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Faut-il élire un Président de l’Europe au suffrage universel pour renforcer le sentiment pro-euro ?
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Wishful thinking

L'ancienne porte-parole de Nicolas Sarkozy, Nathalie Kosciusko-Morizet, se lance : outre la création de la "France Droite", elle préconise l'élection du Président du Conseil européen au suffrage universel direct. Effet d'annonce, illusion idéaliste ou vrai projet politique ?

Daniel  Cohn-Bendit, Nicolas Dupont-Aignan et Jean-Louis Bourlanges

Daniel Cohn-Bendit, Nicolas Dupont-Aignan et Jean-Louis Bourlanges


Daniel Cohn-Bendit
 est député européen et co-président du groupe Groupe des Verts/Alliance libre européenne au Parlement européen.


Nicolas Dupont-Aignan 
préside Debout la République, parti politique se revendiquant du gaullisme. Il a été candidat a l'élection présidentielle française de 2012.


Jean-Louis Bourlanges
 est ancien député européen et vice-président de l'Union pour la démocratie française (UDF). Il est aujourd'hui président du think tank l'Institut du centre.

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Atlantico : Dans une interview accordée à L'Express mardi, Nathalie Kosciusko-Morizet préconise l'élection du Président du Conseil européen au suffrage universel dès 2014, en parallèle avec les prochaines élections au Parlement européen. Selon vous, est-ce envisageable, voire souhaitable ?


Daniel Cohn-Bendit :
Évidemment, rien n’est impossible si la volonté politique est là. Mais malheureusement, pour l’instant, je ne vois pas cette volonté au niveau européen. L’idée est bonne. Mais NKM aurait dû pousser Nicolas Sarkozy à en faire la proposition il y a deux ans déjà.


Nicolas Dupont-Aignan : C’est un divertissement. Une fuite en avant qui enlèverait définitivement toute légitimité aux différents peuples et aux démocraties. Car on sait qu’il n’y a pas de « peuple européen ». Il n’y a ni langue commune, ni débat commun, ni d’alignement des programmes entre les différents partis. C’est donc un gadget qui achèverait nos démocraties. Un gadget de NKM pour faire parler d’elle, pour faire oublier qu’elle ne sait pas comment gouverner la France.


Jean-Louis Bourlanges :  
Cette proposition est sympathique, mais je ne la crois ni réaliste, ni adaptée à la réalité européenne. Il est inimaginable que 27 Etats membres, dont, par exemple, le Royaume-Uni, puissent signer et ratifier une modification aussi révolutionnaire des traités européens. Est-il nécessaire de proposer des choses dont on sait qu'elles n'aboutiront pas ? La proposition n'est pas davantage appropriée, et cela pour deux raisons :

D'abord parce que le Président du Conseil européen n'est pas le chef de l'administration communautaire, rôle dévolu au Président de la Commission. Vous observerez d'ailleurs que Mme Merkel a suggéré que ce soit le Président de la Commission et non celui du Conseil européen qui soit élu par les peuples d'Europe. Il me semble donc que le préalable à ces changements serait la simplification et l'unification des pouvoirs exécutifs dans l'Union, par la fusion des deux fonctions de Président du Conseil européen et celui de Président de la Commission, ce qui a l'immense avantage de pouvoir être fait sans modifier les traités actuels. 

Ensuite, parce que l'Union risquerait de ne pas résister à la confrontation brutale et manichéenne de deux personnalités, représentatives de deux idéologies et, sans doute, de deux fractions territoriales distinctes de l'Europe. L'Union est un ensemble organisé de nations, ce n'est pas une nation : les liens y sont plus relâchés, les différences plus vives, le loyalisme des citoyens aux institutions communes beaucoup plus faible que dans chacune de nos nations. L'Union pourrait donc voler en éclat à la faveur d'une confrontation qui se solderait par l'humiliation du perdant, de son camp idéologique et de la partie de l'Europe qui lui aurait fait confiance. Un précédent historique doit nous hanter : c'est la victoire présidentielle d'Abraham Lincoln, républicain et nordiste, qui a provoqué la sécession du Sud majoritairement démocrate, et cinq années de guerre.

N’est-ce pas une solution pour mettre fin à l’accusation de déficit démocratique dont souffre la construction européenne ?


Daniel Cohn-Bendit :
C’est l’une des propositions qui pourraient sûrement redonner une dynamique démocratique au projet européen. Ce n’est pas la seule : on parle également d’élire les députés sur des listes transnationales, pour une partie des élus du moins. Les possibilités sont diverses. Tout le problème, c’est que cela suppose un changement dans les traités… qui devrait être ratifié dans tous les pays.


Nicolas Dupont-Aignan : Un Président élu au suffrage universel – pour faire quoi ? Sur quelles compétences ? La légitimité politique vient du consentement à la loi du suffrage. Or il n’y en a pas. Est-ce qu’un Français ira en Irak mourir parce qu’un Président du Conseil européen élu au suffrage universel par 20% des Européens sur un programme flou l’aura décidé ? C’est totalement aberrant.


Jean-Louis Bourlanges :  
La démocratie européenne est nécessaire car on n'imagine pas que les grands problèmes de l'Union puissent être durablement confisqués par des administrations politiquement irresponsables, mais la démocratie européenne est inévitablement différente des démocraties nationales. Ces dernières peuvent supporter la confrontation car les vaincus restent loyaux à leur pays, même s'il est dirigé par un adversaire politique. La démocratie européenne ne peut en revanche qu'être une démocratie de négociation et d'inclusion, qui ne laisse aucun État et aucun courant de sensibilité majeure en-dehors du coup.

Nous devons aujourd'hui nous concentrer sur un vrai problème : comment bâtir un pouvoir budgétaire et économique efficace, représentatif, transparent dans le cadre de ce périmètre très spécifique qu'est la zone euro. Les réponses existent. Discutons-en au lieu de se lancer dans des utopies institutionnelles, si séduisantes et d'apparence si révolutionnaire soient-elles. 


Vus les taux d’abstention aux élections européennes, peut-on vraiment supposer que l’élection du Président du Conseil européen au suffrage universel direct suscitera l’engouement des « peuples » ?


Daniel Cohn-Bendit  : 
Les peuples, les peuples… Tout dépend des modes de scrutin. Les « peuples », les électeurs, iront ou n’iront pas, on verra. Il faut d’abord leur proposer quelque chose ! Comment se mesure cette volonté des peuples ? En faisant des propositions. À ce moment seulement, on voit s’ils vont voter ou non.


Nicolas Dupont-Aignan : On a déjà une élection européenne avec moins de 20% de participation. Occupons-nous d’abord de revitaliser la démocratie nationale, occupons-nous de notre pays comme Mme Merkel s’occupe de l’Allemagne. Et mettons en place des coopérations beaucoup plus profondes – je n’y suis pas hostile. En revanche, arrêtons de suivre ces opérations médiatiques, qui visent à détourner l’attention des vrais sujets.

Propos recueillis par Ania Nussbaum

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