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Pierre Lellouche : "Seule une convergence fiscale entre Etats européens peut sauver la zone euro"
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Selon l'ancien secrétaire d'État chargé des Affaires européennes, "le problème de la crise n'est pas un problème de politique, mais de solidarité économique entre les États".

Pierre Lellouche

Pierre Lellouche

Ancien député, Pierre Lellouche a été secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes puis secrétaire d'Etat chargé du Commerce extérieur au sein du gouvernement Fillon.

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Atlantico : Mario Monti a déclaré, en substance, dans une interview au journal allemand Der Spiegel que les gouvernements devaient s’émanciper des parlements nationaux pour prendre les décisions fortes nécessaires à la sortie de crise de la zone euro. La crise que traverse l'Union est-elle vraiment une crise du pouvoir politique ?

Pierre Lellouche : Le problème de la crise n'est pas un problème de politique, mais de solidarité économique entre les Etats. La crise l’a montré : les fameux critères de convergence de Maastricht, sur lesquels tout le monde s’est assis, y compris l’Allemagne et la France, n’ont pas résisté au mythe qui veut qu’une dette grecque soit égale à une dette allemande. La question fondamentale est de savoir si les pays qui réussissent sont prêts à payer pour ceux les moins industrialisés. Comment faire en sorte qu’il y ait une monnaie commune dans une zone économique totalement hétérogène, avec des pays très industrialisés, et d’autres qui ne le sont pas du tout, des pays qui réussissent dans la mondialisation et d’autres non ?

La classe politique allemande s’est arrangée pour mettre le maximum de freins à l’idée selon laquelle une monnaie commune entraînerait une Allemagne garante des autres pays. On est très loin de ce qui figurait dans le traité de Maastricht. En 1992, il interdisait ce qui s’est produit 20 ans plus tard : l’aide des Etats aux autres Etats surendettés, dans la clause de "no bail-out", c'est-à-dire de non renflouement.

Pour contourner cette interdiction, lors de la crise grecque, on a inventé une espèce de fonds de secours intérimaire (les Allemands ayant expressément exigé l’aspect intérimaire). Le fonds ne pouvait fonctionner que sur une période donnée, votée par les parlements nationaux. En France, quand l'affaire est passée devant le parlement, la gauche et la droite ont voté d'une seule main. En Allemagne, ça a été beaucoup plus complexe car les parlementaires allemands étaient plus réticents. C'est ce qui les a poussé à exiger qu'il y ait un nouveau traité pour pérenniser le fonds intérimaire, avec notamment le passage des budgets devant la commission de Bruxelles avant de passer devant les parlements nationaux.

On est dans une espèce de poker menteur : les Allemands prétendent que la réponse passe par plus de fédéralisme, mais eux-même ne le veulent pas vraiment, car ils demandent que leur parlement soit consulté pour chaque centime d'euro dépensé. Et nous, nous prétendons obtenir des Allemands qu'ils ouvrent leur coffre avant de discuter d'union politique et d'une harmonisation fiscale. Tout cela ne peut conduire qu'à une chose : l'implosion de la zone euro.

Que Mario Monti, qui n'est lui-même pas élu et se trouve à la tête d'un gouvernement technocrate, dise aux Allemands que ça serait bien de faire l'économie du passage devant les parlements nationaux, suppose que le chauffeur de taxi de Stuttgart accepte de travailler jusqu'à 68 ans pour payer les retraites à 60 ans en France et les dettes de la Grèce...

Il y a un vice profond dans cette affaire : ou bien on s'en sort par le haut, avec un contrat entre les nations et une harmonisation des politiques fiscales, et alors on a une chance de faire fonctionner une monnaie commune ; ou bien on reste avec des économies hétérogènes, et dans ce cas là je ne vois pas tout cela peut fonctionner.

Cette harmonisation des politiques fiscales, mais aussi sociales, des Etats implique-t-elle de gommer les parlements nationaux ?

C'est là qu'un François Hollande est dans un grand écart absolument total, qu'on verra en septembre lors de la ratification du traité budgétaire européen. Il avait déclaré ne pas vouloir le ratifier, en considérant que c'était potion amère de l'austérité pour les peuples européens, et aujourd'hui il a changé d'avis. Or, on ne peut pas augmenter le coût du travail en France, dévaloriser l'entrepreneur, et en même temps préconiser la ratification d'un traité fondé sur des règles de bonne gestion financière, de rigueur budgétaire, de gel des dépenses publiques. Il y a là un hiatus entre le discours qu'on tient aux opinions publiques et le vote des parlements nationaux d'une part, et la logique qu'il faudrait pour faire survivre une zone monétaire unique.

Quelle est donc la solution pour sortir de la crise actuelle ?

La seule façon pour que l'Allemagne soit garante de la monnaie unique serait que tout le monde fonctionne à l'Allemande. Or, vous n'allez pas transformer des Grecs ou des Français en Allemands. Pour l'instant, on met des rustines, on va de sommet en sommet en attendant que ça s'arrange, on vote des crédits d'urgence... On fait durer l'agonie, mais la maladie fondamentale est bien celle de la solidarité politique entre les nations.

Le dollar aux Etats-Unis a été créé sur le principe que chaque Etat fédéré présente un budget en équilibre ; avec en plus un pouvoir politique commun. C'est cela qui fait fonctionner le dollars dans un ensemble d'Etats fédérés qui sont diversement efficaces sur le plan économique. Mais en Europe, on n'a ni l'un ni l'autre : ni d'obligation de présentation de budget en équilibre - ce que prévoit le futur traité – ni harmonisation politique.

Je suis plutôt dans le camp des pessimistes, des gens inquiets et préoccupés par l'avenir de l'Union monétaire. Ce qui est préoccupant, c'est de savoir où est la France dans tout cela : si elle fait partie des pays du Nord de l'Europe, qui réussi dans la mondialisation, dispose d'une discipline budgétaire et se dote de moyens pour renforcer sa compétitivité, ou si on est dans le sud de l'Europe, où on a plutôt tendance à laisser dériver les comptes publics.

Les Parlements sont-ils compétents pour régler la question de la crise, ou doivent-ils être remplacés par des techniciens, à l'image de Mario Monti en Italie ?

Mario Monti n'a d'existence que si la machine économique italienne surmonte la crise. A un moment, il y aura des élections en Italie. Mario Monti n'a pas de base politique, il faudra qu'il en trouve une à ce moment-là.

Le cadre de la démocratie et de l'aventure européenne, c'est quand même les nations et les élections à l'intérieur de celles-ci. La fabrication du consensus européen se fait à partir des consensus nationaux. Personne ne forcera les Allemands à financer les dettes des Grecs ou des Espagnols, si ces derniers n'acceptent pas la discipline. Et cela ne peut passer que par les Parlements. De même qu'en France, vous n'allez pas convaincre les contribuables français, qui sont déjà parmi les plus taxés d'Europe, qu'il faut payer encore plus pour l'Europe du sud qui ne se réforme pas.

Pour que ça marche, il faudra un contrat entre les peuples, et que les pays se dotent des politiques fiscales et sociales les plus voisines possibles. Si on ne le fait pas, le risque est celui d'un éloignement de plus en plus grand des économies, avec l'Allemagne qui se globalise et est de plus en plus efficace, et les autres qui se désindustrialisent et qui deviennent des poids dans la zone euro, des poids que l'Allemagne doit supporter. C'est cela qui menace la zone euro.

Propos recueillis par Morgan Bourven

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