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Mois du ramadan : quel impact en France ?
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Fête et jeûne

Les musulmans de France entament ce vendredi le mois de jeûne du ramadan, un des cinq piliers de leur religion. Un mois de recueillement et de fête, qui a un impact sur la consommation, mais aussi sur les comportements.

Raphaël Liogier

Raphaël Liogier

Raphaël Liogier est sociologue et philosophe. Il est professeur des universités à l'Institut d'Études Politiques d'Aix-en-Provence et dirige l'Observatoire du religieux. Il a notamment publié : Le Mythe de l'islamisation, essai sur une obsession collective (Le Seuil, 2012) ; Souci de soi, conscience du monde. Vers une religion globale ? (Armand Colin, 2012) ; Une laïcité « légitime » : la France et ses religions d'État (Entrelacs, 2006).

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Atlantico : Selon une étude du cabinet Solis, le mois de Ramadan se traduit par 350 millions d'euros de dépenses supplémentaires de la part des ménages musulmans. Comment s'explique cette surconsommation ?

Raphaël Liogier : Le ramadan, dans les années 70-80, était un ramadan de souvenir, avec un facteur ethnoculturel très fort : il s'agissait de se retrouver dans l'entre-soi et de faire "comme là-bas". A partir des années 80-90, le ramadan a commencé à toucher bien plus les jeunes, avec une nouvelle ferveur qui s'est manifestée à la fois par une volonté ascète – un  "revival" spirituel – et en même temps une nouvelle façon de se retrouver, plus festive.

Ce côté festif explique cette surconsommation : quand on se retrouve, on achète des denrées de meilleure qualité, plus chères et en plus grande quantité. Le moment du ramadan, c'est un moment de purification, mais c'est aussi un moment où on doit exprimer sa générosité. Pour ce faire, on invite les gens en leur offrant des mets de qualité. Cela ce traduit par des dépenses plus fortes. 

C'est donc un point positif pour l'économie. Mais à l'inverse, observe-t-on une baisse de productivité de la part des salariés musulmans qui pratiquent le jeûne ?

Il me semble qu'il n'existe pas de données là-dessus. Mais ce qui est vrai, c'est qu'en période de ramadan, ceux qui pratiquent de façon stricte sont plus fatigués, ne doivent pas boire dans la journée… Sauf qu'il y a des exceptions : si on est obligé de travailler, par exemple, il est autorisé de manger et de boire. Quand on est en voyage aussi.

L'impact du ramadan est connu sur la consommation, mais en ce qui concerne la productivité, je n'ai jamais vu d'études.

D'ailleurs, comment cela ce passe-t-il en général dans les entreprises ? Des aménagements sont-ils mis en place pour les salariés musulmans ?

Nous avons travaillé là-dessus il y a quelques années. En général, le musulman se fait discret sur ses pratiques, contrairement à l'image qu'on a –celle d'un islam revendicatif à qui on accorde tout. En entreprise, les aménagements se font donc de manière ad hoc, au coup par coup. Et d'une manière générale, les musulmans tendent à ne pas se faire remarquer, en ne disant pas qu'ils font le Ramadan, car ils ont peur que ça leur porte préjudice, que leurs collègues se disent qu'ils sont des fauteurs de troubles, qu'ils dérangent l'entreprise, etc. Ils essayent donc de faire en sorte que ça ne se voit pas.

Les musulmans que je connais pratiquent en général le ramadan en famille ou entre amis le soir, mais dans l'entreprise, leurs collègues ne le savent pas.

C'est d'ailleurs pour cela qu'il y a un problème avec l'Islam de France : les attentats, la stigmatisation, l'affaire Mohammed Merah, ont créé une atmosphère nauséabonde, alors que les musulmans qui font le Ramadan ne sont pas des tueurs en puissance. Mais ils se sentent obligés d'être discrets.

Y-a-t-il d'autres secteurs qui sont affectés ? Les crèches qui devraient ouvrir plus tôt, les transports en commun, par exemple ?

Le ramadan est quelque chose qui se passe dans l'intimité, le soir au coucher du soleil. Dans la journée, c'est une démarche spirituelle de jeûne. Ce n'est pas comme le judaïsme, qui a des interdits extrêmement contraignants certains jours : le samedi, vous ne pouvez pas prendre le bus, utiliser un micro, etc. Les gens en islam peuvent vivre complètement normalement. Il n'y a donc pas d'impact particulier.

Certains quotidiens, comme Al-watan en Algérie, ont noté une augmentation de la délinquance durant cette période. Comment cela s'explique-t-il ?

J'ai lu la même chose, mais il n'y a pas de données précises pour la France. J'ai entendu certains musulmans dire : "les jeunes veulent pratiquer le ramadan de façon stricte, mais ils n'ont pas le niveau et feraient mieux de le faire de façon plus souple". Le principe du jeûne, c'est une sorte d'offrande, c'est un travail qu'on doit faire sans forcer, car si on se force trop, on devient agressif. Il faut donc être souple. Certains musulmans critiquent donc ces jeunes qui veulent en faire trop, ce qui peut provoquer ce genre de choses. Mais je doute fort qu'il y ait une grande augmentation de la criminalité en période de ramadan.

Ce mois de jeûne, puis de fête le soir, peut-il avoir un impact sur la santé des fidèles ?

Tout excès est négatif. Quand on est trop dur avec soi-même, qu'on a un régime dont le corps n'a pas l'habitude, c'est très mauvais. Mais je pense que les musulmans font plutôt attention.

Cet aspect festif du Ramadan et le fait que les médias en parlent a-t-il un impact sur la vision qu'ont les non-musulmans de cette religion ?

Aujourd'hui, toute extériorisation de l'islam est devenue négative dans la conscience populaire. Il y a une suspicion généralisée, qui dépasse 70% des Français selon les sondages. Cette écrasante majorité – pas seulement des Français, mais aussi des Allemands, des Anglais, des Néerlandais, des Suisses – ont le sentiment que les musulmans sont mal intégrés, mais qu'en plus ils le font exprès. 62% des Français, et c'est à peu près pareil partout dans toute l'Union européenne, pensent que si les musulmans sont mal intégrés, c'est qu'ils ne le veulent pas.

En conséquence, à chaque fois qu'il y a un signe d'islamité, du voile au ramadan en passant par les Quick hallal, ça fait scandale, comme s'il y avait islamisation. Et la visibilité du ramadan donne le sentiment que ça participe à l'islamisation du pays. C'est donc très clairement négatif dans l'imaginaire de la population non musulmane.

Propos recueillis par Morgan Bourven

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