Mais pourquoi ce fétichisme du dialogue social alors que le sempiternel colbertisme français nous interdit toute évolution vers un modèle à l’allemande ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Mais pourquoi ce fétichisme
du dialogue social alors que
le sempiternel colbertisme français nous interdit toute évolution
vers un modèle à l’allemande ?
©

La grande illusion

La conférence sociale a donné lieu à un "spectacle", où partenaires sociaux et gouvernement ont donné l'impression de dialoguer à cœur ouvert. Mais pour quel résultat ? Et surtout, pourquoi syndicats et patronat n'assument-ils pas leur autonomie jusqu'au bout, comme en Allemagne, où ils n'ont pas besoin de l'impulsion de l'État pour discuter ?

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

Voir la bio »

L’intérêt majeur de la conférence sociale semble être le spectacle que les partenaires sociaux et le gouvernement se sont donnés à eux-mêmes: celui d’une communauté, d’une "cour" eut-on dit sous Louis XVI, qui se rassemble et se parle. Qu’importe s’il s’agit de constater son impuissance pour le grand malade France.

L’exercice a-t-il donné lieu à une rupture effective avec les pratiques du précédent gouvernement?

Il n’est pas sûr que les annonces faites par le Premier Ministre sur le SMIC, par exemple, consistant à préparer un texte à l’automne pour honorer les promesses du candidat Hollande, aient eu besoin d’une conférence au palais d’Iéna pour être faites. La décision était prise avant et n’est pas née d’une longue concertation avec les syndicats. En ce sens, Jean-Marc Ayrault a bien démontré, une fois de plus, la difficulté d’improviser en deux jours une politique sociale gouvernementale. Par nature, le travail doit être préparé, organisé, mûri et le pouvoir ne peut s’en remettre à une réunion isolée, fût-elle longue et la mieux organisée du monde.

Néanmoins, il serait exagéré de limiter l’exercice du Palais d’Iéna à une mise en scène réussie d’une nouvelle façon d’assumer le pouvoir. Elle correspond effectivement à une doctrine originale qui demeurera probablement la marque de fabrique du hollandisme: le colbertisme social.

Par quoi se caractérise-t-il?

D’abord par l’ambition qu’a l’Etat de fédérer les énergies, de donner l’impulsion au dialogue que les partenaires sociaux nouent entre eux. Le gouvernement a même souhaité manifester tout son savoir-faire sur ce sujet. Les commentateurs, y compris syndicaux, l’ont apprécié.

C’est une étrangeté. En effet, depuis la loi Larcher, devenue l’article 1 du Code du Travail: «Tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l'emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l'objet d'une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l'ouverture éventuelle d'une telle négociation».

Au terme de cette disposition, les partenaires sociaux devraient être des acteurs habituels du Gouvernement. Et s’ils assumaient jusqu’au bout leur autonomie, ils n’auraient guère besoin d’une Conférence sociale pour se rencontrer et discuter.

Férus de références au dialogue social allemand, certains des partenaires sociaux devraient d’ailleurs se souvenir qu’Outre-Rhin, la mise en scène qui s’est déroulée au Palais d’Iéna serait inimaginable. Selon la Loi Fondamentale allemande de 1949 et ses pratiques confirmées ensuite par la loi et la jurisprudence, l’Etat, en Allemagne, n’a ni le droit ni la faculté d’intervenir dans les relations entre partenaires sociaux. Ceux-ci sont condamnés à s’entendre sans l’arbitrage public.

D’une certaine façon, la conférence sociale française consacre le renoncement au modèle allemand. Elle fonde un modèle totalement alternatif: celui d’un dialogue social organisé par l’Etat et sous son arbitrage systématique.

Deuxième caractéristique du colbertisme social : il repose sur des partenaires supposés représentatifs de forces nationales et interprofessionnelles. Comme si le redressement productif, qui est essentiellement industriel, ne pouvait être traité directement avec les industriels et avait besoin d’une intermédiation avec d’autres forces. Ainsi, ce n’est pas l’excellente UIMM qui traite du sujet avec le pouvoir, mais le MEDEF dominé par les banques qui portent une lourde responsabilité dans la crise actuelle, la CGT dominée par les fédérations de fonctionnaires, l’UPA qui ne représente que les artisans, ou encore la CFTC, si peu représentative.

Là encore, les adeptes du modèle allemand auront noté qu’Outre-Rhin, les partenaires sociaux évitent soigneusement les grandes messes interprofessionnelles et aiment à se réunir au niveau des branches professionnelles. Pour une raison pratique simple: personne ne comprendrait la légitimité des banquiers à participer aux grands axes politiques de l’industrie nationale. Les Allemands considèrent qu’il s’agit là d’une prérogative des patrons et des syndicats de l’industrie.

Il faut être Français et tributaire du grand mythe communiste de 1945 pour croire qu’une seule décision économique ou sociale peut être bonne pour l’ensemble du système productif et pour la totalité de la classe salariale. C’est grâce à cette illusion de la centralisation que l’industrie française a disparu ou presque en 30 ans.

Mais le plus important était que tout le monde s’entende bien et soit heureux de se rassembler.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !