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Le grand retour de la parano KGB : les ONG sont-elles un repère d'agents secrets étrangers ?
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Nid d'espions

Le président russe Vladimir Poutine a signé une loi controversée qualifiant les ONG recevant des fonds étrangers "d'agents de l'étranger". Elle avait été approuvée cette semaine par les deux chambres du Parlement russe. Un signe de fébrilité de la part du gouvernement ?

Boris  Pétric

Boris Pétric

Docteur en anthropologie sociale de l’EHESS (Paris), Boris Pétric est chercheur au CNRS depuis 2001 au sein de l’Institut Interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain (IIAC). Il enseigne à l’EHESS et anime un groupe de recherches sur une anthropologie de l’Asie centrale. Il travaille notamment sur l’impact des projets de démocratisation sur des espaces politiques en transition.

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Atlantico : Vladimir Poutine a signé ce samedi une loi qui impose de dures restrictions à toutes les ONG (organisations non-gouvernementales) financées par l’étranger qui auraient des activités politiques. Est-ce le grand retour de la paranoïa du temps du KGB ?

Boris-Mathieu Pétric : Le pouvoir, et donc Vladimir Poutine, n’a jamais abandonné l’idée de contrôler les flux de personnes, d’idées et de marchandises en provenance de l’étranger. L’Etat doit avoir la capacité de contrôler les entrées et sorties de l’espace national. Il entend ainsi exprimer sa souveraineté. Cette loi s'inscrit dans cette volonté. Mais à mon avis, c’est un vœu pieux. La société s’ouvre, les flux existent et l’Etat ne peut pas tout maîtriser.

Certains ont décrié l'emploi du terme "agent étranger". N'est-il pas sans rappeler, tout comme ce texte de loi, la période soviétique ?

Depuis la chute de l’URSS, la société s’est transformée. Aujourd’hui, l’opinion publique est diversifiée, il existe différents courants politiques. On ne peut donc pas dire qu'on s’achemine vers la restauration d’un ordre soviétique.

Toutefois, c’est ici une idéologie qui s’exprime : celle du contrôle total par l’Etat. C’est la restauration de l’idée que le politique est capable de tout maîtriser. Aussi, on ne peux pas dire non plus qu'on se dirige vers l'ouverture. 

Un des principaux problèmes de la Russie aujourd’hui, c’est l’idée, partagée par l’opinion publique, que les maux de la société russe proviennent de l’étranger, qu’il y a « contamination » de l’extérieur. Tout un courant d’opinion exprime ce rapport xénophobe à l’étranger, envers les populations du Caucase ou d’Asie Centrale. Les ONG aussi sont la cible de ces attaques : l’instabilité ou les conflits que connaît la société russe viendraient de l’extérieur. Évidemment, l’idée est assez courte, puisque les problèmes sont beaucoup plus complexes que ne le laisse entendre cette analyse.

Que nous révèle cette initiative sur le pouvoir russe actuel ?

Il y a, à la fois, cette volonté d’envoyer un signal politique fort à l’égard de l’étranger ; et une chimère : la société russe aujourd’hui est une société ouverte, inévitablement marquée par les influences de l’extérieur. Les idées circulent, que ce soit par Internet ou la télévision. Cela montre que le pouvoir ne se prépare pas à l’émergence de ces idées, qu’il ne pourra pas contrôler par une simple loi.

C’est donc un signe de faiblesse de la part du pouvoir russe ?

D’une certaine manière, oui.

On sait que les ONG se multiplient dans certains Etats post-soviétiques, jusqu’à assumer parfois le rôle traditionnellement dévolu à l’Etat dans certaines de leurs attributions. L’inquiétude du pouvoir russe est-elle légitime ?

Il est vrai que les ONG locales dans l’espace post-soviétique sont souvent en rapport avec d’autres ONG internationales ou des fondations qui sont financées depuis l’extérieur. Mais ceux qui travaillent pour ces ONG le font dans l’optique de créer une société de contestation, de participation : environnement, liberté religieuse, liberté politique... Elles portent ces grandes questions qui agitent actuellement les sociétés.

On ne peut pas nier que, dans notre monde globalisé, les ONG sont des vecteurs d’influences extérieures. Les grandes ONG internationales ont émergé en France ou en Europe, que ce soit Médecins du monde ou Médecins sans frontières par exemple, à travers ce qu’on a appelé « le droit d’ingérence » dans des situations catastrophiques nécessitant une intervention d’urgence. Et les grandes organisations internationales qui traitent des questions d’écologie ou de libertés religieuses sont liées à des questions politiques.

Ces organisations ne viennent pas seulement du monde occidental. Il existe de grandes ONG dans le monde musulman, originaires notamment d’Arabie Saoudite, qui favorisent le prosélytisme religieux.  

Quel est le poids réel de ces ONG en Russie ?

Les ONG prolifèrent surtout dans les ex-Etats soviétiques d’Asie Centrale. Mais en Russie aussi, les grandes organisations internationales, les fondations financées à l'international, sont très présentes au côté des ONG locales. 

Propos recueillis par Ania Nussbaum

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