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Eté meurtrier : Les multiples incertitudes de la zone euro vont-elles définitivement affoler les marchés ?
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Souviens-toi... L'été dernier

Traditionnellement, le mois d'août est compliqué pour les marchés, qui manquent de liquidités. S'y ajoutent cette année la déception après l'annonce par la BCE d'une reprise des achats de dette, et des doutes sur le comportement de l'Espagne et l'Italie.

Christian de Boissieu

Christian de Boissieu

Christian de Boissieu est économiste, spécialiste des questions monétaires et bancaires. Il est membre du conseil du collège de l'AMF (Autorité des marchés financiers) depuis mai 2011 et ancien régulateur bancaire.

Professeur à l'université de Paris I Panthéon-Sorbonne, il a été président du Conseil d'analyse économique de 2003 à 2012.

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Atlantico : Après avoir réagi négativement aux déclarations du président de la BCE jeudi, les marchés ont repris des couleurs vendredi, le CAC40 gagnant plus de 4%. Cette instabilité préfigure-t-elle un avenir délicat dans la zone euro ?

Christian de Boisseau : Au mois d'août, il y a toujours moins de volumes sur les marchés, car une partie des opérateurs est en vacances. Cela veut dire que tout écart dans un sens ou dans un autre cause des différences de cours importantes. Tous les mois d'août depuis dix ans ont été compliqués pour les bourses et la finance, justement à cause de ces problèmes de liquidités. C'est un problème structurel. Et le 4% pris par le CAC40 vendredi me confirme dans l'idée qu'il y a peu de liquidités en jeu. On perd 3% un jour, on gagne 4% le lendemain...

Par ailleurs, je pense que les marchés manquent actuellement de repères. Même si Mario Draghi a confirmé jeudi un certain nombre d'engagements, en disant que l'euro « est irréversible », les marchés restent sur leur fin. Car si la BCE est prête à reprendre des achats de dettes souveraines, cela ne se fera que sous un certain nombre de conditions. Le problème, c'est que ces conditions paraissent relativement exigeantes. La première, c'est qu'il faut d'abord que le pare-feu, le Fonds européen de stabilité financière (FESF) intervienne, fonds qui sera remplacé ensuite par le Mécanisme européen de stabilité (MES). 

L'autre condition, c'est que les pays concernés demandent de l'aide... ce qui ne semble pas être le cas pour le moment. Les Espagnols ont obtenu une aide européenne pour recapitaliser leurs banques, mais n'ont rien reçu en faveur de l'Etat, au contraire de la Grèce, du Portugal ou de l'Irlande. Car même si le spread est élevé - plus de 7% - le pays ne veut pas, pour des questions d'orgueil, faire appel à l'aide européenne, qui serait conjuguée à une intervention du FMI.

En 2007, août avait vu les premières faillites immobilières, qui présageaient la crise des subprimes. En 2011, les Etats-Unis perdaient leur AAA, toujours en août... Le manque de liquidité des marchés explique-t-il à lui seul que ce mois soit toujours particulièrement difficile ?

Il y a très souvent des problèmes au mois d'août, mais ce n'est pas seulement lié au manque de liquidités des marchés. La crise des subprimes a débuté le 9 août 2007, et au départ c'était un problème de liquidités des banques, pas des marchés. Le robinet interbancaire avait été coupé, les banques ne se prêtaient plus entre elles à cause d'une crise de confiance.

Ce qu'on vit en ce moment, ce n'est pas seulement une question d'insuffisance de liquidités. Le problème est plus général : on a affaire à des marchés sans ancrages et sans repères. La semaine dernière, Mario Draghi avait fait des déclarations très fermes, suivies de déclarations tout aussi fortes du président de l'Eurogroupe, Jean-Claude Junker, qui avait dit en substance qu'un plan entre la BCE et les gouvernements allait permettre de sortir de la crise. Ces deux interventions cumulées avait provoqué un optimisme, peut-être excessif, sur les marchés. Mais jeudi, Mario Draghi a été en retrait, par rapport à ses déclarations du 26 juillet. D'où la réaction négative des marchés.

Je pense en fait que Mario Draghi n'avait pas les coudées franches, notamment parce qu'il y a des débats à l'intérieur de la BCE. Le président de la Bundesbank, en particulier, est clairement donc la reprise des rachats de dette souveraine. Cela a dû jouer.

La prochaine réunion de la BCE aura lieu le 6 septembre, et d'ici là, aucune donnée conjoncturelle ne sera publiée. Les marchés seront donc dans le flou. Sur quoi pourront-ils se reposer ?

Il est clair que le mois d'août va être long. La prochaine réunion de la Fed est d'ailleurs également prévue pour septembre. On va donc vivre un peu en lévitation pendant quelques semaines. Heureusement, il y aura quelques jours de congé pour les marchés. On verra comment ça se passe.

La cour constitutionnelle de Karlsruhe, en Allemagne, a demandé deux mois de réflexion sur la validité du MES, le repoussant de facto à mi-septembre. Cela veut-il signifier que les mécanismes de stabilité sont bloqués d'ici là ?

Pas totalement. Tant qu'il n'est pas remplacé par le MES, le FESF existe. Mais le FESF, compte tenu de ce qu'il a déjà accordé, en particulier à la Grèce et au Portugal, ne doit plus avoir que 200 milliards d'euros. 200 milliards, c'est peu s'il y a un problème avec l'Espagne ou l'Italie.

Cela aussi crée un brouillard pour les investisseurs, qui se disent « on a mis en place des pare-feux en Europe, mais ils soulèvent des problèmes », dont un problème constitutionnel en Allemagne, même si je pense que la cour de Karlsruhe va finalement valider le MES, peut-être avec des conditions tenant à l'intervention du parlement. Dans tous les cas, cette décision n'interviendra que le 12 septembre. Cela montre également que le temps du politique ou du judiciaire est bien plus lent que le temps des marchés. Le 12 septembre, au rythme où on va, c'est dans une éternité !

L'Espagne et l'Italie ont prévu d'emprunter à moyen et long terme à la mi-août. Ces deux pays sont-ils particulièrement en danger cet été ?

C'est une des incertitudes de l'été : que va faire Monsieur Rajoy ? Va-t-il accepter de demander officiellement l'aide de l'Europe, en plus de ce qui a été accordé aux banques ? Sachant que l'Europe, ça veut dire Europe + FMI... Ce qui doit provoquer les hésitations de l'Espagne, c'est un problème d’orgueil qu'on peut comprendre, et la volonté de ne pas voir revenir le FMI. Politiquement, ce n'est pas facile de dire qu'on a la Troïka à Madrid, comme on a la Troïka en Grèce -même si heureusement pour l'Espagne, sa situation n'est pas celle de la Grèce.

Quant à l'Italie, je pense qu'elle est un peu massacrée par les marchés. C'est un pays qui a un excédent budgétaire primaire – c'est à dire un excédent si on enlève les charges d'intérêts sur la dette - et dont la capacité industrielle reste importante.

Je pense donc que dans la remontée des taux italiens, il y a un effet de contagion de l’Espagne vers l’Italie. Je ne suis d'ailleurs pas sûr que la visite de Monti en Espagne ait été une bonne chose. Que l'Italie et l'Espagne s'affichent ensemble, alors que leurs situations sont différentes, ne fait qu'encourager cette contagion. C'est élégant de la part de Mario Monti de jouer la solidarité avec l'Espagne, mais pas sûr que l'Italie y soit gagnante.

Qu'en est-il de la France, doit-elle craindre cette fin d'été ?

Non. Les sujets de l'été sont les sujets du printemps : l'Espagne, en première ligne, et l'Italie ensuite.

Le fait que Moody's ait mis l'Allemagne, les Pays Bas et le Luxembourg sous surveillance négative, en juin, a un peu calmé la pression sur la France. Les taux français à 10 ans sont aujourd'hui très bas. Notre pays a même emprunté à des taux négatifs à court terme, et je pense qu'il continuera à le faire. La France n'est donc pas spécialement dans l'oeil du cyclone.

Propos recueillis par Morgan Bourven

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