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Afghanistan : la stratégie militaire française derrière le départ de Surobi
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L'envers du décor

Ce mardi matin, l'armée française a annoncé le départ de ses derniers soldats de la province afghane de Surobi. Un départ discret pour éviter les embuscades, présenté comme un exemple en la matière.

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Atlantico : La France a officialisé son départ de la province afghane de Surobi ce mardi matin. En quittant la base militaire de Tora, l'armée conclut ainsi ce que certains décrivent comme un exemple de « transition réussie ». Faites- vous le même constat ?

Emmanuel Dupuy : Ce départ est une étape. Cela fait des mois qu'on nous dit que les Français quittent la Surobi. En compilant les articles sur ce sujet dans la presse française, on a l'impression que les Français partent de Surobi depuis cinq mois. Cette fois, ça y est, les militaires sont partis. Mais en réalité, ils n'ont pas tout à fait quitté la région : la majorité d'entre eux restera à Warehouse, à Kaboul, au sein d'une force de réaction rapide (QRF) au cas où la 3ème brigade de l'Armée nationale afghane (ANA) qui prend le relais à Tora a besoin de leur aide.

La transition politique avait déjà commencé le 12 avril. La France avait alors rendu officiellement le contrôle de la Surobi à l'armée afghane. Cette-fois ci, il s'agit plus d'un transfert physique de la base en elle même où stationnaient les 650 Français.

Pour répondre à votre question, oui, cette transition est réussie. Elle se fait dans la continuité de premier transferts de bases avancées qui avaient déjà été rendus aux Afghans : Uzbin et Anjiran. Avec Tora, c'est le départ du commandement qui conclut cette démarche. Il faut noter que le drapeau français flottait sur cette installation depuis quatre ans. Dorénavant, il ne sera plus hissé en Surobi.

Ce maintien des troupes françaises à Kaboul, au sein de la force de réaction rapide, est-il une mesure de sécurité presque formelle ou répond-il à un risque fort de voir les insurgés reprendre du terrain en Surobi ?

Il y a toujours eu une QRF à Warehouse, composée de Français et de Géorgiens que nous avons entraîné à cette mission. Ce camp est situé sur la fameuse Highway 7 (qui relie Kaboul au Pakistan), à l'Est de Kaboul et le plus proche, de la base de Tora où étaient déployées les forces françaises. La vallée des gorges de Maypar est le point de passage obligé pour se rendre en Surobi. Sur tout ce secteur ont été instituées des patrouilles mixtes composées de soldats afghans, de policiers afghans et de militaires français.

Le maintien de cette QRF est crucial pour assurer la sécurité des prochains départs français et surtout de nos alliés, qui eux, ont choisi la voie de sortie orientale, via le Pakistan. Pour rallier ou quitter Kaboul, ils devront emprunter cette voie.

Pour ce qui est des insurgés, ils interpréteront comme à leur habitude le départ des Français comme une victoire. Ils insisteront sur le fait qu'ils les ont fait fuir. Même si on dit que la Surobi est une zone sûre, elle reste l'objet de régulières embuscades, notamment dans ces gorges de Maypar qui sont la partie la plus encaissée de la HW 7. En avril 2011, le commandant local de l'ANA avait été tué dans l'une de ces escarmouches.

On a vendu la Surobi comme étant le canton de Vaud. C'est vrai sur le plan administratif, à proximité des forces. La ville de Surobi est très militarisée : il y a le camp français de Tora, mais il y a aussi toutes les installations militaires afghanes autour (notamment un immense camp de l'ANA au-dessus du lac de Naghlu). Un peu plus loin sur la Hw 7, on trouve également la Provincial Response Company (PRC, force spéciale de la police afghane) qui a été entraînée par les forces spéciales roumaines  et les gendarmes français stationnés sur la base de Tora. Dans cette partie de la région et dans les vallées adjacentes, il y a peu de risques. Mais dans la vallée d'Uzbin et sur la Hw 7 en elle-même, l'activité insurgée reste potentiellement avérée.

Le départ de l'autre province où sont présent les Français, la Kapisa, se passera t-il selon le même modèle ?

Partir à l'improviste de Kapisa sera plus difficile : il n'y a pas qu'une seule base. C'était faisable à brève échéance en Surobi parce qu'il n'y avait que Tora.

Tout dépendra du contexte politique au moment du départ. Je vois mal comment l'insurrection ne profitera pas du départ d'une manière ou d'une autre. C'est au moment du départ que nos troupes seront les plus faibles. La stratégie peut consister en une sécurisation importante des routes, quitte à être un peu moins actif dans la haute partie des vallées, là où nous les combattions. L'activité militaire dans ces dernières devrait progressivement se réduire au profit des voies logistiques.

L'insurrection en Kapisa ne se compose pas que de combattants talibans défendant un projet de République islamique. On trouve aussi un certain nombre d'insurgés locaux, pour certains liés à de puissants réseaux de corruption, qui trouvent leur intérêt dans le harcèlement des forces occidentales.

Enfin, si la HW 7 est un point de passage très fréquenté, l'axe Vermont, en Kapisa, est plus isolé. Il est plus difficile de le contrôler et notamment de veiller à ce que les insurgés ne déposent pas de bombes improvisées dessus ; l'arrivée au début de l'année, d'une compagnie de l'Ancop (équivalent de la gendarmerie) a néanmoins permis de sécuriser d'avantage le sud de l'axe Vermont, au sud de Tagab.

Sur le plan de la symbolique. Ce départ très discret de Surobi ne risque t-il pas d'être perçu comme une fuite des militaires français ?

Dans tous les cas, dès qu'il y a un retrait de forces, suite à une opération ou une escarmouche, l'insurrection s'en sert de manière pragmatique  en clamant « regardez : nous avons réussi à repousser les ennemis ». Un retrait, quel qu'il soit, sera interprété de cette manière dans les jours qui viennent.

La presse afghane s'est habituée à l'idée que les Français s'en vont. Mais il y aura toujours des incrédules pour s'étonner de la vitesse à laquelle cela se fait et y voir un moyen d'éviter un départ symbolique et donc médiatisé.

En réalité, la 3ème brigade de l'armée afghane prend le relais. Il a bien fallu une forte coordination pour permettre cette transition. Depuis juin 2011, il y a un OCCD, c'est-à-dire un organisme de coopération et de coordination, au niveau du district qui devait justement faciliter le dialogue entre les différentes autorités, tant sécuritaire que politique.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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