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Dans le vif : entre redressement de l'industrie française et préservation des rentiers de la fonction publique, le gouvernement devra trancher
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Schizophrène

Dossier consacré aux ravages causés par la désindustrialisation en France. Réalisé par le site Débat & Co, il est intitulé "Industrie : la France a-t-elle besoin d'un plan ?". Épisode 2/3 : retour sur la préférence socialiste pour les rentiers du système public au détriment de la croissance et d'une politique industrielle juste.

Alain Fabre

Alain Fabre

Alain Fabre est Conseil indépendant en Fusions & Acquisitions. Il est aussi expert économique auprès de la Fondation Robert Schuman, de l'Institut de l'Entreprise et du mouvement ETHIC. 

Il a récemment publié Allemagne : miracle de l'emploi ou désastre social?, Institut de l'Entreprise, septembre 2013. 
 

Il a publié pour l'Institut de l'Entreprise L'Italie de Monti, la réforme au nom de l'Europe et Allemagne : miracle de l'emploi ou désastre social

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Cet article est publié en partenariat avec le site Débat&co qui consacre
un dossier au redressement productif

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1981, le remake : faudra-t-il à nouveau 2 ans aux socialistes
pour passer du dirigisme au réalisme en matière de politique industrielle ?

Si le gouvernement cherchait réellement à lutter contre le chômage, il n’aurait décidé ni la hausse du Smic au-delà des prix, ni le retour de la retraite à 60 ans en faveur de 20 % des salariés en fin de carrière. Ni de nouveaux effectifs de fonctionnaires, ni les appels à dépenser plus à l’hôpital ou dans les armées lancés par Marisol Touraine et Jean-Yves Le Drian. Ni la suppression du transfert des cotisations familiales des entreprises vers la TVA mis en place en fin de mandat par le président Sarkozy, une contrevaleur de 13 milliards d'euros. Ni une augmentation de l’allocation de rentrée de 25 % payée par la réduction du quotient familial comme si le luxe en France c’était de choisir entre une voiture de sport et élever des enfants !

Les déficits ? Quel bon prétexte pour dénoncer les « riches », vieille ficelle du bouc émissaire fantasmé : Sarkozy, les « riches », la finance. Mais jamais les retraités français qui partent à 60 ou 62 ans, quand leurs voisins partent à 67 ans, et dont les pensions minent les entreprises et alimentent le chômage de masse des jeunes. Comme s’il suffisait de tout prendre à Liliane Bettencourt et aux 1 % les plus fortunés, pour équilibrer les comptes et transformer par magie, notre croissance moribonde en croissance à la chinoise.

Les impôts augmenteront donc massivement : il faut bien couvrir les 56 % de PIB absorbés par nos dépenses publiques, ratio qui augmentera encore avec des dépenses qui explosent et un secteur productif qui s’écroule. Une France qui consacre à ses dépenses publiques 160 milliards de plus que l’Allemagne, laquelle avec 10 milliards d'euros d’excédent de l’assurance maladie contre 11 milliards d'euros de déficit en France, n’oblige ses enfants ni à coudre des ballons ni ses familles à abandonner leurs maisons comme dans l’Amérique des « subprimes ».

Préférence pour la rente

Alors pourquoi un objectif inavoué de hausse du chômage, alors que le politiquement correct proclame le cœur sur la main le contraire sur le dos du « capitalisme en crise » ? Parce qu’en France, il n’y pas de lien direct entre statut social, revenus, emploi : ils sont découplés de la participation comme salariés et entrepreneurs à une activité productive véritable et concurrentielle. On peut même démontrer d’un point de vue rationnel qu’un revenu faible, régulier mais certain – garanti à vie – est préférable à un revenu élevé, discontinu et incertain.

Notamment avec régime fiscal fortement progressif et concentré. Ainsi dans la fonction publique, un traitement annuel de 30 000 euros annuel équivaut par actualisation à l’infini, au taux des emprunts d’État à 3 %, à un patrimoine de 1 million d'euros. Un revenu identique dans le secteur privé est donc patrimonialement moins désirable avec les risques de chômage, de faillite...

Le pouvoir en France fait reposer une part essentielle de sa légitimité politique sur sa capacité à garantir des rentes, à l’exemple de l’immobilisme mitterrandien et chiraquien. La France protégée (fonctionnaires, retraités,...) – majoritaire en suffrages exprimés – prend donc un véritable risque à délégitimer sa situation, à scier la branche sur laquelle elle est assise, en laissant la voie libre à des réformes au nom de l’Europe ou de la lutte contre le chômage, qui rendraient la France « exposée » moins assujettie au paiement de rentes généralisées. L’enjeu c’est donc le contrôle du pouvoir politique par les titulaires de rentes.

En 1981 ou en 2012, lorsque la crise – pétrolière, financière – accélère le besoin de réformes, la France protégée ne laisse pas les réformes entamer sa position sociale. Elle reprend en main le pouvoir politique, comme le montrent les cycles électoraux depuis trente ans : la gauche réalise des réformes lourdes, motivées par la garantie ou l’extension des rentes, lesquelles minent en profondeur la croissance potentielle, que la droite, un tout petit peu moins dépendante des bénéficiaires de rentes, ne corrige qu’à la marge de peur d’être accusée de sacrifier à l’immoralité néolibérale. La France est donc dans une position « schizophrène » permanente : ou elle s’attaque aux risques de faillite et elle met en cause les rentes ; ou elle les garantit, et elle court à la faillite.

D’où la ligne de crête des réformes le plus souvent limitées aux détails, rarement de fond ; d’où l’ajustement des déficits par l’impôt, non par les dépenses. L’option du pouvoir politique en faveur de la garantie des rentes des bénéficiaires nets du système, est donc à l’origine du refus des réformes en profondeur sur le modèle de nos partenaires. Des réformes donc mais ce qu’il faut pour que le système productif respire encore, pas au point de laisser le pouvoir politique remettre en cause la dépossession des gains de productivité des entreprises, source productive des rentes.

Comme on ne peut s’endetter davantage, utilisons l’Europe pour faire les poches de l’Allemagne qui s’est serrée la ceinture pendant dix ans pour sa réunification - l’équivalent d’un plan d’aide à la Grèce par an pendant 20 ans - et qui a le toupet d’avoir un chômage inférieur de moitié à celui de la France, des PME fortes et exportatrices. Chez les keynésiens initiés et les Trissotin de l’OFCE, on parle de politique non coopérative : puisque la France vit sur un secteur productif ruiné, il faut rançonner le contribuable allemand pour payer les dépenses françaises. C’est l’Europe de François Hollande, des « eurobonds » et des « projectbonds » : de la dette, toujours de la dette !

Nostalgie stérile

C’est la même inspiration de mise sous tutelle du secteur productif qui conduit la politique industrielle à ressortir régulièrement de la naphtaline : le volontarisme public, le parfum nostalgique des Trente glorieuses du nucléaire, du militaire et du spatial ! On est dans l’exception qui confirme la règle : le colbertisme, ça ne marche pas ; ça n’a jamais marché !

Les centrales nucléaires, les TGV ou les avions de chasse ne relèvent pas de secteurs concurrentiels : l’État est à la fois le producteur et l’acheteur. Dès que le jeu des prix et des coûts redevient la règle, la politique industrielle tourne au vaudeville et au désastre financier (Plan Calcul, Pechiney, Crédit lyonnais,...). Tout le contraire de la réussite allemande qui se fonde sur la conservation par les entreprises de leurs gains de productivité pour innover, investir, exporter.

Résultat : le secteur manufacturier français dépense en R&D (Recherche & Développement) la moitié des 50 milliards d'euros des entreprises allemandes qui les couvrent à 71 % sur fonds propres. Avec un taux de marge (Excédent brut d'exploitation / Valeur ajoutée) de 28 % contre 42 % en Allemagne, les entreprises françaises sont dans une situation de vulnérabilité financière, qui les place dans l’impossibilité de porter la dimension capitalistique de l’activité industrielle dans une économie mondiale ouverte.

Avec un coût du travail en progression sur dix ans de 56 % en France contre 17 % en Allemagne, des prélèvements sur les entreprises de 15 % de la valeur ajoutée contre 8 % en Allemagne, aucune politique industrielle ne sera en mesure d’enrayer la situation de liquidation dans laquelle se trouve l’industrie en France, passée en dix ans de 26 à 13 % de la valeur ajoutée totale. C’est que ce Montesquieu avait déjà compris : « Les pays ne sont pas cultivés en raison de leur fertilité, mais en raison de leur liberté. »

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