Des ministres qui n’ont jamais mis les pieds dans une entreprise peuvent-ils vraiment imaginer comment sauver l’industrie automobile ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Aucun membre du gouvernement n'a eu à gérer une entreprise. La méconnaissance de cette réalité peut-elle se révéler préjudiciable pour mener à bien pareille tâche ?
Aucun membre du gouvernement n'a eu à gérer une entreprise. La méconnaissance de cette réalité peut-elle se révéler préjudiciable pour mener à bien pareille tâche ?
©Reuters

Demande formation professionnelle

Le gouvernement veut soutenir le secteur automobile suite aux déboires de PSA. L'absence d'expérience en entreprise des ministres qui le composent ne risque-t-elle pas d'être un handicap ? "Chacun son métier", estime Noël Forgeard.

Noël Forgeard

Noël Forgeard

Noël Forgeard est un homme d'affaires français. Ancien dirigeant d'EADS, il est aujourd'hui associé senior à l'Arjil, un groupe d'investissement bancaire indépendant.

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Atlantico : Le gouvernement présente ce mercredi son plan de relance du secteur automobile français suite aux déboires de PSA. Aucun membre du gouvernement n'a eu à gérer une entreprise. La méconnaissance de cette réalité peut-elle se révéler préjudiciable pour mener à bien pareille tâche ?

Noël Forgeard : Aucun membre du gouvernement n’a eu à gérer directement une entreprise, dites-vous : je n’en sais rien, et ce n’est pas, me semble-t-il, le problème essentiel, même si on ne peut que souhaiter que davantage de personnes du monde de l’entreprise se présentent aux élections.

Je vais peut-être vous surprendre, mais à chacun son métier ! Dans la période gaullo-pompidolienne, la situation était largement la même que maintenant et ce fût probablement l’une des périodes les plus fécondes pour notre développement industriel.Madame Merkel n’a jamais, que je sache, été elle-même chef d’entreprise, pas plus que beaucoup de dirigeants chinois. Non, la différence, c’est que dans les exemples que je cite, sans exception, l’entreprise industrielle a été reconnue comme non pas une, mais LA grande cause nationale, et que les orientations politiques ont été prises en conséquence, même celles impopulaires à court terme.

Aux politiques, il appartient d’abord de reconnaître publiquement et d’affirmer le rôle de l’entreprise comme seul lieu de création de richesse. Ensuite, de fixer les conditions générales pour que l’entreprise française devienne plus compétitive : moins de charges sur les salaires, plus de flexibilité du contrat de travail, une gouvernance orientée vers le long terme et privilégiant la recherche-développement et la discussion entre directions et partenaires sociaux et une réorientation de l’épargne privée, en particulier celle confiée aux compagnies d’assurances, vers l’entreprise.

Par ailleurs, je pense que certaines actions sectorielles ne sont pas à ranger au magasin des accessoires démodés : elles peuvent procéder soit d’une vision politique inspirée, soit de la nécessité de répondre aux besoins de certaines professions. Dans tous les cas, il est souhaitable que ces actions soient alors validées avec ces dernières avant d’être arrêtées. Le soutien à la R&D dans le domaine des véhicules électriques et innovants fera, j’imagine, l’objet d’un tel consensus.

Il y a enfin ce que l’État doit absolument s’abstenir de faire : se laisser aller au populisme - cela est arrivé sous tous les régimes - ou attiser les clivages sociaux. C’est ce qui arrive lorsqu’on met au pilori des actionnaires, en difficulté peut-être, mais qui ont eu le mérite de défendre leurs usines en France. Ce qui est grave alors, ce n’est pas tant le dommage causé aux uns ou aux autres, même s’il est injuste, c’est la dépréciation, dans les esprits, de l’idée même d’entreprise et l’affaiblissement des sociétés concernées. Aujourd’hui, la France doit au contraire se rassembler autour du patrimoine en danger que sont devenues ses entreprises, après 30 ans de déclin lent et 10 ans de déclin accéléré ! Ce rassemblement correspond, me semble-t-il, à la philosophie du président de la République. Les compétences existent pour sa mise en œuvre par l’actuel gouvernement.

Une pratique entrepreneuriale pourrait-elle être utile pour relancer le secteur automobile ? Une vision politique n'est-elle pas insuffisante ?

Je ne connais pas personnellement le secteur automobile et je n’aime pas m’exprimer sur ce que je ne connais pas. Il me semble que c’est un des plus difficiles qui soient, car le marché est mondialisé, avec un grand nombre de producteurs. C’est plus difficile que dans les industries qui produisent localement pour vendre localement, comme Lafarge, ou qui, certes adressent un marché mondial, mais en appartenant à un oligopole encore restreint, comme l’aéronautique pour l’instant.

Peugeot ne sortira de ses difficultés qu’à l’initiative de sa direction et de ses actionnaires, ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas les aider. Regardez aux Etats-Unis l’évolution massive de stratégie que les grands constructeurs ont su conduire en peu d’années, avec le soutien de l’Etat pourtant le plus libéral du monde. Regardez ce que je perçois comme l’amorce d’un certain redémarrage de l’industrie automobile en Grande-Bretagne. Tout est possible si l’entreprise et les pouvoirs publics se parlent avec réalisme et dans le respect mutuel. Dans cet « échange », la responsabilité de l’entreprise doit être fondamentalement préservée. En contrepartie de son soutien, il est légitime que l’Etat recherche des engagements : attention cependant à ce qu’il ne formule pas de demandes trop contradictoires…

Vous avez travaillé dans divers cabinets ministériels avant de présider EADS de 1998 à 2005. Quel bilan tirez-vous de cette expérience personnelle sur la capacité de l'Etat à s'insérer dans la politique d'un grand groupe français tel que PSA ?

Lorsque j’ai été nommé responsable d’Airbus, en 1998, je ne venais pas de la fonction publique : j’avais derrière moi 16 ans d’entreprise, 5 dans la sidérurgie et 11 chez Matra. Jamais les actionnaires d’Airbus ne m’auraient confié cette responsabilité sans cela. Mais il est vrai que j’ai appartenu aux cabinets de Joël Le Theule et de Jacques Chirac, d’où j’ai eu un bon point d’observation.

La formulation de votre question me désarçonne : en vertu du principe de responsabilité que j’ai rappelé, il n’appartient certainement pas à l’Etat de « s’insérer » dans la politique d’un groupe privé. De l’accompagner, de l’appuyer, éventuellement tout au plus de l’infléchir, peut-être. J’ai vécu des périodes fastes et d’autres qui l’étaient moins. La politique de l’Etat en matière de programmes aéronautiques civils peut, dans la durée, être considérée comme un modèle, et elle a été d’une grande continuité, sous tous les gouvernements. Il faut dire qu’elle a toujours tenu le plus grand compte des analyses de marché de l’entreprise. Je suis moins positif sur les avatars de Thalès entre 1997 et 2006, dont la fusion avec Matra puis EADS a été bloquée sur la base, à mon sens, de mauvais arguments. J’espère que son cadre actuel permettra à cette belle entreprise de s’épanouir pleinement.

Cette absence d'expérience entrepreneuriale est-elle propre à la France ? La situation est-elle différente chez nos voisins européens ?

Non, ce que vous appelez « absence d’expérience entrepreneuriale » dans l’Etat n’est pas propre à la France. C’est le cas dans d’autres pays européens, moins il est vrai aux États-Unis. Certains pays, pourtant, réussissent mieux que nous. C’est qu’ils font l’union sacrée autour de l’idée que l’entreprise est le seul moteur de la création de valeur et qu’il faut donc, avant tout, la développer dans la durée. C’est le cas du Japon ou de l’Allemagne. Comme dans ces pays, nous devons tout subordonner, je dis bien tout subordonner à l’exportation ; nous n’aurions ni problème majeur d’emploi ni problèmes de financement de notre déficit budgétaire, si notre balance commerciale était excédentaire.

La contribution aux exportations doit devenir le premier critère de l’investissement public. Dans certains domaines, l’union sacrée peut nécessiter du courage. Prenons le cas des implantations à l’étranger, improprement appelées délocalisations. Pendant tous mes mandats dans l’aéronautique, j’ai été extraordinairement prudent sur ces sujets ; j’ai cependant engagé, en particulier vis-à-vis de la Chine, une politique de présence mesurée qui, à mon sens, conditionnait notre succès commercial. Cette politique a été poursuivie par mes successeurs ; elle a contribué à une bonne santé globale d’Airbus, lui permettant d’investir massivement en Europe et d’y développer l’investissement et l’emploi.

Si aujourd’hui, une partie du soutien de l’Etat à l’automobile lui permettait, directement ou indirectement, de conforter ses percées en Chine ou au Brésil, et ceci au bénéfice de l’entreprise globale, donc de l’emploi en France, je n’en serais pas choqué. Mais il faut beaucoup de courage pour assumer une telle position qui privilégie le moyen/long terme. Le début d’un mandat est un moment propice pour le faire !- avec bien sûr les contreparties appropriées en France de la part des entreprises qui accepteraient un tel soutien.

Propos recueillis par Franck Michel

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