons sans arrêt, mais aussi parce que s’approprier le tic de quelqu’un est une manière d’essayer de lui ressembler. Le tic sert à créer une complicité dans un groupe social donné, une génération particulière. Imagine-t-on un sexagénaire asséner « c’est juste génial » tous les deux mots ? Pas plus qu’un jeune sportif ne dirait « je suis fier de ma performance ».

Ces tics de langages, dont les origines restent mystérieuses, sont des mots « paresseux ». Ce ne sont pas des outils de communication. Ils servent à faire le bruit de la parole, sans contenir aucun sens, un peu comme la musique des supermarchés sert à endormir le client. Un moyen que les coachs en communication ont trouvé pour que le sportif (car c’est ici notre exemple) tente de rassurer celui qui écoute. Il essaye de lui dire « tu vois, je parle la même langue que tout le monde » ; la recherche de complicité et d’identification prime sur tout le reste. C’est ainsi que la répétition en boucle des « voila » et autres « c’est juste » composent des bruits proches des onomatopées du bébé que sa mère comprend à demi mot.

Pour éviter de se mettre en danger, d’échanger sincèrement, certains se contentent d’asséner des formules toutes faites. Les mots servent alors à cacher un contenu émotionnel. « Chez nous, on n’est pas cocu, on est juste malheureux », écrivait Marcel Pagnol. Aujourd’hui, à la place de « j’ai perdu », on entend « j’ai du chagrin », « je suis triste » ou « je suis en colère », termes autrement plus engageants pour soi et pour notre interlocuteur.

Il est nécessaire de distinguer les tics d’appartenance à une époque, une classe sociale, que tous utilisent, au tic involontaire plus personnel. Ces tics-là trahissent une histoire personnelle. L’utilisateur n’en a pas conscience mais ils sont une manne pour les psychanalystes. Commencer une phrase par « je vais vous dire la vérité » va interroger sur la sincérité de celui qui parle : disait-il faux avant ? Est-il obligé d’assener que ce qu’il dit est vrai pour s’en persuader lui même, car il n’en est pas très sûr ? 

Comment se débarrasser des abus de formules toutes faites ? En nous efforçant de diversifier notre vocabulaire. Il ne s’agit pas de se gendarmer en essayant de guetter son langage, mais plutôt de remplacer les mots qui n’ont pas leur place par ceux qui ont un sens. En se nourrissant par exemple d’une littérature de qualité pour éviter de parler de façon stéréotypée. Et dire « oui » quand c’est oui, « non » quand c’est non, sans y ajouter quoi que ce soit.

Réconcilions-nous aussi avec le silence, laissons respirer les phrases pour trouver les mots les plus justes, les plus proches de notre ressenti. Et prenons exemple sur les Argentins. À la question « comment vas-tu ? », au lieu de la ritournelle « ça va », quel que soit l’état du moment, ils répondent non sans humour : « Bien, ou tu veux que je te raconte ? »

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