Des centristes disponibles pour rejoindre le gouvernement : quand le Modem s'enfonce dans ses incohérences...<!-- --> | Atlantico.fr
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Le MoDem a-t-il définitivement basculé à gauche ?
Le MoDem a-t-il définitivement basculé à gauche ?
©Reuters

Coming out

L'un des vice-présidents du parti a déclaré à La Croix ce lundi que le parti était "disponible pour élargir l'équipe gouvernementale". Le centre basculerait-il à gauche ?

Jean Garrigues

Jean Garrigues

Jean Garrigues est historien, spécialiste d'histoire politique.

Il est professeur d'histoire contemporaine à l' Université d'Orléans et à Sciences Po Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Histoire du Parlement de 1789 à nos jours (Armand Colin, 2007), La France de la Ve République 1958-2008  (Armand Colin, 2008) et Les hommes providentiels : histoire d’une fascination française (Seuil, 2012). Son dernier livre, Le monde selon Clemenceau est paru en 2014 aux éditions Tallandier. 

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Atlantico : L'un des vice-présidents du MoDem, Robert Rochefort, a déclaré à La Croix ce lundi que le parti était "disponible pour élargir l'équipe gouvernementale". Peut-on dire que le MoDem a définitivement basculé à gauche ?

Jean Garrigues : Ce serait aller un peu vite en besogne. Il y a plusieurs lectures possibles de cette interview, qui est sans doute et avant tout une manière d'occuper le terrain politique pendant les vacances. C'est une manière d'exister, pour une formation qui est en crise après la présidentielle. Il ne faut d'autant pas s'emballer que ce n'est pas une prise de position officielle du parti, mais l'interview de quelqu'un qui est certes important au MoDem, mais n'est pas une figure historique de la famille centriste.

La lecture très politicienne de cette interview serait de dire qu'au fond, il s'agit, avec un peu de décalage, de la deuxième partie d'un contrat « donnant-donnant » qui aurait été passé au moment de l’entre deux tours de la présidentielle, avec le choix de François Bayrou de voter pour François Hollande. De manière assez logique, il devrait être récompensé par l'octroi de portefeuilles ministériels. Cela n'était pas acceptable au lendemain de l'élection présidentielle pour l'électorat de gauche. Il pourrait donc s'agir de préparer l'opinion à ce recentrage gouvernemental.

Ce n'est d'ailleurs pas quelque chose de totalement inédit dans l'histoire des relations entre la gauche et le centre, puisque Michel Rocard en 1988 avait formé un gouvernement dans lequel il avait pratiqué l'ouverture au centre, avec des figures comme Jean-Pierre Soisson par exemple. Il faut donc minimiser l'effet d'innovation.

Il y a eu une évolution presque géométrique de François Bayrou depuis 2006, depuis son vote de la censure contre le gouvernement de Villepin. En 2007, l'accord aurait pu se faire entre Bayrou et Ségolène Royal, mais ça n'a pas été le cas. Et un pas nouveau a été franchi dans l'entre deux tour de la présidentielle.

Cette évolution s'est-elle faite sur le plan idéologique, ou est-elle seulement due à l'antisarkozysme de François Bayrou ?

François Bayrou l'a toujours dit : ce n'était pas une opposition contre la droite. Sous la 5ème République, la tradition est à l'alliance entre le centre et la droite, et des liens sont restés. Bayrou l'a toujours dit.

L'opposition était une opposition de fond contre la politique de séduction de l’extrême droite de Nicolas Sarkozy, et également une opposition au style et à la concentration des pouvoirs typiques de l'ancien président. Tout cela a justifié le choix du second tour. Ce n'est pas incohérent par rapport à l'évolution personnelle de Bayrou et de son parti.

Il y a aujourd'hui une contradiction entre la tradition de ne pas faire alliance à gauche – rompue une fois en 1988 – et la volonté de François Bayrou de se fixer dans un espace politique qui ne soit plus celle d'un parti marginalisé vis-à-vis de la droite ou la gauche.

Mais il y aurait une nouvelle contradiction à entrer dans un gouvernement de gauche. Les éventuels ministres issus du MoDem s'engageraient à adopter une politique qui ne serait pas celle de François Bayrou, au nom de la discipline gouvernementale. Or, cela serait totalement contraire avec l'esprit de la campagne de Bayrou, selon lequel il n'était pas question de transiger sur certains aspects de son programme, notamment la discipline budgétaire.

Le projet de François Bayrou était bien celui d'une union entre gens de gauche, du centre et de droite... mais autour de son propre programme.

Quel intérêt aurait le PS à accepter le MoDem parmi ses alliés, si la position de ce dernier est seulement anti-sarkoziste, mais favorable idéologiquement à la droite ? D'autant que cela mécontenterait les alliés d’extrême gauche des socialistes...

Je pense que Jean-Marc Ayrault et François Hollande n'ont aucun intérêt à faire rentrer des ministres centristes, alors qu'ils ont une majorité parlementaire solide. C'est un peu moins vrai au Sénat, où ils peuvent avoir éventuellement besoin des centristes.

De façon mécanique, l'entrée de centristes mécontenterait la gauche de la gauche, et ce serait un affaiblissement de François Hollande. Ça serait aussi en contradiction avec sa stratégie : il a toujours dit qu'il ferait un rassemblement de la gauche, comme Lionel Jospin avec la « gauche plurielle ». D'ailleurs, Robert Rochefort déplore dans l'interview que la stratégie de Hollande soit plus jospinienne que mitterrandienne.

Au fond, il y a une certaine incohérence politique de la part du MoDem et a assez peu d’intérêt pour la gauche. Et je ne parle même pas de toutes les réticences culturelles du PS vis à vis d'une alliance au centre. Des gens comme Henri Emmanuelli par exemple ne seraient absolument pas prêts à accepter une alliance, et ils représentent une partie des militants socialistes.

Qu'en est-il des militants centristes ? Le vote de François Bayrou pour Hollande a déjà eu « un coût extrêmement élevé politiquement », selon Rochefort...

Ca serait pire pour l'électorat centriste ! Qu'on le veuille ou non, il a pris des habitudes d'alliance avec la droite, et on voit bien de quelle façon ils ont été déboussolés lors des législatives de 2012. Ce serait donc affaiblir encore plus le MoDem par rapport à son électorat.

Jean Lassalle et Jean-Marie Valerenberghe, eux-mêmes vice-présidents du MoDem, se prononcent sur le JDD.fr contre cette alliance. Une telle division idéologique risque-t-elle de mettre à mal l'unité du parti ?

L'histoire du centre est une histoire de divisions et de séparations. Je pense qu'on assiste à une lutte d'influence entre plusieurs camps à l'intérieur du MoDem, avec une vieille garde représentée par Jean Lassalle et quelqu'un comme Robert Rochefort, qui est relativement neuf dans la famille centriste.

On peut quand même faire un constat politique : il est évident que la victoire de François Hollande au 2e tour de l'élection présidentielle s'est faite en partie grâce à des centaines de milliers d'électeurs centristes. Il y aurait une certaine logique à ce que ces électeurs soient représentés au gouvernement.

Qu'en est-il des autres partis centristes, par exemple l'Union des démocrates et indépendants ? Sont-ils toujours sur une position traditionnelle centre-droit ?

Au moment des législatives, où tout se joue en termes d'alliance politique, on a vu ces familles-là jouer plutôt le jeu traditionnel de l'alliance à droite. Mais on voit aussi que le positionnement des Radicaux de Jean-Louis Borloo, par exemple, tend à plus d'autonomie.

Il me semble improbable que ces autres partis jouent le jeu d'une alliance gouvernementale avec les socialistes. Cela paraîtrait complètement incongrus par rapport à leurs militants, leurs traditions et leur intérêt futur.

Propos recueillis par Morgan Bourven

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