Berlin-Pékin, même combat : l’Allemagne serait-elle en train de trahir l’Europe au profit de la Chine ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Parler de "trahison envers l'Europe" pour définir les rapports entre l'Allemagne et la Chine : procès d'intention à l'Allemagne ou réalité ?
Parler de "trahison envers l'Europe" pour définir les rapports entre l'Allemagne et la Chine : procès d'intention à l'Allemagne ou réalité ?
©Reuters

Ich bin ein Chinois

Comment analyser l'évolution des relations entre l'Allemagne et la Chine ? Le débat est ouvert...

Antoine brunet  et Henrik Uterwedde

Antoine brunet et Henrik Uterwedde

Antoine Brunet est économiste et président d’AB Marchés. Il est l'auteur de La visée hégémonique de la Chine(avec Jean-Paul Guichard, L’Harmattan, 2011).

Henrik Uterwedde est politologue et directeur adjoint de l'Institut Franco-Allemand de Ludwigsburg.

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Quand un pays, par ses initiatives successives, ne cesse de surprendre, il est légitime de s’interroger sur sa stratégie. C’est le cas de l’Allemagne et des relations de plus en plus particulières qu’elle entretient avec la Chine.

Listons d’abord ici les principales initiatives que, depuis 2010, l’Allemagne, de façon très énigmatique, a menées en direction de la Chine.

  • Première surprise. Au Sommet G20 de Séoul, en octobre 2010, les Etats-Unis de M. Obama entreprennent une offensive diplomatique qui désigne les excédents commerciaux chinois massifs et répétés comme une source de crise pour les Etats-Unis et plus généralement pour le reste du monde. L’offensive est légitime. Contre toute attente, l’Allemagne s’associe à la Chine pour éconduire les Etats-Unis. Il en résulte un fiasco total pour les Etats-Unis. Les dirigeants chinois se montrent intransigeants et maintiennent intactes leur politique de change et leur politique commerciale, politiques qui, rappelons le, déstabilisent ouvertement le reste du monde, discrètement depuis 2001, ouvertement depuis 2007.

  • Deuxième surprise. Au printemps 2011, quand, face à la dictature Khadafi soutenue par la Chine et par la Russie, les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni et l’Italie s’associent pour aider militairement les insurgés libyens, l’Allemagne refuse nettement de se joindre à eux. Il ne fallait sans doute déplaire ni à la Chine ni à la Russie.
  • Troisième surprise. Entre septembre 2011 et février 2012, c’est l’Allemagne qui s’impose pour conduire, au nom de la zone euro, les négociations avec la Chine en vue d’obtenir son éventuelle participation ultérieure au financement du sauvetage de la Zone Euro. L’Allemagne surprend en accordant à la Chine les deux conditions tout-à-fait léonines qu’elle exigeait : l’engagement de l’Allemagne à maintenir un euro fort contre dollar (et indirectement contre yuan) et l’engagement de l’Allemagne à obtenir de ses partenaires européens le démantèlement immédiat et simultané de leurs systèmes de protection sociale.
L’Allemagne surprend davantage encore en octroyant un cadeau majeur à la Chine : une levée soudaine de tous les obstacles que l’Allemagne maintenait jusqu’alors à l’encontre des investissements chinois chez elle (« Welcome to chinese investments in Germany » dira Madame Merkel lors du Sommet sino-allemand en février 2012 à Pékin). En conformité à cela, déjà six des plus belles entreprises industrielles moyennes de l’Allemagne ont basculé dans les bras de l’Etat chinois au cours des six derniers mois.
  •  Quatrième surprise. Après plusieurs années de discussions interminables en son sein, la Commission européenne se décide enfin à proposer aux 27 pays de l’Union une initiative diplomatique commune visant à extraire de Pékin la réciprocité en matière d’accès aux marchés publics respectifs. Quel sera le seul des 27 pays à y opposer son veto ? L’Allemagne. 
  • Cinquième surprise. Juillet 2012. Monsieur Fabius, de retour d’un voyage officiel en Chine, exprime publiquement sa surprise. Il vient d’apprendre des autorités chinoises qu’elles « envisageaient » d’exporter des Airbus fabriqués en Chine sur les marchés tiers, au détriment naturellement des Airbus fabriqués en Europe et en dépit d’un accord antérieur très ferme selon lequel les Airbus fabriqués en Chine ne seraient vendus que sur le seul marché chinois. Qui donc a pu donner subrepticement un tel accord à la Chine sinon le management d’Airbus Industrie et d’EADS qui désormais est notoirement dominé par l’Allemagne ?

Ces surprises à répétition au cours des trois dernières années sont autant de services énormes que l’Allemagne a rendus à la Chine. On l’aura noté au passage, il s’agit là de services très particuliers.

Quand le front anti-Khadafi est affaibli par l’absence de l’Allemagne, quand la tentative américaine d’établir un front commun contre la politique commerciale de la Chine est mise en échec par l’Allemagne, les démocraties occidentales s’affaiblissent et laissent le champ à la Chine dans sa marche à l’hégémonie mondiale…..

Quand Madame Merkel s’engage avec la Chine à maintenir un euro beaucoup trop cher pour la compétitivité de l’Europe du sud et de la France, quand elle met en échec l’accès des entreprises européennes aux marchés publics chinois, et quand le management allemand d’EADS compromet gravement la capacité d’EADS Europe à exporter, c’est l’industrie européenne, l’économie européenne et l’emploi européen que l’on met gravement en péril à un moment qui est pourtant crucial.

On reste confondu devant le comportement de l’Allemagne qui sacrifie l’intérêt de ses alliés traditionnels à la démarche nouvelle qu’elle a adoptée à l’égard de la Chine. La question qui vient alors très naturellement est la suivante : à mesure de ses efforts visant à se rapprocher de la Chine, l’Allemagne n’en serait-elle pas arrivée à remettre en cause son alliance de longue date avec les Etats-Unis et à remettre en cause également le pacte majeur qu’elle avait passé avec ses partenaires de la zone euro pour la mise en place de l’euro en 1999 ? Ce questionnement, très légitime, devrait en tout cas éclairer d’un jour nouveau les débats actuels autour de l’avenir de la zone euro.

Antoine Brunet


Voici la réponse de Henrik Uterwedde, politologue et directeur adjoint de l'Institut Franco-Allemand de Ludwigsburg :

Atlantico : Peut-on, selon vous, parler de "trahison envers l'Europe" pour définir les rapports entre l'Allemagne et la Chine évoqués par Antoine Brunet. Est-ce lui faire procès d'intention à l'Allemagne, ou s'agit-il d'une réalité ?

Henrik Uterwedde : Ce n’est pas seulement « un procès d’intention » : ce texte relève de la théorie du complot. J’adore cela quand je lis les romans d’Umberto Eco, mais en politique… J’ai du mal à prendre au sérieux un texte qui arrange à sa guise « ses » vérités, et qui est truffé d’allégations comme « l’engagement de l’Allemagne à obtenir de ses partenaires européens le démantèlement de leurs systèmes de protection sociale », l’affirmation que le management d’Airbus et d’EADS serait passé sous domination allemande, ou que l’Allemagne remettrait en cause ses alliances et le pacte de Maastricht créant l’Union monétaire. Menteuse, Angela Merkel, quand elle vient de déclarer, vendredi 27 juillet, avec François Hollande être « fondamentalement attachée à l’intégrité de la zone euro » et être déterminée « de tout faire pour la protéger » ?

Oui, l’industrie allemande, puissante et performante, est plus que d’autres dépendante des exportations, et cela crée des problèmes tant au niveau national qu’en Europe. Oui, les exportateurs cherchent de plus en plus les marchés dynamiques hors Europe. Serait-ce un crime de réussir là ou d’autres ne le font pas ? Oui, les gouvernements allemands hésitent souvent à utiliser des « armes » commerciales européennes comme le voudraient certains partenaires, par peur d’un engrenage d’une guerre commerciale. Oui, le gouvernement allemand (pas seulement lui d’ailleurs) cherche à avoir de bonnes relations économiques avec la Chine, et cela pose un certain nombre de questions sur la politique européenne à adopter vis-à-vis de ce pays. Oui encore, la politique allemande est parfois égoïste, contradictoire, contestable même (mais qui veut jeter la première pierre ?) ; cette contestation s’exprime au quotidien tant en Allemagne qu’en Europe.

Tout cela mérite débat – un débat équilibré qui ne cherche pas systématiquement la faute chez l’autre, un débat contradictoire car il s’agit de questions vitales : quel avenir de l’Union monétaire, quelle politique économique et budgétaire à mener, quel espace de solidarité à chercher, avec quels préalables en termes d’Union politique ? Quelle politique commerciale européenne, quelles relations extérieures de l’Europe ?

Mais, de grâce, épargnez-nous le manichéisme, l’amalgame, la caricature des positions du partenaire, qui n’ont jamais été de bon guides pour engager les vraies discussions et controverses, sur un avenir qui nous engage tous.

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