La famille Peugeot punching ball du gouvernement : le capitalisme familial est-il vraiment moins social que les fonds d’investissements ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les échanges entre la famille Peugeot, qui détient 25,4% des parts du groupe, et le ministre du Redressement productif ont été musclés ces derniers jours...
Les échanges entre la famille Peugeot, qui détient 25,4% des parts du groupe, et le ministre du Redressement productif ont été musclés ces derniers jours...
©Reuters

Lions de père en fils

Arnaud Montebourg reçoit ce jeudi Thierry Peugeot. Malgré les échanges acerbes, le gouvernement doit-il se réjouir de négocier avec une entreprise familiale plutôt qu'avec une entreprise dominée par des financiers ? Le point de vue de Michel-Edouard Leclerc, fils du fondateur et directeur du groupe Leclerc.

Michel-Edouard Leclerc

Michel-Edouard Leclerc

Michel-Edouard Leclerc est dirigeant de E. Leclerc,

une enseigne de grande distribution fondée en 1949 par son père Edouard Leclerc.

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Atlantico : Arnaud Montebourg reçoit ce jeudi Thierry Peugeot, président du conseil de surveillance de PSA Peugeot Citroën, au sujet de la suppression de 8000 postes en France. Les échanges entre la famille Peugeot, qui détient 25,4% des parts du groupe, et le ministre du Redressement productif ont été musclés ces derniers jours. N’est-il pas pour autant préférable d'avoir un « capitalisme familial » plutôt qu'un capitalisme dominé par le monde de la finance ?

Michel-Edouard Leclerc : Le capitalisme familial est toujours plus innovant dans la phase pionnière d'un projet. Et la maîtrise dans la durée d'un projet économique est toujours préférable au côté aléatoire d'un capital dont les actionnaires sont anonymes.

Les entreprises qui restent dans le projet des fondateurs, en servant le projet initial, ont plus de forces que celles qui sont soumises à des conseils d'administration qui changent de mains et de rapports de pouvoir régulièrement. Ainsi, Dassault, Michelin ou Bonduelle ont puisé leur force dans la constance des investisseurs et dans la fidélité à leur projet. Il en est de même avec des groupes comme Leclerc ou Mulliez (NDLR : Auchan).

La maîtrise du capital permet des effets de levier considérables pour acquérir des parts de marché ou même constituer une marque. Ce mode de développement est imbattable dans les secteurs de la consommation courante.

Mais les difficultés relatives au capitalisme familial se manifestent lors de la transmission et du développement de l'entreprise. Les modes de gouvernance ne s’adaptent pas systématiquement. Il y a un moment où les fondateurs ne peuvent faire fi des problèmes de gouvernance sous prétexte qu'ils gèrent leurs intérêts.

Le modèle familial atteint ses limites lorsqu'il s'agit de prendre une dimension supérieure, d’appeler à des capitaux extérieurs ou faire appel à des partenariats. La dissociation capital-gouvernant, propriété-management est alors rarement travaillée ou pensée dans l'optique de l'adapter à une gouvernance plus rationnelle.

La question n'est donc pas tant celle d'un capitalisme indépendant, familial ou de réseau, mais celle du manque de mise à niveau des systèmes de gouvernance lorsque l'on souhaite développer un projet pour aller plus vite.

Comment jugez-vous la position du gouvernement vis-à-vis de la famille Peugeot ?

Sur la forme, je pense que cette position vis-à-vis de la famille Peugeot est trop violente. Néanmoins, Arnaud Montebourg et le gouvernement se retrouvent devant le fait accompli : ce plan aurait pu être déclenché plus tôt. On ne peut donc pas totalement reprocher au gouvernement son irritation et sa volonté de vouloir rééquilibrer la situation.

J'ai beaucoup d'admiration pour la famille Peugeot et les équipes de l'entreprise. Ils ont donné du rêve, de l'emploi et de la croissance à la France.

Mais au-delà de la forme, à partir du moment où une entreprise privée, quels que soient ses talents, ses mérites, son histoire et son apport au pays, fait appel à l'Etat ou accepte des fonds de la part de l'Etat dans le cadre d'une aide à un plan social, il ne peut être reproché au gouvernement de négocier les deniers publics. On peut critiquer les expressions utilisées par Arnaud Montebourg, mais pas le fond de son action. Il est dans son rôle.

Qu'est ce qui distingue le capitalisme familial du capitalisme financier ?

Le principal élément de distinction est l'attachement à la durée. Notre principale force est que le manager de l'entreprise est également l'actionnaire. Il peut donc étalonner ses performances dans la durée.

Les entreprises familiales représentent l’œuvre de toute une vie. Par conséquent, elles veulent augmenter leur patrimoine à long terme sans obsession de rentabilité immédiate. Elles peuvent ainsi chercher des parts de marché et tenter de nouvelles expériences. Le capitalisme familial a donc l'avantage de la flexibilité, et de l'évaluation de la prise de risque dans la durée. Cela garantit la stabilité.

A l'inverse, des groupes comme Carrefour ou Colony Capital ont des actionnaires volatiles, ce qui leur impose une rentabilité immédiate. Ces entreprises n'osent donc pas prendre de décisions qui ne sont rentables, ou même reporter l'appréciation de la rentabilité sur une échelle plus longue, parce qu'elles doivent rendre des comptes aux marchés à court terme alors qu'elles font face à des schémas de rupture dans leur expansion.

Lorsqu’une entreprise familiale s'allie ou s'endette vis-à-vis d'anonymes, il faut rendre des comptes aux autres parties prenantes, ce qui peut déboucher sur un conflit d'intérêt entre le groupe familial initiateur, qui continue de travailler « à l'ancienne », et les partenaires qui ont d'autres exigences et qui considèrent que la vision du fondateur ne prime pas sur les besoins de rentabilités.

La structure familiale donne de la force au début du projet car l'intérêt de l'entreprise ne consiste pas exclusivement à gagner de l'argent, mais réside aussi dans la poursuite d'un rêve, d'un projet.

N'est-il pas préférable d'avoir une famille comme interlocuteur plutôt que des investisseurs divisés dans le capital d'une entreprise dans une situation de crise?

Aider Peugeot consiste à développer un projet industriel et des gens sérieux. Mais nous ne pouvons pas faire de généralité.

Les entreprises familiales sont-elles toujours adaptées à la mondialisation du XXIe siècle ?

La mondialisation n'a pas forcément un visage impersonnel et n'est pas un critère de management. Il y a des entreprises à caractère familial partout dans le monde. Par exemple, les grands groupes indiens tels que Tata ou Mittal sont de grands groupes familiaux. Il ne faut pas cantonner les entreprises familiales aux PME.

E.Leclerc est une fédération de plus de 700 PME. Il s'agit d'une association d'entrepreneurs familiaux et indépendants qui mettent en commun leurs moyens sous forme coopérative. Certes la marque E.Leclerc est une marque nationale et européenne, mais ses composantes, ses décideurs et ses modes de management sont familiaux.

En 2011, votre groupe a réalisé 37,8 milliards d'euros de chiffres d'affaires, dont 2,8 milliards à l'international. Comment gère-t-on une entreprise familiale lorsque celle-ci est aussi importante qu'une multinationale ?

La famille Leclerc n'est pas dirigeante des centres Leclerc, pas plus qu'elle n'en est propriétaire. Je suis salarié de la coopérative des centres Leclerc. J'ai un mandat social est statutaire mais mon pouvoir opérationnel tient à ma fonction dans l'organisation et à ce titre, je suis révocable comme tout dirigeant.

Propos recueillis par Olivier Harmant


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