La politique réduite à de la com' : hommes politiques, journalistes, électeurs... tous coupables !<!-- --> | Atlantico.fr
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Aujourd'hui, à l’inverse de la célèbre formule de Jean-Pierre Chevènement, un bon ministre doit-il "ouvrir sa gueule ou démissionner" ?
Aujourd'hui, à l’inverse de la célèbre formule de Jean-Pierre Chevènement, un bon ministre doit-il "ouvrir sa gueule ou démissionner" ?
©Flickr / bookgrl

L'ère de l'hypercom'

Les ministres sont désormais en vacances. A cette occasion, Le Parisien a dressé dans son édition de mercredi matin un bilan du premier trimestre de chacun en distribuant les bons et les mauvais points. Les ministres « bien notés » sont ceux qui attirent les caméras et savent en jouer.

Christian Delporte

Christian Delporte

Christian Delporte est professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Versailles Saint-Quentin et directeur du Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines. Il dirige également la revue Le Temps des médias.

Son dernier livre est intitulé Les grands débats politiques : ces émissions qui on fait l'opinion (Flammarion, 2012).

Il est par ailleurs Président de la Société pour l’histoire des médias et directeur de la revue Le Temps des médias. A son actif plusieurs ouvrages, dont Une histoire de la langue de bois (Flammarion, 2009), Dictionnaire d’histoire culturelle de la France contemporaine (avec Jean-François Sirinelli et Jean-Yves Mollier, PUF, 2010), et Les grands débats politiques : ces émissions qui ont fait l'opinion (Flammarion, 2012).

 

Son dernier livre est intitulé "Come back, ou l'art de revenir en politique" (Flammarion, 2014).

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Atlantico :  Les ministres sont désormais en vacances. A cette occasion, Le Parisien a dressé dans son édition de mercredi matin un bilan du premier trimestre de chacun en distribuant les bons et les mauvais points. Laurent Fabius est loué pour « sa présence et son expérience », malgré son bilan modeste, notamment sur le dossier syrien. A l’inverse, plusieurs ministres apparaissent comme des cancres, avec cette sentence sans appel : « Qui les connaît ? Pas grand monde ». Est-ce à dire qu’aujourd’hui, à l’inverse de la célèbre formule de Jean-Pierre Chevènement, un bon ministre doit « ouvrir sa gueule ou démissionner » ?

Christian Delporte : La France a la manie des classements : meilleurs lycées, villes les plus agréables à vivre, célébrités préférées des Français… Plus le pays doute, plus il se rassure en distribuant les bons et les mauvais points à tout propos. La « culture de la performance » touche aussi les politiques. On se rappelle du reste qu’en 2007 Sarkozy avait envisagé de confier la notation des ministres à une entreprise d’expertise privée.

L’article du Parisien tient de la paresse journalistique, caractéristique de la période estivale. Evidemment, Laurent Fabius a pour lui la notoriété, et le ministère des Affaires étrangères donne toujours à son titulaire une image de prestige. Evidemment aussi, l’action d’un ministre de l’Agroalimentaire ou de la Formation professionnelle est moins spectaculaire pour les médias que celle d’un ministre de l’Intérieur ou d’un ministre du Budget, alors que les questions de sécurité ou de fiscalité sont au premier plan des préoccupations.

Les ministres « bien notés » sont ceux qui attirent les caméras et savent en jouer. Le cas de Manuel Valls, communicant de profession, populaire avant d’être ministre, plébiscité au ministère de l’Intérieur, est significatif à cet égard. Vous pouvez faire un travail de fond dans votre ministère, si vous ne passez pas à la télé, vous n’existez pas. Le discours et l’annonce prennent d’autant plus le pas sur l’action prolongée qu’on attend des résultats immédiats, que la politique se situe de plus en plus dans l’instant, qu’on veut répondre au plus vite à une opinion impatiente.

Il est désormais habituel d’entendre que la communication a pris le pas sur le politique. S’agit-il d’un cliché ou comporte-t-il une part de vérité ?

La communication fait partie de la politique : qu’un gouvernement explique ce qu’il fait et pourquoi il le fait est simplement une exigence démocratique. Après-guerre, les ministres se succédaient à la radio pour décrire leur action, au nom d’une certaine idée de la transparence et de la nécessité d’associer l’opinion aux décisions. Personne n’était choqué par cette forme de surexposition gouvernementale, vécue comme une preuve de démocratisation de la vie publique.

Mais, à cette époque, on croyait fermement à la puissance de l’Etat et, dans une période de reconstruction nationale, on se projetait collectivement dans l’avenir. Aujourd’hui, la communication se confond avec l’effet d’annonce qui masque l’impuissance de l’action et l’ambition individuelle qui pousse à l’artifice. Autrefois la communication célébrait la politique, aujourd’hui elle en dissimule la défaite face à un monde qui la dépasse.

Qui est responsable ? Les hommes politiques ou les journalistes eux-mêmes qui peuvent aborder plus rapidement et facilement une question politique sous l’angle de la com’ plutôt que de creuser le fond ?

Tout le monde est responsable du passage de la communication à la « com’ ». En 25 ans, les hommes politiques sont devenus de vrais communicants, sachant distiller formules, mots clés, éléments de langage dans le temps court imparti par les médias.

Les journalistes eux-mêmes vont spontanément vers les « bons clients », jamais avares en annonces, capables de résumer une pensée en vingt secondes. L’homme politique affirme, réplique, lance une petite phrase, mais ne démontre plus. Sans démonstration, on nie la complexité des choses. Mais l’opinion est également responsable, en exigeant des solutions immédiates à des problèmes qui demandent du temps pour être résolus. Depuis 1981, aucune majorité en place (exception faite de 2007, dans les circonstances particulières de la « rupture sarkozyste ») n’a été reconduite. Les gouvernements se savent menacés, ce qui les poussent à une com’ spectaculaire plutôt qu’à une action en profondeur.

La sur-communication et la sur-médiatisation peut être à double tranchant. A constamment vouloir être sur le devant de la scène, Arnaud Montebourg ne s’expose-t-il pas à un retour de bâton si les résultats ne suivent pas ?

Certainement, car l’opinion se lasse aussi vite qu’elle s’est enthousiasmée. Nicolas Sarkozy, et avant lui Valéry Giscard d’Estaing ont fait l’expérience d’une sur-médiatisation, d’abord bénéfique à leur popularité, ensuite particulièrement contre-productive. Car, de deux choses l’une : soit, face aux difficultés, vous changez de stratégie en cultivant désormais un certain silence et vous alimentez l’idée que votre sur-médiatisation n’était qu’artifice (Giscard d’Estaing) ; soit vous banalisez votre parole : on vous entend, mais on ne vous écoute plus (Sarkozy).

Si Montebourg, titulaire d’un portefeuille sensible, ne montre pas son efficacité en faisant reculer les entreprises défaillantes, il passera pour un Matamore ou un Tartarin, ce qui risque de plomber sa carrière mais aussi l’image collective du gouvernement.

Comment définiriez-vous un bon ministre aujourd’hui ?

Contrairement à ce qu’on croit généralement, un bon ministre n’est pas nécessairement un « spécialiste » du domaine de son ministère. Etre magistrat pour diriger le ministère de la Justice, par exemple, peut donner un avantage immédiat (on connaît le milieu) qui, hélas, risque de s’émousser très vite.

La qualité première d’un ministre est de savoir traiter un dossier, quel que soit le dossier, de savoir s’entourer d’une équipe, de donner confiance à son administration sans se laisser phagocyter par elle, de respecter la ligne gouvernementale en évitant les certitudes idéologiques, de faire preuve de pragmatisme. Et de savoir se taire…si on n’a rien à dire ! Ce ne sont pas les plus bruyants, les plus prompts aux annonces, les meilleurs causeurs de plateaux de télévision qui sont les plus efficaces. Mais là est la limite de l’exercice : être un bon ministre ne garantit pas d’accomplir une brillante carrière politique, à l’âge de l’hyper-communication.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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