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"Les Français sont satisfaits de leur eau, car ils n’ont aucun moyen tangible de la juger correctement."
"Les Français sont satisfaits de leur eau, car ils n’ont aucun moyen tangible de la juger correctement."
©Flickr / esquimo_2ooo

Eaux troubles

L'association France Libertés et 60 millions de consommateurs ont engagé une enquête baptisée Transparence, chargée de relever des données sur la qualité et le prix de l'eau en France. L'objectif : défaire les idées reçues sur la bonne qualité de l'eau consommée.

Claude Danglot

Claude Danglot

Claude Danglot est médecin, microbiologiste et ingénieur hydrologue. Pendant trente ans, il a mené des recherches sur la qualité de l'eau dans plusieurs laboratoires. Il est désomais membre du CRiiEAU (Comité de recherche et d'information indépendant sur l'eau).

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Atlantico : L’association France Libertés, en collaboration avec 60 millions de consommateurs, lance une opération Transparence sur le prix et la qualité de l’eau en France. Vous parlez de rétablir la transparence sur les informations relatives à la qualité et au prix de l'eau en France. Ces données sont-elles réellement opaques ?

Claude Danglot : Complétement. Tout le monde dit que l’eau est le plus contrôlé de tous les produits, ce qui implique donc qu’il est le plus sûr. Mais ces contrôles s’appuient sur des normes de potabilité qui ne sont plus fiables. A l’origine, c’est l’OMS (l’Organisation Mondiale de la Santé) qui définit les valeurs que l’eau potable doit respecter en se référant à des bases médicales plus ou moins respectables.

Ces données ont été respectées par la France et par la plupart des pays européens comme les tables de la loi. Jusqu’à très récemment, les services publics – par le biais des laboratoires d’hydrologiesubventionnés par l'État qu'ils soient départementaux ou régionaux (comme le CRECEP - centre de recherche et de contrôle des eaux de Paris) - étaient chargés de faire évoluer les normes en identifiant les nouveaux problèmes environnementaux, les nouveaux polluants, et en mettant au point des nouvelles techniques de dosage. Ce système a fonctionné pendant des années, mais à partir du traité de Maastricht, les laboratoires d’hydrologie publics ont fermé les uns avec les autres car ils n’ont pas été capables de soutenir la concurrence exercée par les laboratoires privés. Les charges de leurs recherches, supportées essentiellement par l'État, étaient bien trop élevées.

Les laboratoires publics qui sont restés ouverts ont reporté toutes leurs recherches sur la potabilité de l’eau. Or un laboratoire administratif doit répondre à des appels d’offre, il est d’une lourdeur énorme contrairement aux laboratoires privés. Ces bouleversements ont éclipsé la réforme des normes de potabilité, qui sont restées là où on les a laissées, et sont donc obsolètes.

Ainsi, les 92% des Français qui s’estiment satisfaits de leur eau se trompent ?

Si on demande aux gens s’ils sont satisfaits de la couleur du ciel, ils diront oui. Mais cette question n’aura pas réellement de sens. Les Français sont satisfaits de leur eau, car ils n’ont aucun moyen tangible de la juger correctement.

Quelles sont les zones en France qui souffrent le plus de la mauvaise qualité de l’eau ?

Dans toutes les grandes villes, il existe des stations de traitement qui sont relativement performantes. Paris possède d’ailleurs plusieurs grandes stations de traitement. En revanche, à la campagne, le traitement est nettement moins performant, les eaux prélevées ne sont que très légèrement désinfectées avant la consommation et sont donc bourrées de pesticides.

Dans le meilleur des cas, les milieux ruraux n’auront qu'un ou deux contrôles de la qualité de l’eau par an, et encore selon les périodes, les agents des ARS (Agence Régionales de Santé) ne trouvent rien dans les prélèvements. Ces facteurs font que les habitants continuent de boire une eau polluée sans le savoir.

Votre campagne insiste sur le rôle de « lanceur d’alerte » des populations. Les ruraux ont-ils les moyens de jouer pleinement ce rôle ?

Les citoyens doivent être informés des problèmes afin de les résoudre ensemble, c’est le rôle même des démocraties. Pour que les habitants des campagnes puissent convenablement jouer leur rôle il faudrait qu’ils soient suffisamment informés. Mais le système ne joue pas toujours le jeu.

Les scientifiques et les agences savent que l’eau est de très mauvaise qualité en France, le pays a été épinglé de nombreuses fois par Bruxelles parce que les eaux n’obéissait pas aux normes européennes. En 2015, le France devra garantir la bonne écologie des eaux de rivière. L’agence nationale IFEN (Institut Français de l’Environnement), s’occupait auparavant de la vérification de la qualité de l’eau de tous les bassins français, afin de repérer la concentration de pesticides. Tous les ans, un bilan était publié et les conclusions étaient très mauvaises. En effet, la France est le plus grand pays agricole d’Europe, il est donc le deuxième utilisateur mondial de pesticides. Il y en a partout, dans toutes les eaux. Les conclusions de cette agence, jugées trop dérangeantes, ont sans doute été une des raisons de sa dissolution. Elle a ensuite été refondée en 2009, mais avec des missions différentes. Sans les rapports pointant la présence des pesticides, personne ne se doute de rien et on pense que tout va pour le mieux.

Or, on connaît l’action de produits tel que le diphosate - présent dans toutes les eaux de Bretagne, et qui - c’est prouvé scientifiquement - est néfaste pour l’espérance de vie humaine. Et pourtant, tous les Bretons consomment cette eau, car on ne peut pas s’en passer.

Dans l’état actuel des choses, la France a-t-elle les moyens de répondre aux impératifs dictés par l’Union européenne ?

Tant qu’elle gardera ces normes obsolètes, ce sera impossible. On sait désormais que 80% des cancers sont liés aux mauvaises conditions environnementales. On a atteint un stade quasi-critique. Or des progrès ont été réalisés récemment dans la détection des phtalates et du bisphénol A, ce dernier déjà pointé du doigt pour sa présence dans les biberons.

Les bombonnes d’eau, livrées dans les bureaux, contiennent énormément de cette substance et mettent en danger les femmes enceintes qui peuvent voir leur enfant atteint de malformations graves après sa consommation. Elle diminue la capacité de synthèse de testostérone des hommes, et la fertilité d’une manière générale. Actuellement, il faut en moyenne six mois de plus pour concevoir un enfant en France que dans les autres pays européens.

C’est un discours que les ingénieurs hydrologues connaissent bien, mais qui n’est pas relayé par l’administration qui préfère organiser une sorte de black-out en continuant à se référer aux normes, qui non seulement sont trop anciennes, mais aussi parfois stupides. On a alerté sur la présence de nitrates, mais on sait maintenant que les nitrates ne sont pas toxiques.

En Australie, certaines régions consomment une eau bourrée de nitrates sans pour autant qu’il n’y ait de répercussions graves sur la santé. Cette incohérence est dûe au fait qu’à une certaine époque, on ne savait doser que les nitrates et on ne se préoccupait pas des nitrites qui représentaient le véritable danger. Il y avait donc une fausse corrélation, dans les années 1930, entre les maladies déclarées chez les enfants et la présence de nitrates dans l’eau.

En revanche, de nos jours, on a découvert que les nitrates étaient un redoutable traceur de pollution. La présence de nitrates dans une eau en grande quantité sont un indicateur de sa très forte contamination par les pesticides. Les nitrates sont donc des alertes.

Les chercheurs se battent-ils pour l’actualisation des normes en vigueur ? Quel discours leur est opposé ?

Il n’y a pas de discours, car il n’y a pas de dialogue. Avec plusieurs autres scientifiques, j’ai fondé le CRIIEAU (Comité de recherche et d’information indépendant sur l’eau) qui permet de mettre en place de nouvelles normes de qualité. Les normes actuelles ne garantissent pas le risque zéro de cancer après 15 ou 20 ans de consommation, elles assurent simplement que les hommes ne se fassent pas empoissonner soudainement par l’eau qu'ils consomment.

Les instituts tels que le CRIIEAU traquent la présence dans l’eau de substances cancérigènes à long terme, afin de garantir une consommation sans risques à très long terme. En quelque sorte, nous recherchons des normes de qualité bien au-dessus des normes d’alerte, qui sont en vigueur actuellement et qui valident la simple potabilité de l’eau.

Propos recueillis par Priscilla Romain

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