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Facebook, cette nouvelle façon
de conjurer la mort
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Le processus de deuil est en pleine mutation. Aujourd'hui, grâce à l'existence des réseaux sociaux, une personne survit après sa mort sur Internet. Sur Facebook, il existe même un statut "In memoriam" afin de permettre aux proches de se recueillir virtuellement.

Fiorenza Gamba

Fiorenza Gamba

Fiorenza Gamba (docteur en Philosophie, Sorbonne-Paris IV et en Sociologie, Université de Turin, Italie) est professeur agrégé de Sociologie des pratiques culturelles à l’Université Sapienza de Rome.

Ses études portent sur la relation entre la mort et ses rituels et les nouvelles technologies de l’information et de la communication, et aussi sur l’image et l’imagerie numérique, notamment les images scientifiques et quotidiennes.

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Atlantico : Aujourd’hui, la planète compte plus de 800 millions de comptes Facebook. Souvent, on constate que, quand une personne meure, son compte lui survit. Il est parfois même encore alimenté par les proches, devenant un lieu de recueillement en ligne. Comment expliquer ce phénomène ? 

Fiorenza Gamba : Dans la société contemporaine, les rituels funerères parviennent de moins en moins à accomplir leur fonction de passage et de retour à la normalité. En effet les rituels standardisés se montrent incapables de satisfaire le besoin de sens exprimé par l’homme contemporain qui se manifeste par la quête des formules personnalisées jusque dans le domaine du deuil et des rites qui l’accompagnent ; formules chargées d’affectivité où l’individu se fait bricoleur de son propre système de signification.

Il s’agit d’une personnalisation partagée par les proches, où la séparation entre l’espace des vivants et l’espace des morts s’affaiblit. De la même manière le temps des morts déborde des ses limites et se mêle à celui des vivants ; les temps de la normalité de la vie quotidienne des vivants sont aussi affectés en modalités multiples qui souvent ne sont plus en mesure de reconstituer la cohésion du groupe social.

A cela il faut ajouter que la présence postmortem des individus dans les réseaux sociaux assure aussi une certaine forme d’immortalité, qui porte sur la mémoire : l’individu est remémoré à loisir par des fragments réels de sa vie (vidéos pour la plupart), il n’est pas enfermé dans un temps définitivement passé et séparé de celui des proches, au contraire il se pose dans une dynamique personnalisée.

Il existe sur Facebook un statut « In memoriam »...

La fonction  "In memoriam" de Facebook est une fonction activée par les administrateurs de la plateforme sur requête des proches, à travers laquelle est possible de poster des messages, des photos, des vidéos sur le profile du décédé. Il ne s’agit pas d’une pratique qui relève de manière exclusive de Facebook, mais plutôt de l’évolution, en mesure des nouvelles acquisitions technologiques, d’une exigence de conservation de la mémoire et de partage et d’élaboration  du deuil sur le web qui date au moins du 1995 et s’est diffusée avec le phénomène des cimetières virtuels.

Justement, c’est le 28 avril 1995 que Michael Kibbee, ingénieur canadien malade d'un cancer, a crée un espace virtuel où les internautes, leurs proches et leurs amis pouvait ériger des monuments stables aux morts. A partir de ce moment là, l’usage du web comme outil en mesure de personnaliser et remplir de sens le deuil et la commémoration est devenu de plus en plus répandu. En effet, la fonction "In memoriam" de Facebook n’est que la dernière typologie de cimetière virtuel, qui suit celle des  "jeux vidéo", des "hypertextes"   et des  "pages personnelles". Malgré leurs différences formelles, elles satisfont toutes les mêmes besoins et forment des véritables hypertextes, que Kibbee définissait comme « familiales » et que nous préférons renommer aujourd'hui « hypertextes de la communauté des proches », à savoir des lieux où, à travers la communication et le stockage de la mémoire numérique, individuelle et collective, les proches du défunt produisent un récit audiovisuel qui d’une part lie entre eux le mort et les vivants et de l’autre part intensifie le lien parmi les vivants.

Ce genre de pratiques sociales changent-elles notre rapport à la mort ?

Je ne suis pas sûre que cela change notre rapport à la mort, qui demeure tant un refoulement  qu'une exhibition. Mais évidemment les modalités d’élaboration du deuil changent. Les individus de notre société exigent des rituels dotés de sens et n’acceptent plus un appareillage des rites bien formalisé mais vide du point de vue émotionnel.

Le fait de conserver un compte Facebook peut-il faire partie d’un processus de deuil pour les proches de la personne décédée ?

La structure de Facebook qui permet de poster des objets numériques très différent et qui permet non seulement d’exprimer mais surtout de partager des réflexions et des émotions selon un échange libre, direct et continu se montre idéale pour accueillir la quête du sens et de personnalisation qui concerne le deuil et, en général, les rituels funèbres. Justement, la structure de ces expériences porte sur trois moments :

1) Le vécu individuel par rapport à cette expérience-limite (celle de la mort) ;

2) L’administration de cette expérience à travers les rituels;

3) La construction du sens de cette expérience qui passe à travers l’élaboration du deuil.

La fonction « In memoriam » de Facebook – comme cela a été auparavant pour les cimetières virtuels - , par son accès illimité et la possibilité de créer des formes personnalisées de rituels de commémoration, s’accordent avec la personnalité du défunt et se référent souvent aux circonstances de la mort, transforme le deuxième de cette expérience-limite.

Effectivement l’activation et la pratique de la fonction « In memoriam » se superpose à l’administration traditionnelle de la mort gérée par des institutions spécialisées, notamment religieuses aussi bien que hospitalières, qui ont produits des rituels très figés, très normés par rapport à l’espace et au temps. Ces rituels sont de plus en plus perçus comme vidés de sens, ou alors insuffisants. Dans le profil Facebook, ce sont les visiteurs qui produisent les formes de commémoration et de mémoire.

Mais Facebook permet aussi d’intervenir sur le processus du deuil, lui aussi rétréci dans l’espace et le temps publique à lui accorder, parce que il n’y a là aucune restriction par rapport à l’exigence de « rester avec » le défunt selon des modalités multiples. En particulier le "social network" active un réseau en mesure de partager, d’échanger, de franchir la douleur de la perte selon des exigences qui changent dans les cas différents.

N’est-il pas malsain de conserver ce genre de compte Facebook ? Cela ne développerait-il pas notre tendance au voyeurisme, exacerbée sur le web ?

Difficile de donner une réponse faute d’une enquête approfondie sur le sujet, et je me limite à une tache de description et d’analyse qui s’abstient de tout jugement. Il est évident que le voyeurisme est une modalité contemporaine de notre accès au social, au publique et, parait-il, à notre sphère plus privée aussi, dont le web représente, pour le meilleur et pour le pire, le champ d’expression privilégié. Une tendance issue, elle aussi, du processus de visualisation, de rendre visible, de donner à voir qui a caractérisé notre société à partir de la modernité.  

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