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De quelles unions du passé, l’Europe pourrait-elle s'inspirer pour sortir
de l’ornière ?
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Retour vers le futur

Les appels en faveur d'un fédéralisme européen se multiplient. Mais l'Histoire de l'Union montre que les avancées en ce sens rencontrent souvent la résistance des États ou des peuples. 4e épisode de notre feuilleton consacré à l'Europe politique de demain.

Sylvain Schirmann

Sylvain Schirmann

Sylvain Schirmann est historien, auteur de nombreux ouvrages sur l'Europe, et directeur de Sciences Po Strasbourg.

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A (re)lire, les autres articles de notre série :

Épisode 1 : Les États-Unis d'Europe sont-ils vraiment notre avenir ?

Épisode 2 : Imaginer des "États-Unis d'Europe" sur le modèle américain : une pure hérésie !

Épisode 3 : Le grand cimetière des avancées perdues de la construction européenne


Atlantico : Le  « rêve européen » est un rêve ancien. A quand remonte-t-il ?

Sylvain Schirmann : Effectivement, si l’on parle du rêve des « États-Unis d’Europe », celui d’une unité européenne, il existe dès le XIVe-XVe siècle, quand un roi de Bohême appelle à l’unité des princes européens contre l’empire ottoman.

Mais si l’on parle du projet européen actuel, celui qui repose sur des avancées économiques en espérant qu’elles seront suivies par des avancées politiques, il n’a qu’un peu plus d’un siècle d’existence. Et les premières réflexions réelles, sur un marché européen, sur une inter-gouvernementalité, n’apparaissent qu’au lendemain de la Première Guerre mondiale.

Le Saint Empire Romain germanique par exemple n’était pas une entité complètement européenne. Ni le Royaume de France, ni l'Angleterre n’en faisaient partie. Centré sur le Rhin et sur une partie de l'Europe médiane, le facteur d’unité de cet empire résidait, comme son nom l’indique, dans le christianisme, autour de l’empereur et du pape. C’est plus une Europe des principautés, fondamentalement différente de l’Europe actuelle – un vieux rêve de reconstruction de l’empire romain. Même s’il s’agit effectivement d’ une forme d’organisation de l’Europe.

C’est donc un projet jeune, auquel on en demande peut-être trop ?

L’Europe a connu un long mouvement d’affranchissement des peuples, dont les dates incontournables sont 1789, 1848 et à partir du XIXe siècle l’accession à l’indépendance des États : de la Belgique ou la Grèce, en passant par la Pologne ou l’État tchécoslovaque après la Première Guerre mondiale, et les unités allemande et italienne… La chute du mur et les événements qui ont suivi, la partition de la Tchécoslovaquie et le drame yougoslave, signifient l’aboutissement d’un processus de construction des États-nations.

Or on peut se demander si l’étape nationale n’est pas une étape nécessaire; s’il ne faut pas, avant d’envisager la construction européenne, accomplir l’indépendance de la nation. Dès lors, il ne faut pas oublier que certaines nations sont moins anciennes que d’autres. C’est une des difficultés de la construction européenne. Les identités nationales sont plus ou moins précoces, et les nations ont des histoires différentes. Avant de rêver à une identité européenne, les nations rêvent de se trouver elles-mêmes.

Combien de temps faudra-t-il donc attendre avant que les États n’arrivent à ‟maturité″ pour se lancer dans l’approfondissement de l’Europe ?

Ce sera un processus historiquement long, c'est-à-dire à l’échelle de plusieurs générations. Cela étant, par rapport à 1945, l’Europe a fait des pas de géants.

Peut-on déduire du modèle américain qu’une construction fédérale ne saurait être achevée en cinquante ans ?

Il est difficile d’établir une comparaison entre les deux modèles.

Le concept d'États-Unis d’Europe a été forgé par des écrivains au XIXe siècle, à l’heure de la construction des États-Unis  et à une époque où ces derniers pouvaient apparaître comme un modèle en terme d’institutions, de démocratie, etc. Les romantiques se sont d’ailleurs saisis du concept. Il a ressurgi avec force dans l’Entre-deux-guerres, dans l’optique de dépasser les conflits entre États-nations en Europe, à un moment où on parlait de « guerre civile européenne » - un peu en référence à la guerre de Sécession. Mais ce n’est jamais qu’un horizon, un but à suivre : jamais n’a existé l’ambition de copier le modèle américain.

Tous les concepteurs de l’Union européenne ont eu cette idée d’une « entité politique » de "l’Atlantique à l’Oural" (sans la Russie), sans vouloir que cette entité imite l’Amérique du Nord. Car le modèle américain a suscité de nombreuses critiques parmi ces fondateurs. Très tôt, certains insistent sur les différences entre les économies européenne et américaine.  D’autres invoquent le volet social beaucoup plus poussé de l’Europe, qui serait un particularisme à cultiver. Ce qui fascine dans le modèle américain, c’est la construction d’une entité politique assez large, d’un vaste marché. De là à constituer un État-nation d’Europe… C’est difficilement envisageable.


L’Europe a-t-elle toujours donné lieu à un conflit entre élites politiques et peuples récalcitrants ?

Il y eût des tentatives de constitution d’une forme d’imperium européen. L’empire napoléonien en est une. Indéniablement, il fut source d’unité, avec la diffusion du code napoléonien en Europe par exemple. A tel point que ce code a constitué un facteur d’unité nationale en Italie. Il a propagé un certain rapport au politique, au juridique.

Mais ces tentatives sont aussi la preuve qu’une construction de l’Europe par le haut et par la force est vouée à l’échec. L’un des enjeux majeurs aujourd’hui est donc de ramener le discours européen au niveau des citoyens.

Peut-on rapprocher la critique d’un déficit démocratique de l’Europe à la volonté historique de construire une Europe des élites ?

Il est indéniable que la construction européenne est partie de l’initiative des responsables politiques de premier plan, même après 1945. Pourtant, il ne faut pas oublier les étapes de ratification par les parlements des différents pays, les mouvements populaires, l’enthousiasme de la population au sortir de la Deuxième guerre mondiale. Même si aujourd’hui, la construction européenne apparaît comme un mouvement qui suscite la méfiance des citoyens.

Dans les années 1920, le mouvement Paneurope mise sur les élites. Il part d’un constat : les Etats européens ne pèseront sur la scène internationale que s’ils s’allient. L’avenir appartient aux  grands ensembles : les Etats-Unis, les empires russe et britannique, la reconstitution d’un empire asiatique autour du Japon.

D’où des actions à destination des principaux responsables politiques européens. Ce mouvement ne s’adresse pas à la base. C’est un mouvement clairement élitiste. Mais je ne sais pas si on peut aller jusqu’à dire que les écueils actuels sont liés à l’influence du modèle paneuropéen.

Quelle est la leçon qu’on peut tirer de l’histoire de l’idée européenne aujourd’hui ?

S’il y a quelque enseignement qu’on peut tirer de l’histoire contemporaine, c’est qu’il n’y aura plus d’hégémonie d’une puissance en Europe - du moins d'une puissance européenne, puisque les Etats-Unis et la Russie ont organisé l'Europe de 1945 à 1989.

Évidemment, il y a aujourd’hui une influence allemande forte. Mais personne ne pourra exercer seul sa domination. Regardez le dernier sommet européen : un front uni peut faire vaciller la ligne allemande. La construction européenne est toujours une affaire de dialogue et de compromis. La dernière grande aventure hégémonique en Europe, après des tentatives françaises et britanniques avortées, était celle de l’Allemagne nationale-socialiste – et on a vu comment elle a fini. 

Propos recueillis par Ania Nussbaum

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