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Les collectivités publiques ne doivent pas ostraciser le fait religieux, créateur de lien social
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Laïcité ouverte

La mairie de Paris organise ce samedi une Nuit du ramadan, avec concerts et repas de rupture du jeûne. Est-elle dans son rôle en finançant une soirée à composante religieuse ?

Thierry Rambaud

Thierry Rambaud

"Thierry Rambaud est professeur de droit public à l'Université Paris Descartes et à Sciences Po (Paris). Ancien membre de la Commission de réflexion juridique sur les rapports entre les pouvoirs publics et les cultes (Ministère de l'Intérieur), il est également expert auprès du Conseil de l'Europe. 

Il a rédigé une étude à paraître en novembre-décembre 2017 sur la notion de politique publique de gestion du religieux. Il a également engagé un programme de recherche sur les liens entre droit public, theologie et droit canonique dans la littérature juridique allemande au XXème siècle dont la première étape va paraître aux États-Unis (en lien avec l'université Notre-Dame)."

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Atlantico : La mairie de Paris organise ce samedi, comme chaque année depuis 2001, une Nuit du Ramadan. Cette initiative vous choque-t-elle ?

Thierry Rambaud : On peut répondre en deux temps. Le premier plan est plus politique et sociologique et invite à considérer cette volonté d'organiser un évènement à dominante principalement culturelle et festive – puisque ce sont des concerts – comme une volonté de s'inscrire dans une laïcité plutôt "ouverte" ou "positive".

Cette conception ouverte implique que l'organisation d'un événement pour une religion particulière vaille également pour les autres. Il faut évidemment qu'il y ait égalité et que d'autres religions représentatives qui souhaiteraient organiser ce type de manifestations puissent le faire en ayant une coopération positive avec la ville de paris.

Le second point est l'aspect strictement juridique. Une mise en garde a été adressée au maire de Paris par le préfet de police en 2011, eu égard à l'organisation de cet événement. Le préfet a soulevé des interrogations concernant le respect de l'article 2 de la loi de 1905 sur l'interdiction de subventionner des activités cultuelles.

Cette soirée, au fond, est-elle culturelle ou cultuelle ?

L'argument soulevé par la préfecture de paris peut se comprendre, puisqu'il y a deux parties dans la soirée. Il y a une partie fête/concert qui n'a bien entendu rien de cultuel - il n'est pas illégal de subventionner un concert juste parce qu'il est organiser pendant une célébration religieuse - et une seconde partie, qui est le repas de rupture de jeûne.

La question est plus délicate sur ce repas, car il est plus lié à l'exercice du culte et au respect du ramadan par les fidèles. Et ce repas est, d'après les informations dont on dispose, plus ou moins pris en charge financièrement par la mairie de Paris.

Mais il faut rappeler que la jurisprudence du Conseil d'Etat, renforcée par plusieurs arrêts rendus le 19 juillet 2011, privilégie une conception libérale du principe de laïcité. Ces arrêts entendent promouvoir une conception de la laïcité et de l'article 2 qui n'interdit pas la possibilité pour les collectivités publiques de participer au financement d'un certain nombre d'activités qui peuvent avoir un lien avec du religieux. Par exemple, la construction d'un ascenseur pour accéder à la basilique de Lyon : ce n'est pas directement du cultuel, mais il y a un intérêt public local lié au prestige de cette basilique.

Ici, on peut considérer qu'il y a aussi ici une sorte d'intérêt public local, puisque ce sera organisé en période d'été, à un moment où il y a pour la mairie la nécessité d'organiser un événement culturel et musical, notamment pour des gens qui ne partent pas forcément en vacances. Cela crée un peu de lien social.

La ville de Paris organise également des soirées pour Hanouka, Vesak, Noël, etc. Est-elle dans son rôle en organisant ce type de manifestations ?

C'est une vraie question. Il s'agit de savoir quelle place on réserve aux grandes religions dans le vivre-ensemble. Je crois que pour créer du lien social, de la solidarité, il faut admettre qu'il puisse y avoir l'expression de ces courants spirituels ou religieux. C'est le rôle des collectivités publiques d'organiser ce vivre-ensemble. Dans un certain nombre de cas, ça peut se faire en collaboration avec l'Eglise catholique, par exemple lors de la venue du Saint-Père à Paris, quand les collectivités publiques mobilisent des moyens pour organiser cet évènement.

Il faut respecter le principe de neutralité devant la loi, le fait qu'aucune religion ne soit discriminée et qu'aucune doctrine ne soit favorisée. Mais il serait paradoxal de ne laisser les collectivités promouvoir seulement des activités qui n'ont aucun lien avec la religion, et qu'à chaque fois qu'on a le "label" religieux, il y ait une volonté d'abstention.

On est dans une période de crise financière et je crois qu'il est important de considérer que, pour un certain nombre de nos concitoyens, la chose religieuse peut être constitutive de l'identité. Et bien sûr, il faut que cette identité s'inscrive dans un cadre global, national, dans le respect de l'ordre public. Il ne faut absolument pas qu'on tombe dans le communautarisme. Sous cette réserve, il me parait important que les collectivités publiques n'ostracisent pas le religieux de la sphère publique et sociale.

Propos recueillis par Morgan Bourven

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