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Un bon Tour de France est-il
un Tour de France dopé ?
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Check Schleck

Absence de suspens, manque d'attaque... La 99e édition du Tour de France, marquée par deux affaires de dopage, manque de punch. Autoriser les coureurs à prendre des produits dopants permettrait-il de pimenter le spectacle ?

Erwann Menthéour

Erwann Menthéour

Erwann Menthéour a été coureur cycliste de 1988 à 1997. Il a publié Secret défonce, ma vérité sur le dopage.

Il développe aujourd'hui une méthode de remise en forme au travers du coaching sportif : Fitnext.

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Atlantico : A quelques jours de l’arrivée, ce 99e tour de France a été marqué par l'absence de véritable de suspens au général et par la faiblesse des attaques. Il a en outre été secoué par deux affaires de dopage : Rémy Di Gregorio et Fränk Schleck ont été priés de rentrer chez eux. Cette lutte contre le dopage est-elle un peu responsable du manque de spectacle ?

Erwann Menthéour : Il y en avait beaucoup moins quand tout le monde se dopait. A mon époque, dans les années 90, avant l’affaire Festina, 100% du peloton se dopait. Tout le monde prenait de l’EPO, des produits lourds. Le dopage qui existait avant les années 90, c’était l’équivalent d’un arc et de flèches. Et d’un coup est arrivé le nucléaire : des produits issus du produit génétique.

Il y avait donc un peloton qui faisait 51 de moyenne, où il n’y avait plus personne qui explosait, où plus personne n’avait de défaillance. Certaines équipes, qui bénéficiaient d’un meilleur protocole d’administration pour un produit, régnaient sur la course en mettant un tempo continu. Il n’y avait pas plus de spectacle qu'aujourd'hui.

Si tout le monde se dopait de manière égale, ne restait-il pas toujours des différences de niveau ?

Oui et non. Il ne faut pas oublier le travail et le talent. Mais ce dernier peut être un cadeau empoisonné pour ceux qui en ont beaucoup, car ils peuvent être tentés de travailler moins que les autres. Mais il est vrai qu'il y a quelques années, on a fabriqué des champions. Les produits ont permis à des coureurs qui n’auraient pas été capables de grimper en temps normal, qui auraient été limités par leur physique, d’aller plus loin.

Il faut aussi se rappeler que certains médecins signaient des contrats d’exclusivité avec certains coureurs pour leur faire bénéficier de leur méthodologie, de leur savoir-faire en matière de dopage. Il y avait ainsi une hiérarchisation dans le peloton qui était liée aux salaires. Un coureur qui gagnait 100000 euros par mois pouvait avoir accès à des protocoles d’administration et à des produits que celui qui émergeait à 5000 euros par mois ne pouvait pas se permettre.

Il n’y avait donc pas de spectacle. C’était un capitalisme forcené : les plus riches gagnaient plus, les moins riches progressaient moins, car ils n’avaient pas accès aux bons produits.

Comment cela se traduisait-il pour les spectateurs ?

Cela ne se traduisait par rien du tout. Ce dopage-là était chiant car certains trustaient les premières places. Certains coureurs étaient des rouleaux compresseurs et il n’y avait rien à faire, comme les Télécom, les Jan Ullrich. Derrière, il y a eu un peu Marco Pantani, mais qui était lui un champion extraordinaire. Il était un des rares grimpeurs ailés qu’a connu l’histoire du cyclisme. Puis est arrivé l’Américain, Lance Amstrong.

Vous parlez d’un basculement en 1990. On entend beaucoup parler de l’époque précédente avec nostalgie…

Oui,  souvenez-vous du Tour de France 1989 : la guerre Fignon/LeMond, avec d’autres intervenants qui pesaient sur la course. Tous les jours, le maillot jaune explosait, et le 2e redevenait premier. C’était un cyclisme à visage humain, c’était le physique qui parlait, le courage, le mental ! A l’époque, les coureurs ne pouvaient plus prendre d’anabolisants, ils prenaient des corticoïdes ; mais ça ne vous fait pas d’un cheval en bois un cheval de course !

Dans les années 1960-70-80, c’était un petit dopage. Il y a d’abord eu les stimulants et les antidouleurs. Les risques étaient de mourir tout de suite en dépassant trop le seuil de la douleur. C’est ce qui est arrivé à Tom Simpson au Mont Ventoux par exemple.

Puis sont arrivés les anabolisants, qui donnaient plus de force. Si vous regardez le gabarit des coureurs dans les années 1950-60, on voit qu’ils sont maigres. Dans les années 1970, ils ont commencé à prendre un peu de caisse... Mais très vite, les anabolisants ont disparu, car les contrôles ont commencé dès les années 1960 dans le vélo – c’est le seul sport avec l’athlétisme où il y avait des contrôles antidopage à l’époque. Comme ces anabolisants ont vite été découverts, les coureurs sont revenus aux corticoïdes, et on a revu des coureurs maigres.

Aujourd’hui, ces produits de « dopage léger » sont-ils illégaux ?

Ils sont illégaux, mais il y a des autorisations. Certaines équipes ont des chartes qui interdisent l’utilisation de certains produits. Chez AG2R par exemple, les corticoïdes sont interdits – le coureur qui en prend reste au repos.  Mais c’est autorisé pour d’autres équipes. Une enquête a par exemple été ouverte il y a peu concernant Europcar sur une possible utilisation de ce produit.

Autre exemple assez significatif : 80% du peloton est asthmatique et peut prendre de la ventoline. Ce qui est assez étrange tout de même pour des mecs qui roulent 35000 kilomètres par an.  

On parle rarement de dopage dans les autres sports. Michel Platini a même déclaré qu’il n’y a pas de dopage dans le football. Pourquoi cette différence ?

Comment ça s’explique ? Je vais vous donner des exemples concrets. J’ai été le premier coureur de l’histoire à faire un contrôle sanguin en course – Paris-Nice en 1997 – et le premier coureur à avoir été contrôlé positif. En 1997, l’Union cycliste internationale a mis en place un contrôle sanguin avec une limite arbitraire fixée à 50% d'hématocrite, c’est-à-dire la proportion de globules rouges contenus dans le sang par rapport au volume total. Moi, à jeun, je suis déjà à 49,5%, donc dès que je prenais de l’EPO, j’étais foutu. Mais il y a plein d’autres coureurs qui eux étaient à 39%, et pouvaient donc gagner 7-8 points sans être inquiétés. C’était injuste.

Et ce qui est également injuste, c’est que notre sélectionneur national actuel, Didier Deschamps, lorsqu’il était à la Juventus de Turin, était à 51,5% pendant plusieurs mois. Il aurait été coureur cycliste, il n’aurait pas pu exercer. Moi, j’aurais été plusieurs mois à ce taux-là, j’aurais été suspendu à vie. Il y a deux poids, deux mesures.

Qu’est-ce qui a poussé l’Union internationale de cyclisme à être plus stricte que les autres fédérations ?

Le dopage paraissait être plus naturel et culturel dans le cyclisme, ce qui était vrai à une époque. La différence entre les années 1970-80 et les années 2000 dans le vélo, c’est que les coureurs n’avaient avant pas l’impression de tricher. Ca faisait partie de leur métier de se doper. Et ils disaient « se soigner ». Aujourd’hui, pour se doper, il faut créer une intelligence, un système autour de soi. Ce n’est donc pas la même mentalité.

Ce qui est amusant, c’est que les footballeurs disent toujours : "nous, on se soigne". Un coureur cycliste n’a plus le droit de se faire une injection, mais les footballeurs s’en font à la mi-temps pour tenir tous les matchs. Si Platini dit qu’ils ne se dopent pas, je veux bien le croire... Mais ils font 11 secondes au 100 mètres, jouent trois matches par semaine, sont sur chaque ballon… Si eux n’ont pas besoin d’EPO, qui en a besoin ? Et pas seulement les footballeurs. Quand Lance Amstrong gagne sept fois le Tour de France, tout le monde dit : "c’est scandaleux, il est chargé comme un mulet". Par contre, y’a un mec qui gagne sept fois Rolland-Garros en huit ans, qui fait des matchs de six heures contre Djokovic, et ça ça ne parait pas stupéfiant ?

Propos recueillis par Morgan Bourven

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