Désirs de postérité
Génération Ségolène ? “L’histoire montrera qu’Hollande n’aurait jamais été élu sans la campagne de Royal en 2007”
"Comme François Mitterrand, j'ai lancé une génération politique" : c'est ce que prétend Ségolène Royal dans l'hebdomadaire Le Point cette semaine. Et si c'était vrai ?
David Valence
David Valence enseigne l'histoire contemporaine à Sciences-Po Paris depuis 2005.
Ses recherches portent sur l'histoire de la France depuis 1945, en particulier sous l'angle des rapports entre haute fonction publique et pouvoir politique.
Témoin engagé de la vie politique de notre pays, il travaille régulièrement avec la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol) et a notamment créé, en 2011, le blog Trop Libre, avec l'historien Christophe de Voogd.
Atlantico : Le magazine Le Point rapporte, dans son numéro de ce jeudi, des propos de Ségolène Royal. L’ancienne candidate socialiste à la présidentielle aurait déclaré notamment : « Comme François Mitterrand, j'ai lancé une génération politique ». Quel héritage laisse-t-elle aujourd’hui au sein du PS ?
David Valence : On peut prédire sans trop de risques que les historiens insisteront, dans 20 ou 30 ans, sur le rôle joué par Ségolène Royal dans le renouvellement intellectuel et générationnel de la gauche.
Son rôle dans le renouvellement intellectuel de la gauche est essentiel.
Alors que ses camarades en étaient encore à disserter sur une "défaite injuste", elle est d'abord la première à avoir su tirer les leçons de l'échec cuisant de Lionel Jospin en 2002. Comment ? En prenant ses distances avec l'action conduite entre 1997 et 2002, notamment sur la sécurité - elle proposait un encadrement militaire pour les jeunes délinquants, par exemple - ou les 35 heures, qu'elle n'avait pas hésité à critiquer.
Bref, la candidate socialiste de 2007 avait fait le bon diagnostic : pour gagner, la gauche devait renouer avec les catégories populaires, qui avaient ignoré le candidat Jospin en 2002. Cela passait notamment par une référence constante à la Nation dans ses discours, deux ans après l'échec du référendum de 2005. La reconquête des ouvriers a commencé à gauche avec la candidature de Ségolène Royal, comme le montrent les sondages réalisés alors.
Au fond, Ségolène Royal a ouvert la voie à une candidature sociale-démocrate, qui n'hésite pas à investir certaines valeurs de droite mais serait plus "classique" que la sienne sur la forme : celle de François Hollande. Elle a également remis la question du féminisme et de la parité au coeur du débat politique.
Son rôle dans le renouvellement des générations, à gauche, n'est pas moins important.
En 2007, la gauche restait animée par des personnalités formées à l'époque de François Mitterrand (Laurent Fabius, Martine Aubry, Dominique Strauss-Kahn) et mobilisées à nouveau sous Jospin. Beaucoup de militants socialistes réclamaient de nouvelles têtes, un peu d'air frais.
Par manque de soutiens au sein du Parti socialiste, Ségolène Royal a dû s'appuyer sur de jeunes élus prometteurs, à qui elle a su faire confiance. Là encore, elle a permis de tourner les pages Mitterrand et Jospin.
Je pense à Guillaume Garot, aujourd'hui ministre de l'Agroalimentaire et qui était encore très proche de Ségolène Royal l'an dernier, au moment des primaires où elle a été défaite ; à Delphine Batho, qui lui a succédé dans sa circonscription de Melle, dans les Deux-Sèvres ; à Aurélie Filipetti qui, venue des Verts, était assez isolée au PS quand Ségolène Royal l'a intégrée à sa garde rapprochée ; à Najat Vallaud-Belkacem, qui fut sa porte-parole pour la présidentielle de 2007.
Même Arnaud Montebourg, qui fut son autre porte-parole en 2007, doit beaucoup à Ségolène Royal !
Au fond, Ségolène Royal a eu, pour la gauche, un rôle comparable à celui d'Alain Savary au Nouveau Parti socialiste entre 1969 et 1971 ou à John Smith pour le Parti travailliste entre 1992 et 1994 : ils ont signé le premier acte d'une rénovation qui les a dépassés et dont d'autres (Hollande, Mitterrand, Blair) ont profité.
L’histoire montrera qu’Hollande n’aurait jamais été élu sans la campagne de Ségolène Royal en 2007.
Cette sortie de Ségolène Royal peut-elle aussi être interprétée comme un signe de rancœur à l’égard d’une partie des dirigeants du parti, sachant que nombre d’éléphants du PS ne l’ont pas épargnée dans le passé ?
Elle estime probablement que le rôle qu'elle a joué dans le retour de la gauche au pouvoir n'est pas assez reconnu. On ne peut lui donner tort sur ce terrain.
Ségolène Royal a aussi montré que, pour être le candidat des socialistes, il n'était pas nécessaire, et peut-être pas conseillé d'être leur patron. François Hollande a retenu la leçon, qui a quitté la tête du PS en 2008 pour se préparer à la présidentielle de 2012... Tout le contraire d'un Mitterrand qui avait dû devenir le patron du PS, en 1971, pour espérer pouvoir l'emporter dix ans plus tard.
Comment peut-on envisager aujourd’hui l’avenir de Ségolène Royal ?
C'est une équation extrêmement difficile. Je serais tenté de répondre, comme autrefois le président Queuille, que peu de problèmes résistent longtemps à l'absence de solutions...
Propos recueillis par Aymeric Goetschy
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