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Régime : pourquoi fait-on davantage confiance aux magazines féminins qu'à son médecin ?
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Docteur ès régime

La nutrition est une discipline médicale universitaire très récente : elle date de 1991. Pour Jean-Daniel Lalau, les personnes en surpoids suivent plus volontiers les conseils des régimes-magazines que ceux des spécialistes, car les médecins généralistes ne sont pas suffisamment formés. Extraits de "En finir avec les régimes" (2/2).

Jean-Daniel Lalau

Jean-Daniel Lalau

Jean-Daniel Lalau est médecin, professeur de nutrition au CHU d'Amiens, docteur en sciences et en philosophie.

Il est l'auteur des livres En finir avec les régimes (éditions François Bourin) et Hospitalité - Je crie ton nom (éditions Chronique sociale). 

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"Retrouvez un bon équilibre », tel est le mot d’ordre ! Il vaut pour toute l’année : en juin, pour profiter de vos vacances ; en septembre, puisque vous avez profité de vos vacances ; en décembre, avant les fêtes ; en janvier, puisqu’après les fêtes, ce n’est plus la fête ; en mai, car en mai on ne fait plus ce qu’il nous plaît. Nous avons de quoi faire ! Nous avons du pain sur la planche ! Mais ce qui est formidable, avec la gamme que je vous présente, c’est que vous allez pouvoir à la fois « retrouver votre équilibre » (cela se voit tant que cela, que je tangue ?) ; « purifier votre corps » (il n’est pas propre, mon corps ?) ; « retrou­ver force et flexibilité » (ne suis-je pas jeune et large d’épaules ?).

En outre, chacun peut « bénéficier de tous nos conseils santé ». Pour la commande, vous n’avez même pas besoin de porter de sac à provision (et mon exercice physique, alors ?), vous n’avez qu’à cliquer sur le panier et vous serez livré à domicile. Elle n’est pas belle, la vie ?

Bien sûr, tout cela fait sourire. Mais je tourne en ridicule ce qui est malheureusement ridicule en soi. Et pourtant, ce type de publicité existe bien. Pourquoi cela ? Parce que les gens, les femmes en particulier, seraient des idiot(e)s ? Ou faut-il voir ici la marque, le symptôme même, de l’incapacité foncière de la médecine à apporter une réponse satisfaisante à un grand nombre de difficultés de santé ? Combien d’heures de forma­tion en nutrition ont-ils d’ailleurs reçues ? Pour un abord transversal de la nutrition, la formation aura-t-elle été dispen­sée en lien avec les sciences humaines ?

Reconnaissons-le, la nutrition est une discipline médicale universitaire toute récente (elle date de 1991). Elle ne donne encore lieu qu’à une spécialité complémentaire et non pas à part entière, la formation est encore indigente, l’équilibre nutritionnel n’est pas véritablement un sujet pour les examens. Alors que l’on enseigne depuis toujours la cardiologie, donc les complica­tions vasculaires… des maladies de la nutrition (l’infarctus du myocarde, l’insuffisance cardiaque du sujet obèse, etc.). S’ils n’ont pas reçu de formation satisfaisante, les médecins généralistes, une fois installés, n’ont pas le temps d’aider véritablement les personnes en difficulté avec leur poids compte tenu du mode actuel d’exercice. Enfin, la tarification est la même, que le motif de la visite soit une vaccination, un renouvellement d’ordonnance ou le traitement d’une obésité, d’un diabète. Ainsi, les médecins généralistes, quand ils ne quittent pas l’exercice libéral (ils sont nombreux à le faire aujourd’hui), n’ont pas véritablement la compétence ni le temps pour la prise en charge – ô combien difficile – de ces pathologies. Il ne faut donc pas s’étonner du fait que les personnes en difficulté aillent « voir ailleurs ».

Les préoccupations liées au corps, à la masse pondérale, sont pourtant bien présentes. Un symposium tenu en 2004 sous l’égide de l’Observatoire Cidil des habitudes alimen­taires, intitulé « Corps de femmes sous influence. Questionner les normes », annonce dans son affiche introductive que sept Françaises sur dix « avouent » entretenir un rapport difficile à leur corps et à leur poids ; alors que six sur dix ont un poids considéré comme normal selon les normes actuelles. De fait, il est établi qu’il n’y a guère de proportionnalité entre le degré d’accroissement ou de réduction de l’adiposité et le degré de perception du changement par le sujet. Aussi peut-on être quelque peu surpris du regard variable que le sujet obèse pose sur lui-même : relative inconscience, sous-estimation ou dénégation dans le cas de l’obésité majeure et tantôt, à l’inverse, amplification dans le surpoids modéré, ou même lors de la prise de quelques kilos seulement.

C’est ainsi que Nathalie, qui n’a pourtant pas de personnalité obsessionnelle, pleure en présentant son ventre comme un « gros tas », « énorme », parce que sa taille est passée du 38 au 40. Le problème, je pouvais m’en douter, n’était pas réellement là, pas seulement là. Son couple va mal. Il est vraisemblable que, dans une vie conjugale plus gratifiante, le relief abdominal eût été mieux supporté, et pourquoi pas même apprécié si elle menait une vie festive, dans le cadre d’une vie – ce serait le cas de le dire – « bien remplie ». Pour Arlette et Marie-Paule, le problème de poids qui est le leur, c’est en réalité de ne pas être récusées par le chirurgien consulté pour une hypertrophie mammaire importante. Dire qu’il faudrait que ce dernier problème soit « réglé » pour aller mieux et parvenir alors à perdre du poids ! La situation se complique encore dans le cas de Christian, qui sollicite une chirurgie gastrique pour réduire une obésité massive (il pèse près de 180 kg). La demande apparente est de perdre du poids, mais le but réel est de pouvoir bénéficier d’une deuxième intervention, la « vraie » cette fois, pour un changement… de sexe.

C’est avec prudence qu’il convient de faire le rapport de ces situations, qui pourraient s’inscrire à la marge des problèmes habituels et faire les choux gras des médias. De la sensation au sensationnalisme, le pas est vite sauté ! Malgré tout, la douleur du sujet obèse demeure bien présente.

[…]

Souvenez-vous, chère Madame : vous aviez vu un chan­gement quand vous avez repris un kilo, après en avoir perdu pourtant huit sans trop sourciller. Mais ce kilo, vous vous en souvenez parce que vous l’avez pris dans tel contexte, celui-là même qui vous en avait fait « prendre » antérieurement trois ou quatre. De sorte qu’au lieu de vous dévaloriser, de vous décourager (« Je n’y arriverai jamais »), vous pourriez vous féliciter d’avoir perdu en réalité deux à trois kilos par rapport au poids que vous auriez pris dans une telle situation ! Le verre est-il à moitié vide ? À moitié plein ?

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Extrait de "En finir avec les régimes", François Bourin Editeur (4 mai 2012)

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