Cet héritage Sarkozy que François Hollande adopte sans le dire<!-- --> | Atlantico.fr
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Le 6 mai, François Hollande était élu sur le thème du changement. Deux mois plus tard, si on esquisse un premier bilan, peut-on réellement parler de rupture avec la politique de Nicolas Sarkozy ?
Le 6 mai, François Hollande était élu sur le thème du changement. Deux mois plus tard, si on esquisse un premier bilan, peut-on réellement parler de rupture avec la politique de Nicolas Sarkozy ?
©Reuters

Rupture ou continuité ?

"Le changement, c'est maintenant !", scandait François Hollande durant la campagne présidentielle. Pourtant, deux mois après sa victoire, le président "normal", contraint par la crise, peine à se démarquer de son prédécesseur, en particulier sur le plan économique...

David Valence

David Valence

David Valence enseigne l'histoire contemporaine à Sciences-Po Paris depuis 2005. 
Ses recherches portent sur l'histoire de la France depuis 1945, en particulier sous l'angle des rapports entre haute fonction publique et pouvoir politique. 
Témoin engagé de la vie politique de notre pays, il travaille régulièrement avec la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol) et a notamment créé, en 2011, le blog Trop Libre, avec l'historien Christophe de Voogd.

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Atlantico : Le 6 mai, François Hollande était élu sur le thème du changement. Deux mois plus tard, si on esquisse un premier bilan, peut-on réellement parler de rupture avec la politique de Nicolas Sarkozy ?

David Valence : C'est une rupture qui pour le moment tient surtout à des symboles. Mais dans l'équilibre global des mesures, il y a plus d'éléments de continuité qu'il n'y parait à première vue. En matière de finances publiques par exemple, la politique de Nicolas Sarkozy reposait sur deux principes. D'une part, faire porter plutôt l'effort fiscal sur les ménages que sur les entreprises, pour ne pas affecter la compétitivité. D'autre part, réduire les dépenses publiques de manière structurelle, en ne remplaçant qu'un départ de fonctionnaire à la retraite sur deux. 

Or, François Hollande n'a pas dénoncé ces deux principes, au contraire. Sa politique fiscale repose, elle aussi, sur la conviction que ce sont les ménages qui devront subir les hausses d'impôts plutôt que les entreprises. Le retour à la fiscalisation des heures supplémentaires et le projet de hausse de la CSG le montrent bien. D'autre part, hors ministères prioritaires (Education, Justice, Intérieur), la réduction du nombre de fonctionnaires sera poursuivie et même accélérée par la gauche, puisqu'on parle d'aller jusqu'au non-remplacement de deux fonctionnaires sur trois dans certaines administrations. À terme, cela risque d'ailleurs de poser des problèmes à la gauche, car les fonctionnaires constituent pour elle un électorat captif, et le discours sur le démantèlement du service public en milieu rural, si volontiers entonné par les socialistes entre 2002 et 2012, pourra leur être retourné par l'opposition.

La rigueur de gauche peut-elle être différente de la rigueur de droite ?

Les différences sont symboliques. Le pouvoir s'est en particulier appliqué à lui-même le principe de rigueur dans le style (modestie et simplicité affichées) comme dans sa politique de rémunération (réduction des indemnités des ministres, du président de l'Assemblée nationale, etc). Le gouvernement affiche une image de modestie, sans doute pour mieux préparer les Français à faire des efforts.

En matière fiscale, c'est le symbole qui prévaut également. En annonçant aujourd'hui une hausse significative de la taxation sur les très hauts revenus, le gouvernement espère rendre acceptables des mesures comme la fiscalisation des heures supplémentaires et la hausse de la CSG, qui frapperont surtout les classes moyennes. Or, il s'agit bien de mesures symboliques, car le produit d'une hausse de la CSG n'a rien de comparable avec celui d'une hausse des droits de succession pour les patrimoines les plus élevés... C'est bien les classes moyennes qui paieront l'essentiel de la facture fiscale du rétablissement des comptes publics.

François Hollande multiplie aussi les efforts pour se démarquer de son prédécesseur. Lors du 14 juillet, il a ostensiblement affiché un style très différent de celui de Nicolas Sarkozy…

Oui, mais honnêtement, cette différence répétée urbi et orbi tient souvent à des détails sans réelle importance. Nicolas Sarkozy avait choisi de supprimer la traditionnelle interview du 14 juillet : François Hollande la rétablit. Nicolas Sarkozy donnait ses autres entretiens à la télévision depuis l’Élysée : François Hollande, pour ne pas donner le sentiment de convoquer les journalistes à l'Élysée, les invite... à l'Hôtel de la Marine, place de la Concorde. Qu'on m'explique en quoi cet autre palais de la République est plus modeste que l'Élysée !

En fait, François Hollande est confronté à deux problèmes majeurs sur la scène politique intérieure. D'abord, la crise ne lui permet pas de dénoncer complètement les orientations prises par Nicolas Sarkozy. C'est un réaliste, et la contrainte européenne est telle qu'il lui faut s'adosser à l'œuvre de Nicolas Sarkozy tout en continuant d'agiter son souvenir comme un repoussoir. Les sondages de la campagne présidentielle montraient en effet que sur le fond, les réformes introduites par Nicolas Sarkozy depuis 2007 étaient approuvées par une majorité de Français, mais que sa façon d'incarner la fonction était rejetée.

Au fond, François Hollande se trouve un peu dans la situation de Tony Blair lorsqu'il est arrivé au pouvoir en 1997, avec l'héritage de Margaret Thatcher  à "gérer", ou dans celle José Luis Zapatero, face à l'héritage d'Aznar,  en Espagne. Tout en affichant des symboles de changement, il assume l'héritage de son prédécesseur dont la politique avait marqué une vraie rupture culturelle et politique. 

La deuxième difficulté est que les circonstances de l'élection du 6 mai 2012 contraignent fortement François Hollande. Il a contre lui un bloc très solide et élevé d'opinions négatives -des électeurs de droite pour l'essentiel. Il n'a donc aucun intérêt à chercher à les séduire. Mais dans le même temps, il doit tenir compte du fait que certains des électeurs qui ont voté pour lui approuvaient certains des objectifs de la politique de Nicolas Sarkozy sur le fond. Il doit donc à la fois ne pas décevoir sa famille politique et garder le soutien de ceux qui n'ont voté pour lui que par antisarkozysme, faute de quoi il deviendra très vite impopulaire. C'est un peu la quadrature du cercle et cela demande beaucoup d'habileté.

Au-delà des questions économiques et des questions de style, François Hollande a également adopté des positions différentes notamment sur les questions de société : mariage homosexuel, euthanasie, immigration…

Sur la question particulière de l'euthanasie, François Hollande et Jean-Marc Ayrault sont pour l'instant un peu retrait par rapport à ce qui avait été annoncé durant la campagne présidentielle. 

Sur les autres sujets, la comparaison avec le gouvernement de José Luis Zapatero fonctionne bien à nouveau. Le gouvernement Zapatero n'avait pas induit de révolution économique par rapport à la période de José María Aznar. Pour marquer sa différence, il s'était appuyé sur les questions de société avec la légalisation du mariage homosexuel ou la pénalisation accrue des violences faites aux femmes. C'est une autre des pistes sur lesquelles le gouvernement de Jean-Marc Ayrault va pouvoir affirmer sa différence avec le pouvoir précédent, qui s'était montre assez timide sur les questions de société.

Sur le plan européen, Francois Hollande a également défendu l’idée de croissance alors que Nicolas Sarkozy était prêt à signer le pacte budgétaire sans contreparties... 

Le plan de soutien à la croissance, adopté lors du dernier sommet européen et présenté comme une victoire de François Hollande, avait, presque mot pour mot, été préconisé par la Commission européenne dès mars 2012. Personne n'est hostile à la croissance. Au plus fort de la crise en 2009, la France a conjugué politique de rigueur relative et mesures de relance économique. N'oublions pas les mesures de relance de la consommation, notamment automobile, prises sous Nicokas Sarkozy... On était loin de la rigueur à tout prix.

Dans son discours, François Hollande met certes davantage l'accent sur la croissance que Nicolas Sarkozy. Mais sur le plan de l'action, la différence est moins importante qu'il n'y paraît.

François Hollande a, malgré tout, cédé sur la question centrale des euro-obligations. Sur le plan économique, les dirigeants semblent tous condamnés à faire la même politique : soumis, comme les Premiers ministres grecs et espagnols, à des entités extérieures : (l’Union Européenne, les agences de notation ou les marchés financiers). Cette situation n’est-elle pas la porte ouverte à tous les extrêmes ?

François Hollande a remporté l'élection présidentielle car il donnait le sentiment qu'il avait plus de marge de manoeuvre face à la contrainte budgétaire que Nicolas Sarkozy, notamment parce qu'il a mis l'accent sur la croissance. L'horizon des objectifs économiques à atteindre est très contraint pour les gouvernement des pays endettés. Dans ce contexte, c'est la responsabilité des dirigeants politiques de trouver malgré tout des marges de manœuvre, peut-être pas en matière économique, mais aussi dans d'autres domaines...

C'est la question qui s'était déjà posée en Grèce, au moment oùGeorge Papandréou avait envisagé d'organiser un référendum. Un réflexe qui avait été condamné presque unanimement par tous les dirigeants européens, mais qui était pourtant assez sain.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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