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Ibrahimovic veut le numéro 10 : mais pourquoi prête-t-on des vertus magiques aux chiffres ?
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Élève Ducobu

Pour la nouvelle star du PSG, avoir le numéro 10 au dos de son maillot semble être une impérieuse nécessité. D'autres accordent un sens particulier au 7 ou au 13. Absurde ?

André Brahic

André Brahic

André Brahic est un grand physicien français, professeur à l'université Paris-Diderot et au Commissariat à l'énergie atomique.

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Atlantico : Premier match de Zlatan Ibrahimovic ce samedi soir sous les couleurs du PSG dans le cadre de la Ligue 1. Le joueur suédois a insisté pour porter le numéro 10, par superstition. Comment expliquer une telle exigence ?

André Brahic : Cela prouve une chose : son cerveau n’est pas au niveau de ses jambes. C’est peut-être un grand sportif mais qui, hélas, n’a pas reçu l’éducation qu’il aurait dû recevoir. C’est totalement stupide de penser qu’un numéro peut porter chance. C’est aussi idiot et irrationnel que lorsque des gens croient aux soucoupes volantes ou à l'astrologie, autres croyances qui ont fait beaucoup de dégâts dans notre société.

C'est pourquoi les scientifiques essaient de faire comprendre aux gens que le monde n’est pas magique... en particulier en ce qui concerne les chiffres !

Je propose une autre explication : si Zlatan Ibrahimovic veut le numéro 10, c’est qu’il y a des joueurs dans le passé, comme Pelé ou Platini, qui portaient ce numéro. S’il avait dit : "Je serais heureux d’avoir ce numéro parce que c’est le numéro que portaient les plus grands", ce serait joli, comme une sorte d’hommage. Mais j'insiste sur le fait qu'y voir un moyen d'avoir plus de chance est totalement idiot... même si je sais que la bêtise est mieux répartie que l’intelligence dans notre monde !

Je suis assez gêné avec cela, car l’enseignant que je suis, qui essaie de faire apprendre, comprendre aux jeunes comment les choses fonctionnent, enrage lorsque l'on fait de la publicité pour des actes aussi stupides que celui-ci.  D'autant plus dans un contexte où les scientifiques ne sont pas très reconnus par notre société, qu'ils sont mal payés, voire mal traités. Les jeunes qui passent une thèse, qui sont à Bac+12, ne trouvent pas de poste alors qu’un type qui est capable de dire que les nombres portent chance va gagner des millions d’euros.

On voit bien qu’il y a un déséquilibre épouvantable et ça provoque chez moi des réactions assez violentes. En un mot comme en cent, la numérologie, c’est totalement idiot !

La peur de beaucoup de gens pour le numéro 13 provoque t-elle chez vous le même sentiment ?

Oui ! C’est totalement idiot ! J’ai trouvé des hôtels sans chambre n°13 ou même des avions sans rangée n°13… Mais si certains s’écrasent, tout le monde meurt, quelque soit le numéro de leur siège ! Cette peur n’a jamais été avalisée par la moindre étude statistique. C’est pareil pour l’astrologie. J’ai fait faire des études statistiques à des agrégés sur tous les médaillés olympiques depuis 1896 sans constater le moindre effet de la part des chiffres.

D'autant plus que nous raisonnons là avec des nombres qui, par convention, sont en base de 10, avec des chiffres allant de 0 à 9. Il suffirait de changer pour une base 60, 6 ou encore 2 pour que cela soit d'autant plus absurde. En langage binaire, le 13 ou le 6 n'existent pas !

Quels chiffres reviennent le plus souvent dans la numérologie aujourd’hui ?

Je n’en vois à vrai dire qu’un seul qui a eu un sens dans l’Antiquité : le 7. Les Grecs ont remarqué que la nuit, l’ensemble des étoiles tourne de la même manière et parmi tous ces astres, il n’y en a que 7 qui ne vont pas dans la même direction – les « Vagabonds », qui se traduit en grec par « planètes ». A l’époque des Grecs, il y avait sept planètes dans leur classification : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne, auxquelles étaient rajoutées la Lune et le Soleil. Ceci a occupé les astronomes pendant au moins 10 000 ans.

C’est pour cela qu’il y a sept jours dans la semaine : le Lundi était le jour de la Lune, le Mercredi celui de Mercure et le dimanche – « Sunday » en anglais – celui du Soleil. On parlait des « sept merveilles du monde » aussi.

En dehors de ce 7, les autres rapports spécifiques à un chiffre sont absurdes.

Pourquoi le rapport au 13 serait t-il plus absurde que le rapport au 7 ?

Je ne sais même pas d’où les croyances autour de ce nombre sont issues. Il suffit de regarder les chiffres, s’il y a par exemple plus de catastrophes les vendredi 13, si les gens qui portent le dossard 13 remportent plus de courses ou encore si les habitants qui vivent au 13e étage ont plus de problèmes que les autres. Mais vous verriez qu’il n’y a aucune différence. Cela est très simple à vérifier, tout comme pour beaucoup d'autres croyances.

Un acte de foi veut dire qu’on croit à quelque chose et si on vous oppose que votre croyance n’est pas vraie, cela provoque une colère très grande. Les enfants que nous avons été le savent : le jour où l'on apprend que le Père Noël n’existe pas, on se bat contre ce qui était jusque-là une évidence. C’est pour cela que j’en veux à ceux qui diffusent ce type de croyances.

Certains vont plus loin que ces simples chiffres et vont intégrer par exemple le nombre d’or dans certains de leurs raisonnements…

C’est différent : le nombre d’or a une propriété mathématique. Après, tout dépend de quoi on parle :évoquer ces proportions dans l'organisation d'un logement ou dans la réalisation d'une oeuvre fait-il sens ? Est-ce qu’un tableau qui fait 40 centimètres sur 23 est plus joli qu’un autre ? Mais là ce n’est plus une question de mathématiques, seulement de l’œil ... et cela n'a rien de magique.

A titre personnel, pour vous qui êtes un scientifique, les chiffres ne sont-ils vraiment qu'un outil ?

J’ai envie de dire deux choses à ce sujet :

Les chiffres sont un outil et quand on essaie de comprendre un phénomène en physique, on ne le comprend d’abord que qualitativement. Pour tester les modèles, formuler des observations, commenter des expériences, on utilise les mathématiques et donc des chiffres. C’est comme quand vous prenez un marteau, une bêche, une pelle : ces objets ne sont pas magiques, seulement utile pour le travail que vous voulez faire.

Le deuxième point est que je dénonce, notamment dans mon dernier livre « La science, une ambition pour la France », cette nouvelle interprétation des chiffres. Quand vous prenez un journal, on vous déclare qu’il y a 3% de morts en plus sur les routes au mois de juillet, qu’untel a 2% d’intentions de vote de plus que son rival… et ça, c’est idiot.

Dans toute mesure en physique, qui se traduit par des chiffres, il y a une barre d’erreur. Ainsi, quand vous faites un sondage auprès de 1 000 personnes pour connaître une popularité, un gout, il y a une barre d’erreur qui est de l’ordre de 5% pour un échantillon de cette taille. Ainsi, dire qu’untel a gagné deux points de popularité est par conséquent idiot : dire qu’untel a une popularité de 30% veut en réalité dire que sa popularité est située entre 25 et 35%.

Souvent, on oriente le vote des gens en donnant des chiffres qui font croire que ceux-ci donnent un avantage à une personne alors que c’est faux. Par exemple, quand vous êtes flashé par un radar, quand on vous dit que vous avez été flashé à 58 km/h sur une route à 50 et que par générosité, on vous rabaisse cette vitesse à 53 km/h, sachant que là aussi il y a une marge d’erreur de 5% et même plutôt de 10%, cela permet de faire croire que ce rabaissement est de la générosité alors que ce n’est qu’un ajustement statistique.

Les chiffres sont ainsi souvent utilisés à mauvais escient et ce qui en est fait aujourd’hui tend à faire croire que les gens ne savent pas ce que sont les chiffres. On fait dire n’importe quoi aux chiffres et en regardant des débats dans les journaux, à la télévision, lorsque les intervenants s’envoient des chiffres à la figure, c’est rude.

Dans le contexte actuel de la crise, on a créé un monde mathématique virtuel de la finance et on s’étonne qu’un tel monde virtuel ne corresponde pas à la réalité. C’est oublier un principe fondamental de la physique qu’est la conservation de l’énergie : on ne crée rien, on ne fait que transformer et donc on ne peut créer de la richesse à partir de rien.

Le fait de croire que les chiffres ont un sens magique, et pas seulement le 7 ou le 13, est effrayant : un chiffre est une mesure avec une marge d’erreur, pas autre chose.

Il faut faire comprendre aux gens ce que sont vraiment les chiffres et les doter d’une certaine culture scientifique. Regardons les patrons de journaux, de médias, les ministres, sénateurs, députés… Tous ces gens ont fait l’ENA, Sciences Po, HEC, mais n’ont jamais reçu un embryon de culture scientifique – et disent donc des bêtises à ce sujet.

N’est-ce pas parce qu’à la base, les gens ont du mal avec les matières scientifiques, qu’ils sont enclins à donner cette portée magique ?

Dans les mathématiques, quand on vous donne un exercice et que la réponse est 27, tous les élèves qui disent 27 ont une bonne note, ceux qui disent 23 ont une mauvaise note. C’est facile à corriger, plus qu’un devoir de philosophie. Du coup, les maths sont devenues un instrument de notation pour tous les concours, même économiques, et ont du coup pris ce sens de précision, de vérité… ce qui constitue une déformation fondamentale de ce que sont les mathématiques. Je suis favorable à ce qu’on les supprime des épreuves et autres concours. Ça vaut beaucoup mieux que ça.

Il y a justement un débat qui a été lancé là-dessus par un professeur américain : il voulait supprimer l’algèbre comme élément de sélection des étudiants. Qu'en pensez-vous ?

Attention à cela : il ne faudrait pas éloigner les gens de la science sous ce prétexte. Pourquoi ne pas remplacer, par exemple, l’algèbre par une épreuve de « culture scientifique » ?

Dans mon université, j’ai 20 étudiants à Bac+2/3 en physique, qui auront un diplôme à l’arrivée et ne connaîtront pas le chômage. Au même niveau, vous avez environ 750 étudiants en psychologie. Je n’ai rien contre cette matière mais sur ces 750 beaucoup n’auront pas de diplôme et la moitié connaîtra le chômage.

Il faut changer profondément notre système d’éducation et d’arrêter cette fuite de la science, de dire qu’elle est austère, difficile… On manquera d’ingénieurs, de techniciens, de chirurgiens à cause de cela dans les prochaines années.

Tous ceux qui veulent faire croire que les chiffres sont magiques me font en tout cas hurler. On donne des milliards d’euros à un type qui raconte des bêtises et pas à ceux qui vont faire des découvertes scientifiques. On marche sur la tête ! Même pour un spectacle, je préfère voir jouer des gens intelligents, comme Platini…

Propos recueillis par Morgan Bourven

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