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Abaissement des taux de la BCE : encore une bonne nouvelle pour les banques et une mauvaise pour les autres
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La BCE a annoncé jeudi l'abaissement de son taux directeur à 0,75%, contre 1% précédemment. Une bonne nouvelle pour le secteur financier, mais malheureusement sans grand impact pour l'économie réelle, puisque ne débloquant pas l'accès aux crédits pour les entreprises.

Cédric Thellier - Nicolas Goetzmann

Cédric Thellier - Nicolas Goetzmann

Cédric Thellier est économiste spécialisé sur la zone euro chez Natixis depuis 2007.

Nicolas Goetzmann est gérant de fortune privée, ancien gérant de portefeuilles.

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Atlantico : La BCE a annoncé jeudi l'abaissement de son taux directeur à 0,75%, contre 1% précédemment. Qu'est-ce que cela va concrètement changer ?

Cédric Thellier : Cette décision ne change pas grand chose puisque les taux de marché étaient déjà très bas. Ils vont simplement l'être encore plus. Elle va cependant affecter toutes les liquidités octroyées via les opérations de LTRO (opérations de refinancement à long-terme à destination des banques, ndlr) dans la mesure où leurs taux se modifient au fur et à mesure de l'évolution des taux sur leur durée de vie. Mais il ne s'agit pas d'une solution définitive à la crise.

Espérons que, dans la lignée du dernier sommet européen, cette baisse du taux directeur puisse fournir une vision de long terme à la zone euro, afin de redonner confiance aux investisseurs, aux ménages et aux entreprises.

Nicolas Goetzmann : Les anticipations d'inflation vont être ré-appréciées à la hausse, et ainsi les anticipations de croissance. Cependant, la faiblesse de la baisse, et son anticipation par le marché en fait un non évènement. 

L'Europe compte aujourd’hui 11,1% de chômeurs, une croissance à 0%, et la réponse de la BCE n'est que de 25 points de base. C'est à dire que le conseil des gouverneurs est satisfait du niveau de la demande en Europe, car les perspectives d'inflation ne dépasseront pas les 2% à moyen terme. La croissance et le chômage sont laissés de côté. Ce qui importe à la BCE c'est l'inflation ! Il ne faut pas se leurrer, la banque centrale a les moyens de résorber le chômage et de faire repartir la croissance, il ne s'agit que d'une volonté politique. Le mandat de la banque centrale européenne ne le permet pas. Si le politique voulait agir réellement, c'est ici que ça se passe. Tous les efforts budgétaires ont un effet 0 dans une politique de stabilité des prix.

Comment expliquer que cet abaissement ne fasse tomber le taux qu'à 0,75%, alors que certains attendaient 0,5% ? Mario Draghi veut-il se réserver des marges de manœuvre politiques ? 

Cédric Thellier : Tout à fait. Il n'aurait d'ailleurs pas été surprenant qu'elle maintienne ses taux à des niveaux inchangés, afin de conserver encore une marge. Mario Draghi, le président de la BCE, a d'ailleurs été questionné sur ce sujet lors de la conférence qui a suivi. De manière générale, les marges de manœuvre s'amenuisent d'autant plus qu'il y a une relance des incertitudes quant aux perspectives de croissance en Europe.

Nicolas Goetzmann : Le mandat de la BCE se résume à contenir une inflation de 2% à moyen terme. Actuellement, le chiffre est de 2.4%, et les anticipations font état d'une stabilisation à 2% en 2013. Une baisse de 25 points de base ne fait que répondre à la baisse de ces anticipations, rien de plus. Il est tout de même probable que Jean Claude Trichet aurait ignoré cet état de fait, et n'aurait pas modifié les taux directeurs. Saluons Mario Draghi sur ce point.

La publication des derniers chiffres macro-économiques en Allemagne font état d'un ralentissement qui a permis une certaine tolérance de la Bundesbank en ce sens.

La Banque centrale chinoise a elle aussi abaissé son taux directeur quelques heures avant l'annonce de la BCE. Dans le même temps, la Banque d'Angleterre a injecté 50 milliards de Livres dans l'économie britannique. Cet abaissement des taux par la BCE était-il concerté (annonces du dernier G20) ou a-t-il été influencé par le positionnement des autres Banques centrales ?

Cédric Thellier : Il n'y a pas eu de concertation. Les décisions de la BCE sont influencées par les perspectives de croissance en zone euro, mais également par celles de l'économie mondiale caractérisées, en partie, par un ralentissement en Chine et au Royaume-Uni.

Nicolas Goetzmann : Je ne le crois pas. La réalité des chiffres des dernières semaines suffit à chaque autorité pour prendre sa propre décision. cela indique à quel point les perspectives sont moroses. De plus, les politiques sont très différentes entre ces trois banques centrales. La Bank of England est lancée dans un programme de Quantitative Easing, ce qui est salutaire, mais elle se trompe sur la méthode. En annonçant un montant (50 milliards), vous ne donnez pas d'indication sur votre objectif. En fixant un objectif (croissance nominale, etc.), vous obtenez le résultat très vite (l'exemple du CHF à 1,20 est frappant à cet égard).

Cela va-t-il permettre une relance du crédit à destination des entreprises et servir l'économie réelle, ou simplement permettre le renflouement des réserves de fonds propres des banques ?

Cédric Thellier : L'objectif reste de fournir un impact à l'ensemble des acteurs du secteur privé. Mais cet abaissement du taux directeur ne permettra pas de relancer significativement la distribution de crédit au secteur privé, ce qui reste l'un des objectifs de la BCE. Celle-ci est encore guidée par la demande qui, aujourd'hui, n'est pas bonne du fait de la situation des secteurs d'activités et du manque de confiance qui règne encore.

Nicolas Goetzmann : La question n'est pas là. L'objectif d'une politique monétaire est d'agir sur les anticipations de croissance et d'inflation. L'économie réelle ne sera servie que lorsque ces anticipations de croissance seront suffisamment solides pour que les banques aient la volonté de prêter. Pour le moment ce n'est pas le cas, et ce n'est pas ce mini pas qui changera cette situation. On ne peut pas toujours accuser les banques. Elles ne sont pas la cause, mais bien un symptôme de cette crise. Cette crise est monétaire, comme en 1929 et comme au Japon.

BNP FORTIS qui vient de récupérer le portefeuille italo-espagnol de BNP Paribas ou le Crédit agricole (exposé sur la Grèce) vont-elles pouvoir en profiter ?

Cédric Thellier : Il s'agit d'une bonne nouvelle, mais elle sera insuffisante...

Nicolas Goetzmann : Je ne crois pas que profiter soit le mot. C'est un investissement, avec un risque et un rendement. Mais, dans le contexte actuel, si le risque se réalise, nous accuserons les banques, et si le rendement se réalise, nous accuserons les banques. Ce qui me semble évident, c'est qu'avec une politique monétaire totalement obsolète, un tel investissement est un réel risque.

Les "ennemis de la finance" devraient regarder les cours de bourse des banques européennes depuis 2008, pour pouvoir mesurer de leur force. L'ennemi est le mandat de stabilité des prix. Si vous voulez en finir avec cette crise, il n'y pas d'autre issue, ou alors regardons le Japon comme notre avenir, 22 ans de stagnation.

Propos recueillis par Franck Michel et Olivier Harmant

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