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Le nouveau Mohamed Merah est-il en ce moment même tapi dans l’ombre ?
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Risque djihadiste

Les rapports déclassifiés des services secrets français ont répondu à quelques questions sur le parcours de Mohamed Merah. Ils reposent aussi quelques questions, notamment sur d'éventuels terroristes prêts à frapper.

Jean-Charles Brisard

Jean-Charles Brisard

Jean-Charles Brisard est spécialiste du terrorisme et ancien enquêteur en chef pour les familles de victimes des attentats du 11 septembre 2001. Il est Président du Centre d'Analyse du Terrorisme (CAT) 

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L’affaire Merah a donné lieu à une vive polémique sur sa gestion par les services de renseignement français. On sait désormais que Mohamed Merah avait été parfaitement identifié comme sujet à risque et même classé comme « djihadiste », en raison de ses séjours fréquents dans des zones sensibles à l’étranger et de sa proximité avec des filières et des réseaux déjà identifiés ou démantelés dans le passé. Les dispositifs de détection ont donc fonctionné, ceux-là même qui ont permis à la France de déjouer plusieurs dizaines d’attentats depuis 2001.

Afin de prévenir la constitution de réseaux et la commission d’actes terroristes, la France s’est dotée d’un arsenal juridique et technique permettant la détection précoce des menaces qui passe par la surveillance des personnes à risque, mais également des réseaux et des lieux tels que les foyers d’endoctrinement et les points de passage. Il repose également sur une coopération internationale quotidienne avec les services étrangers. Ce dispositif est régulièrement réajusté pour s’adapter à l’évolution d’une menace terroriste en perpétuelle mutation sur le plan tactique, technique et technologique comme l’ont montré les projets d’attentats visant les Etats-Unis en provenance du Yémen.

C’est ainsi qu’en 2006, le législateur a autorisé les services de renseignement à accéder au fichier national transfrontières comportant les données personnelles des cartes de débarquement et d'embarquement des passagers, ainsi que leurs documents de voyage et leurs visas, afin de pouvoir identifier et suivre la trace des français qui partent s’entraîner au djihad sur des zones sensibles telles que l’Afghanistan, le Pakistan, l’Irak ou la Somalie. L’objectif étant de neutraliser les candidats au djihad ou neutraliser leurs réseaux avant qu’ils ne commettent des attentats.

Dans ce contexte, il est permis de s’interroger sur l’efficacité des mesures proposées immédiatement à la suite de l’affaire Merah, notamment la création d’un délit de consultation habituelle des sites Internet qui incitent au terrorisme ou en font l'apologie, ainsi qu’un délit lié au fait de se rendre dans des camps d'endoctrinement et de formation aux armes à des fins terroristes. Si elles sont susceptibles de dissuader marginalement l’auto-endoctrinement de « loups solitaires », notamment par le biais d’Internet, ou les velléités de départs isolés vers des zones d’entrainement ou de combat, elles ne sont pas de nature à répondre au cas Merah, qui prouve que l’apprentissage de la clandestinité, de la dissimulation et de la manipulation lui a précisément permis de déjouer la vigilance des services de renseignement et de fausser leur évaluation, à l’instar des terroristes du 11 septembre 2001.

En effet, le cas Merah est plus « atypique » par la manière dont il est parvenu à esquiver la vigilance des services régaliens que par la trajectoire empruntée et la genèse de son radicalisme, plutôt « classique » dans l’univers djihadiste. En réalité, les futurs Merah ne sont pas si virtuels et insaisissables qu’on ne le croit, ils sont bien souvent déjà présents dans les fichiers de nos services judiciaires ou policiers. S’ils représentent moins d’une centaine d’individus dits « dangereux » en France, ils sont plusieurs milliers en Europe si l’on y ajoute les personnes « potentiellement à risque ».

Dans cette affaire, comme dans d’autres, la véritable question tient au suivi des sujets à risque, qui a manifestement été défaillant. Si nos démocraties sont outillées pour détecter le risque, elles le sont en revanche beaucoup moins pour le gérer. L’exemple le plus tragique nous en a été donné par les attentats de Madrid de 2004 où deux des auteurs étaient encore sous surveillance policière moins de deux semaines avant les attentats… avant que cette mesure ne soit levée pour des raisons budgétaires.

Deux phénomènes récurrents dans la constitution de réseaux et filières ainsi que dans la commission d’actes terroristes sont aujourd’hui encore mal appréhendés pour des raisons pratiques et juridiques.

Le premier concerne les « serial terroristes » ou multirécidivistes du terrorisme. Sur la base des procédures visant des infractions terroristes instruites depuis dix ans en Europe, on constate que chacune de ces affaires met systématiquement en cause des personnes déjà condamnées, non pour des délits de droit commun mais pour des infractions terroristes. Comme toute organisation humaine, les cellules ou groupes terroristes ne naissent pas spontanément, mais sous l’influence d’individus formés, souvent des vétérans du djihadisme qui constituent des éléments structurants et des référents pour les jeunes recrues.

Ainsi, le réseau Benchellali démantelé en 2004 comptait une personne condamnée quatre ans plus tôt pour sa participation au projet d’attentat visant la coupe du monde de football de 1998. Les principaux animateurs d’une filière de financement du Groupe Islamique Combattant Marocain (GICM) démantelée en 2004, avaient été condamnés quatre ans plus tôt et impliqués dans les attentats de Casablanca en 2003. En 2005, le principal animateur d’un réseau de recrutement vers l’Irak avait déjà été condamné à dix ans d’emprisonnement pour sa participation aux attentats de 1995. Le principal animateur d’une filière franco-italienne démantelée en 2010 avait déjà été condamné à deux reprises pour des infractions terroristes en France et en Allemagne.

Le second concerne les individus « potentiellement à risque », ceux dont le nom est apparu en relation avec une infraction terroriste dans le cadre de procédures antiterroristes. Il s’agit de personnes identifiées, qui ont parfois été détenues ou interrogées, et qui n’ont pu être poursuivies dans le cadre juridique existant. Sur la base des procédures visant des actes de terrorisme, des réseaux ou des filières de soutien logistique ou de financement instruites en Europe depuis dix ans, on estime leur nombre à près de 5.000. Leur suivi, qui implique des moyens considérables, aurait des effets directs sur notre capacité à déjouer des infractions terroristes. Ainsi en 2010, un projet d’attentat visant des lieux symboliques en France et en Allemagne impliquait un individu apparu dans l’enquête sur la « cellule de Hambourg » des terroristes du 11 septembre. En 2007, l’Italie démantelait une filière de recrutement de djihadistes vers l’Irak composée d’individus apparus cinq ans plus tôt dans un autre dossier terroriste. Trois individus condamnés pour les attentats de Madrid de 2004 étaient apparus dès 2001 dans l’enquête visant les ramifications espagnoles de l’organisation Al Qaida.

Le terrorisme « spontané » ou délié de tout parcours initiatique est un risque qui demeure théorique et les cas de véritables « loups solitaires » sont encore marginaux. En revanche, celui d’individus dont le radicalisme s’est « djihadisé » au contact de filières ou d’autres djihadistes l’est beaucoup moins.

Seule la surveillance étroite des individus à risque, en particulier des multirécidivistes, serait de nature à réduire la menace terroriste en permettant de déceler le passage à l’acte de ces individus.

Une telle surveillance est-elle compatible avec l’Etat de droit ? En l’état, cette question doit au moins nous conduire à nous interroger sur les moyens des services de renseignement face à la menace terroriste.

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