Accidents de montagne, noyades, sports extrêmes... Ces vacances qui tuent : pourquoi une telle prise de risques ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le kitesurf consiste à glisser sur une mini planche de surf en étant tracté par un cerf-volant.
Le kitesurf consiste à glisser sur une mini planche de surf en étant tracté par un cerf-volant.
©Reuters

Toujours plus loin, plus fort, plus vite

Adieu les plages de sable fin et la farniente ! Cet été, la mode est aux sports extrêmes. A la montagne ou à la mer, le nombre d'accidents recensés semble croître. Pourquoi prendre tant de risques, quand on peut bronzer en sirotant un cocktail ?

Thierry Goguel d'Allondans

Thierry Goguel d'Allondans

Thierry Goguel d'Allondans a été éducateur spécialisé pendant 20 ans avant de devenir formateur en travail social et docteur en anthropologie de l’Université de Strasbourg.

Il est l'auteur d'Education renforcée : La prise en charge des mineurs délinquants en France (Téraèdre, 2008) et de Le travail social comme initiation : Anthropologies buissonières (Erès, mars 2011).

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Atlantico : Noyades et accidents en montages semblent se multiplier, nous apprenant que les pratiques à risques  se multiplient chez les vacanciers. Comment expliquer que les estivants recherchent délibérément le risque ?

Thierry Goguel d'Allondans : La plupart des sports extrêmes qui rencontrent aujourd’hui le succès ont pour point commun de jouer sur le vertige. Le but est de provoquer un sursaut d’adrénaline, surtout pour ceux qui ont des vies hyperactives et qui ont besoin de sensations nouvelles.

Nous avons un rapport différent au corps et au paraître. On accepte de souffrir pour son apparence ; on vit le corps de manière plus intense. On peut modifier ce corps, comme c’est le cas dans un autre registre, celui des modifications corporelles : piercing, tatouage ou scarification. De même, dans les sports de l’extrême, on joue sur son corps pour prouver sa valeur.

C’est l’ordalie, on risque le tout pour le tout. Il s’agit d’un engagement total de soi.

Enfin, l’absence de rites de passage dans notre société explique qu’un certain nombre de jeunes trouvent d’autres moyens d’obtenir la reconnaissance, notamment d’une position d’adulte. Jusqu’à la Deuxième guerre mondiale, les rites de passage étaient nombreux. Dans l’espace du sacré, c’était la confirmation chez les Protestants, la communion chez les Catholiques, la Bar Mitzvah chez les jeunes Juifs, le passage au hammam chez les Musulmans…. Dans l’espace du profane, c’étaient les rites folkloriques des arts et traditions populaires de France, souvent autour de la conscription du garçon, ou de la fin de l’apprentissage, des rites d’Equinoxe… Dans la région où je vis, l’Alsace, ce sont en ce moment les feux de la Saint Jean. Si aujourd’hui, c’est surtout un peu de musique et beaucoup de bière, c’était auparavant un rite de passage pour les conscrits.

Après 1945, ces rites se sont substitués, dans les pays industrialisés, avec une adolescence devenue interminable. Le philosophe contemporain Marcel Gauchet dit que l’adolescent est devenu le modèle sociétal dominant. Nous sommes tous sommés d’être d’éternels adolescents, nous n’avons pas le droit de vieillir. Peut-être que ces jeunes adultes adeptes des pratiques extrêmes jouent en cela cette éternelle jeunesse.

Qui sont ces vacanciers amoureux du risque ?

On trouve rarement parmi eux des classes populaires. Les classes moyennes, voire aisées peuvent se permettre de pratiquer les sports de l’extrême, qui coûtent cher – sauf peut-être pour ce qui est de la planche à roulettes ou des rollers.

Il s’agit en général d’adolescents ou de jeunes adultes.

Je suis amené à travailler avec des éducateurs, qui utilisent parfois les sports extrêmes avec des adolescents qui ne connaissent pas de limites, mais des sports contrôlés et encadrés par les conditions de sécurité, afin de travailler cette question des limites.

Peut-on constater une évolution ?

Les générations précédentes avaient certainement aussi envie de tout explorer. Mais ils avaient peut-être moins de moyens.

Le risque est vieux comme le monde. Nos lointains ancêtres prenaient déjà des risques, peut-être seulement pour survivre, mais aussi pour rompre la monotonie du quotidien.

Cela dit, s’il n’y a rien de nouveau sur le fond, c’est le cas sur la forme. Il existe aujourd’hui un sentiment d’invulnérabilité. On le voit tout particulièrement lorsqu’un des sportifs de l’extrême se blesse, parfois grièvement : c’est alors un retour à la réalité. Celui-ci réalise qu’il n’est pas un super-héros, comme Batman ou Spiderman, qui reviennent justement à la mode. Ces super-héros sont des métaphores de l’adolescent : ils sont capables de soulever des montagnes, mais se prennent les pieds dans le tapis lorsqu’ils retrouvent leur rôle d’être humain. C’est un peu l’impression que me laissent mes entretiens avec les sportifs de l’extrême.

Du point de vue des sociologues, on s’est penché sur la sociologie du risque à partir du milieu des années 1970. Une branche de la sociologie s’est intéressée à l’apparition des grands shows. Paris-Dakar, traversée de la Manche à la nage, trophée Jacques Vabres, et j’en passe : on a analysé cette médiatisation de l’aventure. C’est ainsi qu'on s’est rendu compte de ces prises de risque. Le deuxième grand courant de recherche sociologie était la prise de risque chez les jeunes.

La prise de risque est-elle vraiment plus importante en été, temps de l’insouciance, qu’au cours des autres périodes de l’année ?

Je ne pense pas. En tout cas, ces conduites à risque sont plus encadrées l’été. Les « camps » pour adolescents ou jeunes adultes qui proposent des sports de l’extrême se multiplient… mais ces sports sont encadrés. Les agences de voyage ne vendent plus des plages de sable fin, mais des horizons nomades, des treks en Himalaya, … qui donnent un petit coup d’adrénaline – et une petite facture – en plus. Ceci reste tout de même très balisé. Cela dit, il permet de donner le goût du risque.

Est-ce un phénomène mondial ?

Le phénomène est mondialisé. On va bien sûr trouver des différences nationales, mais elles sont subtiles.

Existe-t-il une culture du risque ?

Oui, c’est une culture. Certaines grandes manifestations musicales sont par exemple ponctuées par la prise de risque, liée à la consommation de stupéfiants, mais pas uniquement. En l’occurrence c’est une culture un peu underground, parfois altermondialiste, parfois un peu plus neo-punk.

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