L'Allemagne est-elle en train de profiter de la crise aux dépens de l'Italie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Angela Merkel et Mario Monti à Bruxelles, le 29 juin.
Angela Merkel et Mario Monti à Bruxelles, le 29 juin.
©Reuters

Vaudeville européen

Dans une interview accordée au magazine allemand Der Spiegel, Mario Monti a précisé que son pays a consenti à plus d'efforts que Paris ou Berlin et s'en est pris à Angela Merkel.

Jean-Luc Proutat

Jean-Luc Proutat

Jean-Luc Proutat est économiste responsable des pays de l'OCDE chez BNP Paribas.

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Atlantico : Dans une interview accordée au magazine allemand Der Spiegel, le président du Conseil italien Mario Monti précise que son pays n'a toujours reçu aucune aide et qu'il en a fait plus que la France ou l'Allemagne.  Il estime aussi que l'Italie doit payer des taux d'intérêt élevés sur sa dette du fait des faibles taux allemands. Berlin profite t-il vraiment de la crise de ses voisins européens ?

Jean-Luc Proutat : Mario Monti a raison de pointer du doigt que ce différentiel de taux entre les deux pays n'est pas tenable. L'Allemagne s'endette à 0% pour des emprunts à deux ans et pour des taux négatifs lorsqu'il s'agit d'échéances encore plus courtes (3 à 6 mois par exemple) alors que l'Italie fait face à des taux proches des 7% pour des emprunts à 10 ans.

Les chiffres de la Commission européenne montrent que le déficit structurel - celui qui résulte des hausses d'impôts ou des baisses de dépenses, et non de la conjoncture -  à été réduit plus drastiquement en Italie que partout ailleurs en Europe. Mais avec des niveaux de taux d'intérêt aussi élevés, le pays aura des difficultés à réduire son déficit. Cet écart de taux ne rend pas justice aux efforts budgétaires italiens qui, de facto, ne peuvent porter leurs fruits.

Au contraire, l'écart de taux entre le Sud et le Nord de l'Europe persiste alors qu'il faudrait une convergence pour que tous les Etats puissent s'endetter à des niveaux soutenables. C'est pour cette raison que Mario Monti plaide depuis longtemps pour une forme mutualisation partielle des dettes. Il estime que les efforts individuels ne suffisent pas.

Cette situation ne risque t-elle pas de se retourner à terme contre l'économie allemande ?

Effectivement, l'Allemagne parvient à s'endetter à des taux négatifs, ou très faibles, du fait d'une fuite des investisseurs des pays jugés risqués. Mais si cela se termine par une restructuration de la dette des pays périphériques ou par une dépression économique, l'Allemagne en fera les frais.

Il ne s'agit donc que d'un bénéfice de court terme pour Berlin. Ce facteur n'a d'ailleurs pas échappé à l'agence de notation Moody's qui a mis le pays sous perspective négative pour cette raison. Si cet écart de taux se poursuit en zone euro, les pays créditeurs seront tôt ou tard rattrapés.

L'économie allemande a d'ailleurs commencé à ralentir notamment avec des carnets de commandes étrangères très mauvais. Rappelons que le pays exporte la moitié de son PIB, dont 40% des exportations à destinations de ses voisins européens. Même si cette part a eu tendance à se réduire, le Sud de l'Europe constitue encore un partenaire important.

Enfin, il y a des effets d’enchaînement : la France sera probablement en légère récession au deuxième trimestre du fait de son exposition aux pays du Sud. L'Allemagne étant elle même fortement liée à l'hexagone, elle n'est pas insensible aux difficultés de l'Italie ou de l'Espagne.

L'arrivée de François Hollande avait déjà entraîné une relation plus tendue au sein du couple franco-allemand. Mario Monti critiquant à son tour ouvertement l'Allemagne, pouvons-nous parler d'un tournant en Europe ?

La Cour de Karlsruhe bloque jusqu'au mois de septembre la validation, et par conséquent la ratification, du Mécanisme européen de stabilité. Une aberration lorsque l'on sait que ce fonds est censé venir en aide aux pays en difficultés pour éviter un approfondissement de la crise.

Dans ce contexte, on peut comprendre l'agacement de Mario Monti d'autant plus que sa situation politique n'est pas facile. Il est à la tête d'une coalition pour laquelle le Parlement ne lui accorde sa confiance que s'il obtient des résultats en termes de réduction des taux d'intérêt et d'intégration européenne.

La situation en tendue car ce qui se joue n'est autre que la capacité de l'Italie à ne pas tomber et à ne pas demander l'aide des créanciers internationaux comme le FMI. Dans ce contexte tendu, Mario Monti était parvenu à imposer son agenda lors du dernier sommet européen avec l'idée d'une union bancaire ou encore la volonté de recapitaliser les banques sans passer par les budgets des Etats afin d'éviter de peser sur les déficits publics. Des mesures presque imposées à l'Allemagne.

Le risque est alors celui d'une crispation de la position allemande. Angela Merkel défend sa coalition au pouvoir, en particulier son aile libérale. En revanche, le SPD (NDLR : le parti de gauche allemand actuellement dans l'opposition) propose de modifier la Constitution pour y intégrer des notions d'union fiscale. Le président du Conseil italien s'adresse donc à l'ensemble de la classe politique allemande, y compris aux opposants de la chancelière.

La rigueur budgétaire qui s'impose à l'Italie et à l'Espagne ne peut passer auprès de l'opinion que si ces pays peuvent obtenir des conditions de financement qui leur permettent d'obtenir un minimum de croissance. Or, nous cumulons actuellement deux handicaps majeurs : une rigueur et des taux, auxquels s'endettent ces pays, qui continuent d'augmenter. Il y a une double sanction.

Il sera difficile pour les Allemands et les Européens de trouver un meilleurs interlocuteur que Mario Monti. Il a réalisé en neuf mois ce que l'Italie n'est pas parvenue à faire en vingt ans en termes de réformes structurelles. Il jouit d'une crédibilité très forte en Europe. Il faut donc en profiter pour aller plus loin dans le partage des risques, notamment par le biais d'une mutualisation des dettes.

L'Italie cherche-t-elle à accélérer la gestion de la crise en zone euro ?

Très certainement. Le communiqué du dernier sommet européen avait un message central : agir de manière plus souple et efficace. C'est ce que Mario Draghi, le président la Banque centrale européenne, dit lorsqu'il estime que le FESF (NDLR : Fonds européen de stabilité financière, le premier fonds de sauvetage européen) et le MES sont conçus pour agir vite. Il "tape du poing sur la table" pour dire que des mécanismes ont été adoptés et qu'il est temps de les faire fonctionner.

Propos recueillis par Olivier Harmant

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