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L’Internet en soi n’a rien transformé : ce n'est qu'une caisse de résonance.
L’Internet en soi n’a rien transformé : ce n'est qu'une caisse de résonance.
©Reuters

Valeurs actuelles

Les couples homosexuels peuvent désormais se marier officiellement sur Facebook. La petite icône bleue qui représente un couple homosexuel va-t-elle faire accepter le mariage gay aux yeux de tous ? Les nouvelles technologies peuvent-elles faire évoluer notre système de valeurs plus rapidement ?

Atlantico : Les couples homosexuels peuvent désormais se marier officiellement sur Facebook. Quels sont les facteurs qui influent sur les valeurs d’une société ? Facebook en fait-il partie ?

Stéphane Hugon : L’Internet en soi n’a rien transformé. Il n’a fait que libérer quelque chose qui était potentiellement présent dans le désir dans la société. C’est l’inverse : Internet est une caisse de résonance, une manifestation de ces transformations sociétales. C’est comme une photographie qui révèlerait l’image d’une société. Si Facebook met en place cet indicateur, c'est parce que le mariage gay existe dans la pratique et qu’il existe un désir pour cela. De fait, il y a d’abord de la culture, et ensuite il y a des outils. Internet ne vient que cristalliser ces nouvelles formes de vivre ensemble.

Il faut se rappeler de ce qu’était un PC il y a encore quinze ans : cher, qui nécessitait un minimum de formation, qu’on n’intégrait pas dans un protocole classique de construction du savoir, etc. Mais si on s’est approprié cet outils aussi facilement, c’est uniquement parce qu’il permet aux gens d’exprimer ce qu’ils sont.

De même, les médias n’influencent ni ne structurent la vie sociale, mais facilitent l’expression des imaginaires.

Parler de « moteurs », d’ « évolution » des valeurs, ce serait considérer, comme au XIXe siècle, qu’il y a un progrès. Lévi-Strauss disait justement : « on a toujours aussi bien pensé, on a toujours aussi bien vécu ». Dire qu’aujourd’hui, nous sommes mieux qu’avant, c’est une construction historique a posteriori. C’est faux. Cette idée d’un progrès est très occidentale.

La technologie n’a donc aucun rôle à jouer dans notre système de valeurs ?

S’il y avait une seule fonction de la technologie, ce serait celle d’accélérer la diffusion des éléments qui sont déjà présents dans l’imaginaire des personnes. Les nouvelles technologies ont facilité la recomposition d’un nouvel être ensemble

Dès lors, quelles sont les vraies raisons qui expliquent le contenu de nos valeurs ?

La transformation des archétypes et des mythes fondateurs. C’est parce que les nouvelles générations ont une nouvelle manière de construire leur identité et leurs relations que les réseaux sociaux ont pu révéler cette nouvelle manière de construire son cadre affectif. Pendant très longtemps, la société a été très patriarcale, très rationnelle, fondée sur l’attente d’un futur dans la veine de la culture judéo-chrétienne. Or il se trouve que cette culture est en train de se démobiliser : la famille, le travail, l’espoir d’un futur ont moins de sens aujourd’hui. Cette grande parenthèse de 250 ans se ferme à présent : des nouvelles formes d’être-ensemble, des nouvelles formes d’amour se créent. C’est la fin de la modernité européenne.

On cherche toujours une relation de cause à effet pour expliquer ce phénomène, mais il y a de moins en moins de relation de cause à effet. Surtout sur Internet, où coexistent beaucoup de paradoxes : des milieux très conservateurs, d’autres très libérés, sont sur la toile. Il faut arrêter de chercher des éléments de rationalité.

Ce sont en général les plus jeunes qui sont présents sur Internet. Y a-t-il un choc des générations ?

Il existe un « vieux monde » qui se calque toujours sur les schémas de notre culture européenne, alors que d’autres pratiques sont amplifiées par Internet. Mais ce n’est pas forcément une rupture en termes d’âge, puisque parfois les jeunes seniors, entre 60 et 65 ans, surfent beaucoup sur le net, consomment beaucoup, et s’adonnent aux expérimentations par rapport au corps, à la consommation, etc.

Ce public est par là assez proche des toutes jeunes générations. Du coup, la rupture se fait par rapport à ceux qui se situent au milieu. Ils sont d’autant plus coincés qu’ils détiennent le pouvoir politique et économique. Dans les entreprises, les 45-55 ans sont souvent déphasés par rapport à la société de demain. Je vois souvent des managers s’adresser à moi parce qu’ils ne comprennent pas comment vivent leurs benjamins. Ils sentent qu’il se passe quelque chose sur le net, qu’une autre culture se fait jour - sans trop savoir ce que c’est. D’où des ruptures managériales. Les managers, qui ont quinze ans de plus, ne comprennent pas leurs subordonnés, qui ont un rapport différent au temps, un rapport différent au travail, au devoir.

Le pouvoir politique n’a-t-il aucun rôle à jouer dans l’élaboration de notre système de valeurs ?

Le champ politique, pour le dire d’une manière un peu crue, est "totalement à la ramasse". Il suffit de voir qui a le droit de vote, et d’en retrancher les taux d’abstentions. Au final, le président est élu par une minorité de la population. Il y a le politique, la société officielle ; et il y a la société qui vit à côté, dans l’indifférence au politique. De même pour le champ syndical.

Pourtant, certaines lois, comme qui celle qui abolit la peine de mort en 1981, ont eu un impact fort sur les opinions…

C’est très vrai. Mais c’est justement un modèle qui existait au XXe siècle, qui a clairement commencé à changer dans les années 1980.

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