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Cécile Duflot, huée à l'Assemblée pour sa robe... mais surtout
pour son statut de femme
à forte tête
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Man Power

La ministre de l'Égalité des territoires et du Logement a été sifflée mardi au Parlement, pour avoir porté une robe printanière, loin du gris anthracite qui domine l'Hémicycle. Les députés se seraient-ils moins insurgés si elle avait été un homme ?

Arnaud Mercier

Arnaud Mercier

Arnaud Mercier est professeur en sciences de l'information et de la communication à l'Institut Français de Presse, à l'université Paris-Panthéon-Assas. Responsable de la Licence information communication de l'IFP et chercheur au CARISM, il est aussi président du site d'information The Conversation France.

Il est l'auteur de La communication politique (CNRS Editions, 2008) et Le journalisme(CNRS Editions, 2009), Médias et opinion publique (CNRS éditions, 2012).

Le journalisme, Arnaud Mercier

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Atlantico : La ministre de l'Égalité des territoires et du Logement Cécile Duflot a été sifflée et huée à l'Assemblée nationale mardi, à cause de la robe qu'elle portait. Comment expliquer cette réaction de la part de certains députés ?

Arnaud Mercier : Il est vrai qu'un code vestimentaire régit les règles de l'Assemblée nationale depuis la IIIe République. Ce n'est pas du tout nouveau, et très formel : les hommes doivent obligatoirement avoir une cravate ou un nœud papillon. On se souvient que Jack Lang, à l'époque où il était ministre de la Culture dans les années 1980, avait été interdit d'entrée dans l'hémicycle car il portait un costume à col Mao, sans cravate. L'huissier avait appliqué à la lettre le règlement de l'Assemblée.

Certains députés, assez conservateurs dans l'âme, ont sans doute estimé que la tenue de Cécile Duflot était un peu trop printanière et pas assez stricte pour une fonction ministérielle. On peut voir cela comme une sorte de rappel à l'ordre, dans un contexte où le code vestimentaire est très strict.

Mais que dit ce code vestimentaire pour les femmes ?

(Rires)C'est là qu'on voit que ce règlement est lié à une tradition extrêmement machiste : il n'y a pas de code vestimentaire pour la femme. Évidemment, on ne leur demande pas de venir avec une cravate, un costume et une chemise. Traditionnellement, les hommes et les femmes politiques épousent la fonction en adoptant un style vestimentaire – lors des interventions officielles – assez strict, voire un peu terne. Là, ce qu'on a visiblement reproché à Cécile Duflot, c'est d'avoir osé un bleu assez flashy et pris le parti d'avoir une robe plus « vie quotidienne » que « de fonction ». Pourtant, cette robe n'est ni dangereusement sexy ni volontairement trash. Elle est ordinaire.

Cécile Duflot avait déjà été critiquée pour avoir porté un pantalon lors de son premier conseil des ministres. N'y a-t-il pas un acharnement contre elle ?

Je pense qu'il y a une volonté de la part d'un certain nombre d'hommes, parfois même dans son camp, de « se la faire », car c'est une forte tête, qui tient parfois des propos iconoclastes, comme sa sortie sur la dépénalisation du cannabis. On a donc, un peu comme avec Ségolène Royal, l'impression que certains l'ont dans le collimateur et utiliseront tous les moyens pour la déstabiliser.

Laurent Wauquiez a déclaré qu'il y aurait eu le même type de chahut s'il avait été question d'un homme portant une cravate orange fluo...

Ce n'est pas vrai ! Le député du Nord Patrick Roy n'a jamais été embêté pour sa célèbre veste rouge ! Cela faisait partie du folklore et tout le monde l'acceptait comme ça.

A l'étranger, quelle importance revêt l'habit dans le cérémonial politique ?

Cela dépend des pays. En Europe du Nord, il y a des codes vestimentaires plus informels, où on accepte beaucoup plus l'idée, voire on l'attend, que l'homme politique est un citoyen comme les autres et donc qui ne cherche pas à se vêtir d'une façon telle qu'il se met à part.

Aux Etats-Unis, c'est pareil, c'est assez informel, même si une partie de l'Amérique conservatrice attend quand même que les élus soient habillés de façon stricte. Mais Barack Obama n'est pas du tout dans ce style-là : il est souvent en chemise sans cravate, car il veut faire passer l'idée d'un président « cool ». Les codes vestimentaires ne sont pas les même en fonction de la culture populaire.

Pour Cécile Duflot, il y a les deux aspects : le côté qui choque par rapport au gris anthracite qui domine dans l'Assemblée, et sa personnalité qui justifie aux yeux de certains qu'il ne faut rien lui pardonner. Avec en plus un côté machiste, où c'est des hommes qui rappellent à l'ordre une femme qui sort du rang.

Il y a eu une autre "attaque" envers une femme ce mardi à l'Assemblée. Interrogé sur une possible candidature de Rachida Dati a la tête de l'UMP, Bernard Debré a répondu : « Je ne suis pas sûr que Vuitton ou Dior ait sa place à ce niveau.» Est-ce du même niveau ?

Oui, bien sûr, mais il faut dire que Rachida Dati fait très fort dans la provoc' ! Elle a attaqué très durement Bernard Debré ou François Fillon, donc c'est logique qu'elle prenne en retour un certain nombre d'attaques.

Mais comme par hasard, on l'attaque sur ces codes vestimentaires, sur le fait qu'elle soit coquette... Cela sous-entend qu'elle passe plus de temps à se pouponner qu'à faire de la politique. C'est un des grands classiques de l'attaque en politique : les femmes, dès lors qu'elles sont belles, coquettes et politiques, sont attaquées sur le fait qu'elles seraient plus coquettes que politiques. Il faut aussi reconnaître que Rachida Dati prête le flanc à cela, car elle a joué à fond la carte de la peopolisation et tend la perche pour se faire battre sur le côté bling-bling. Quelqu'un comme Bernard Debré n'est pas dans ce registre-là. Il y a donc un mix, entre d'un côté les attaques sur le bling-bling, et de l'autre le fait qu'elle soit une femme.

Propos recueillis par Morgan Bourven

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