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Talibans, Pakistanais, hystérie collective... Mais comment expliquer les empoisonnements en série
chez les petites Afghanes ?
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Les experts Kaboul

Depuis trois ans, l’Afghanistan connaît une autre guerre, mystérieuse, sans que personne ne parvienne à identifier un auteur ou un réel présumé coupable d’une manière certaine. Une chose est sûre : la cible est bien identifiée. Il s’agit des jeunes écolières à travers le pays.

Karim  Pakzad

Karim Pakzad

Karim Pakzad est chercheur associé à l’Institut de recherches Internationales et Stratégiques (IRIS). Il a été professeur de sciences politiques à Kaboul.

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Lorsque pour la première fois, en 2010, des jeunes écolières d’un collège de Ghazni, à l’ouest de Kaboul et l’un des points forts de l’insurrection des talibans, ont été victimes d’un « empoisonnement », les parents et les éducateurs y ont vu tout naturellement la main des Talibans oeuvrant à empêcher leurs filles d’aller à l’école. En mai 2012, 127 jeunes filles d’un collège de Taloqan, une province du nord du pays plus ou moins épargnée par la guerre,  ont été victimes de malaises (maux de  tête, nausées et étourdissements). Un mois plus tard, toujours dans le nord, c’est au tour d’un collège de filles de la province de Takhar d’être affecté, pour les mêmes raisons, par l’hospitalisation de 150 collégiennes.

Cette fois, si les Talibans ont toujours été désignés comme coupables, et à travers eux les services de renseignement pakistanais toujours actifs à rechercher la déstabilisation de l’Afghanistan, le diagnostique médical s’était avéré plus nuancé. Les services médicaux de l’OTAN avaient alors pris en charge les analyses des échantillons d’eau avant d’annoncer leur verdict : aucune détection de substances toxiques ou de bactéries d’origine non naturelle. Cela n’a pas empêché la Direction nationale de sécurité afghane (NDS) d’annoncer l’arrestation de 15 suspects et des preuves d’empoisonnement : deux écolières du même âge que les victimes auraient avoué être les auteurs de ces faits.

Mais voilà que le 18 juin 2012,  la province centrale de Bamiyan, le pays des hazâras et des chiites et l’une des rares provinces afghanes où les talibans n’ont aucune influence, a annoncé également l’ « empoisonnement » de 50 écolières. Entre temps, les Talibans avaient déclaré ne pas être derrière ces actions en les considérant même comme « anti-islamiques ».

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a dû prendre les affaires en main sans convaincre ni les parents des jeunes filles, ni le NDS qui semble trouver chez son homologue pakistanais le coupable idéal. Après avoir analysé 200 échantillons provenant d’une trentaine d’écoles, l’OMS a constaté qu’« aucune preuve substantielle d’empoisonnement délibéré n’a été trouvé ». L’OMS évoque même une autre cause pour ces incidents à répétition : « selon des résultats préliminaires, les analyses de ces incidents  et la situation générale indiquent que l’hystérie collective est la cause la plus probable ».

La mission des Nations-Unies à Kaboul (UNAMA) semble du même avis. Le mardi 10 juillet, James Rathor, responsable du bureau des droits de l’homme, est allé encore plus loin en n’excluant pas que les suspects arrêtés par les services afghans aient été victimes de tortures pour avouer un crime qu’ils n’ont pas commis.

L’OMS évoque un point qui mérite d’être souligné : la situation générale. En effet, en dépit de certains progrès en matière d’éducation et de santé depuis 2001, la société afghane reste une société profondément traumatisée. Plus de trente ans de guerres successives, dont celle toujours inachevée, ont laissé des traces durables. Outre la destruction de 25 % des terres et 43% des biens, et plus d’un million de personnes handicapées, la situation est dramatique pour l’immense majorité des Afghans. Selon des études citées par l’ONG française, Solidarités, un tiers de la population fait face à l’insécurité alimentaire et 78 % d’entre elle n’a pas d’accès à l’eau potable ; 50 femmes meurent chaque jour pendant la grossesse et un enfant sur cinq n’atteint pas l’âge de cinq ans.  Les femmes sont les principales victimes, doublement. Victimes de la guerre et victimes de leurs conditions sociales dans une société très stricte et rigoureuse. L’exécution de sang froid survenue la semaine dernière d’une femme accusée d’adultère n’est qu’un exemple tragique parmi beaucoup d’autres. Le nombre de suicides, notamment par immolation, est très élevé parmi les femmes. La soif d’éducation chez les jeunes, et particulièrement chez les jeunes filles, se heurte non seulement à un environnement de guerre, de violences et d’insécurité, mais aussi aux carcans d‘une société où les femmes, notamment dans les campagnes, n’ont pas les mêmes droits que les hommes.

Le mystère des jeunes écolières afghanes resterait donc entier : œuvre des talibans opposés à l’éducation des filles, actions des services pakistanais pour déstabiliser l’Afghanistan, complots des services afghans toujours prêts à chercher les responsables des maux des Afghans ailleurs que dans la politique gouvernementale ou hystérie collective d’une génération qui n’a connu que la guerre et l’insécurité ?

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