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Woody Gaga ? Quelles lunettes
a donc chaussé Allen pour ne plus voir les capitales européennes
qu’en univers à la Disney ?
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From Barcelona, Paris, Rome... with love

Woody Allen se répète-t-il trop ? Depuis des années, il tourne dans des capitales européennes avec des intrigues romantiques. Mais au-delà de la comédie légère, il faut comprendre l'ironie du cinéaste.

Yannick Rolandeau

Yannick Rolandeau

Yannick Rolandeau a réalisé plusieurs courts métrages (Pop Corn, Natures mortes). Auteur de Le Cinéma de Woody Allen, La Mise en scène au cinéma (éd. Aléas), il a en préparation ou en projet romans, courts et longs métrages. Il est aussi collaborateur à la revue littéraire L'Atelier du roman (éd. Flammarion) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.

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Attention, certains passages révèlent l'intrigue des films.

Depuis des années, Woody Allen tourne dans les capitales d’Europe. Et on lui reproche de se répéter ou de faire dans la carte postale. Que dirait-on de Manhattanencensé par la critique ? Qu’est-ce qu’une carte postale ? Une imagerie romantique de personnes ou d’un endroit. 

Un film permet de saisir son approche, Comédie érotique d’une nuit d’été(1982) avec un cadre idyllique (nature et soleil) que le cinéaste n’aime pas, préférant la ville et la pluie. S’il y avait carte postale, ses personnages seraient en phase avec l’imagerie idyllique des situations. Ici, il utilise un avant-plan champêtre pour tisser un arrière-plan amer où les individus deviennent amoureux quand la personne est possédée par autrui. L’idylle avorte. Nous ne pouvons qu’être insatisfaits de l’image que nous nous faisons de la vie par rapport à la réalité. La mort et l’ombre menacent derrière le soleil comme il est dit : "Cette belle lumière d'été n'a qu'un temps."

La comédie ne peut pas dire crûment ce que dit la tragédie : elle dissimule son tragique derrière l’humour et l’ironie. Woody Allen est le cinéaste le plus démystificateur qui soit sous des apparences enjouées, les films dits « sérieux » n’étant là que pour confirmer cette vision. Il répertorie les chimères que les hommes et les femmes s’inventent dans tous les domaines possibles. Le mécanisme de l'illusion est au cœur de ses films.

 Le cadre idyllique est contredit par ce que vivent les personnages. Ces derniers ne sont ni dominés, ni socialement défavorisés. Au contraire. Ils sont libres, vivent sous le soleil, dans de belles villes, entourés d’œuvres d’art et riches. Eh bien non, ils s’illusionnent, ont une lubie. Quant aux personnages plus pauvres (Le rêve de Cassandre, La Rose pourpre du Caire), ils ont les mêmes problèmes. Constat : on peut améliorer les conditions de l'individu, son confort, son mal de dents mais nullement son angoisse métaphysique fondatrice, ses illusions.

Dans Vicky Cristina Barcelona, personne ne parvient à être heureux, en proie à ses démons. Chacun est appelé à devenir le contraire de ce qu'il paraît, disait ou croyait être, pris dans une indécrottable rivalité mimétique comme dirait René Girard. Tous sont condamnés à éprouver l'insatisfaction en croyant aller vers le bonheur. S’ils réalisent leurs désirs, ils s'en lassent. Vicky Cristina Barcelona a tous les attraits d'une comédie légère mais la narration du film cache un constat désabusé des relations humaines. L’aspect ensoleillé de Barcelone se relève être le soleil noir de la mélancolie d’être qui éclabousse tout le monde.

Avec Minuit à Paris, Woody Allen installe le cadre somptueux du Paris des années 20. Si le film déçoit, ce n’est pas à cause du côté carte postale mais de ses personnages inaboutis. Là est la faille du cinéaste, de réaliser trop de films et de ne pouvoir en soigner certains. La désillusion est pourtant là : Gil renonce à son idéalisation du passé, quitte Adriana, quitte sa femme et opte pour une jeune femme banale, plus réelle. Il le dit : préférer la réalité à l’illusion. Le déni de réel est ce qu’il y a de pire car l’idéalisation est un cauchemar, créant une imagerie du réel à laquelle on se soumet pour notre plus grand malheur. Rappelons-nous Zelig, dans lequel le personnage, un juif affublé d’un monstrueux mimétisme, finit par intégrer le parti nazi !

Idem avec To Rome with love.Belle ville ensoleillée où chaque couple se trahit car chacun est fasciné par une imagerie kitsch qui tapisse son imaginaire : Jack trompera Sally avec Monica et tombera amoureux d’elle quand il l’aura présentée à un ami. Monica le quittera après moult promesses car elle a obtenu un rôle et va fréquenter des vedettes. John commente le mécanisme de cette fausse relation amoureuse et l’imagerie romantique qui la sous-tend. Antonio, homme timoré, trompera Milly avec une prostituée plantureuse, Anna, tandis que Milly va presque tromper Antonio avec une vedette de cinéma, au physique ingrat, interprétant des rôles de gangsters avant de succomber à un vrai voyou dans une chambre d’hôtel. On comprend pourquoi Woody Allen place l’intrigue de Leopoldo, homme banal, devenu célèbre pour des motifs futiles avant d’être abandonné par les médias pour un autre homme banal. Carte postale ?

Woody Allen, artiste tragique, est une sorte de Molière américain pour dénicher une métaphore acceptable, loin d’être un cinéaste destiné à réjouir les bobos. S’il est  aimé ou mal aimé, c'est souvent pour de mauvaises raisons. Une étude de ses œuvres ferait bondir n'importe quel progressiste.

De film en film, Woody Allen ne change pas (ses génériques). Reprocher une répétition ne réfute pas la sagesse du propos. S’il se répète, on pourrait le dire de Bergman. Et la répétition est conjointe au thème de l’illusion. Ce serait comme de critiquer quelqu’un que l’on aime d’être ce qu’il est, de se répéter chaque jour avec son physique, sa personnalité alors que nous l’avons choisi pour ces raisons. Signe patent que nous avons du mal à nous contenter de ce que nous aimons, surtout à notre époque où le marketing joue sur l’idéal du monde dans tous les domaines, y compris l’art et l’amour.

Voilà pourquoi Woody Allen est l’un des metteurs en scène les plus joyeusement démystificateurs qui soit. C’est-à-dire de se servir du cinéma comme d’un miroir détrompeur de nos illusions les plus chéries.

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