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Les banques, ces poudrières...
L'heure de penser à des
nationalisations est-elle venue ?
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Face à la crise, de plus en plus de voix s'élèvent en Europe pour réclamer la nationalisation des banques. Pour quelles raisons ? Quelles conséquences ? Le point avec Henri Lepage et Jacques Sapir.

Devrait-on nationaliser les banques ?

Henri Lepage : Nationaliser les banques ? Je suis littéralement sidéré de voir ressortir une vieille lune de ce type. Je n'ai pas souvenir que le dernier épisode de ce genre ait été si brillant pour refaire ce dont on a déjà fait l'expérience il y a trente ans.

Mais, me dira-t-on, c'est pour la croissance... pour donner à l'Etat les moyens de nous sortir du marasme dans lequel nous sommes plongés depuis le déclenchement de la Crise. S'il est question de vieilles lunes, celle-ci est encore plus ancienne. Nous voilà revenus aux plus beaux temps des idéologies planistes. Comme si, au XXIème siècle, à l'ère d'internet, des réseaux et de la société de la connaissance on pouvait encore se laisser piéger par des contes à dormir debout où le salut nous viendrait  de l'expertise éclairée accumulée dans le cerveau de quelques gens, aussi méritoires soient-ils, dont les fonctions (et les diplômes, n'oublions pas) nous garantissent que « eux savent » ce qu'ils conviendrait de faire. Je sais bien qu'il est de bon ton aujourd'hui de célébrer une innovation bien française, le Minitel, un magnifique produit de la technologie d'Etat – mais qui avait tout faux quant à l'idée de ce vers quoi nous guidaient les nouvelles technologies. Un tel retour en arrière ne peut que laisser pantois !


Jacques Sapir : La situation actuelle des banques européennes, et donc françaises, incite à penser qu’une nationalisation, même provisoire, pourrait s’avérer une option.

Pour quelles raisons ?

Jacques Sapir : Rappelons les faits. Les banques sont régulièrement aidées par la Banque Centrale Européenne depuis fin 2007. Elles ont bénéficié d’aides multiples dont les dernières sont les prêts de 1000 milliards d’euros pour 3 ans à un taux d’intérêt de 1%. Mais, loin de financer l’économie réelle, qui voit ses encours de crédit se contracter depuis plusieurs mois, elles ont utilisé ces liquidités obtenues à bon marché pour prêter aux États, à des taux largement supérieurs à 4%, mais aussi pour spéculer sur les marchés des produits dérivés et des matières premières. De fait, elles ont largement abandonné leur fonction principale : assurer la jonction pour les agents économiques (entreprises et ménages) entre des dépenses présentes et des revenus futurs. Or, cette jonction est essentielle au bon fonctionnement d’une économie monétaire qui, si tous les agents économiques devaient payer comptant leurs dépenses, se contracterait de manière considérable. Ce serait l’équivalent d’un retour à une économie de troc.

C’est d’ailleurs au nom de la prévention de ce risque que les États sont, directement ou indirectement, venus au secours des banques lors des différentes crises de liquidité que nous avons connues depuis l’automne 2007. Or, une fois sauvées, les banques n’ont pas joué le jeu. Leur attitude aujourd’hui met en péril la survie de dizaines de milliers de PME et de PMI, représentant environ 350 000 emplois.

Les banques ont en réalité privilégié leurs actionnaires, mais aussi la frange supérieure de leurs salariés (directeurs et autres traders) par rapport à leur fonction. Dit autrement, cela signifie que ni les actionnaires ni les directeurs (salariés) de ces banques n’ont accepté une diminution de leurs revenus, voire de « prendre leurs pertes » en conséquences des risques excessifs qu’ils avaient pris avant 2007. Ainsi, les banques européennes ont distribué 18 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires en 2011.

En fait, la situation du système bancaire illustre ce qu’en théorie économique on pourrait appeler un « hold-up » des « insiders » (les actionnaires et le personnel dirigeant) au détriment de la fonction économique globale que ce système devrait jouer.

Il s’agit du produit d’un défaut de gouvernance au sens large, qui permet à quelques individus de prendre en otage l’ensemble des acteurs de l’économie. La réponse proposée par la théorie économique face à ce type de comportement est claire : redonner le pouvoir au plus grand nombre. Ceci passe, très concrètement, par le bras armé de l’État et par la nationalisation, ou plus précisément par la réquisition, des banques.

Henri Lepage : Peut-être s'agit-il tout simplement de punir les banques et les banquiers pour tout ce que nous subissons depuis le déclenchement de la crise : la peur du lendemain, l'incertitude de l'avenir, le stress du chômage, la dégradation du pouvoir d'achat... Mais pour les punir, encore faudrait-il qu'ils soient coupables. Beaucoup en sont convaincus. Les adeptes de la théorie du complot sont toujours aussi nombreux. Quand tout va mal, il faut des bouc-émissaires. Banques et banquiers font admirablement l'affaire. N'est-ce pas l'appât du gain, mû par une compétition malsaine et débridée, qui les a conduit à prendre des risques insensés dans lesquels, en temps normal, un homme normal n'aurait jamais accepté de s'engager ?

Banques et banquiers ont certes joué un rôle clé dans l'engrenage des processus qui ont mené à la crise. Aujourd'hui encore, qui profite en premier lieu des milliards d'euros que l'Etat engage, au nom des contribuables, pour éviter que les affres des Trésors impécunieux n'entraînent l'ensemble de l'Europe dans une abominable crise de solvabilité systémique, la « cata des catas » ? Trop grosses pour faire faillite, nos banques ne sont-elles pas les premières à bénéficier de la sollicitude de nos pouvoirs publics ? Soldat Ryan, nous voilà ! La nationalisation ne constituerait-elle pas un juste retour des choses ? Une juste sanction ?

Mais de là à les transformer en responsables de tout ce qui arrive, il y a un univers qu'on ne saurait décemment franchir. On nous raconte qu'aux temps anciens, les pharaons d'Egypte avait pour habitude de mettre à mort les messagers par qui arrivaient les mauvaises nouvelles. Notre comportement d'aujourd'hui n'est guère différent. Que nos banques se soient ennivrées dans les délices de profits facilement réalisés grâce à des effets de leviers insensés, aucun doute.  Mais la responsabilité en incombe d'abord et avant tout à l'invraisemblable climat de facilité monétaire qui, depuis des années, et sur la base de fausses théories diffusées par de faux économistes plus soucieux de plaire à leurs maîtres que de servir véritablement la science (et leurs concitoyens) pollue l'ensemble de l'économie occidentale. Si vous cherchez des responsables, adressez-vous d'abord aux banques centrales et à tous ces apprentis sorciers qui croient que c'est aux experts ou, mieux encore, aux politiques qu'il appartient de définir le cheminement économique « optimal » vers le nirvana (jamais atteint) d'une croissance dite « équilibrée ». Les banques et les banquiers ne sont, dans un tel environnement, que les courroies de transmission par qui transitent les impulsions fatales générées par de mauvaises institutions, ils n'en sont pas la cause.

Quelles seraient les conséquences des nationalisations ?

Jacques Sapir : La différence entre une réquisition et une nationalisation vient de ce que l’État, dans le premier de ces cas, prend le pouvoir mais pas la propriété. Il n’a donc pas à rembourser les actionnaires.

Une réquisition s’impose aujourd’hui pour réorienter les banques vers ce qui devrait être leur métier principal, et pour obliger les actionnaires à prendre les pertes qu’ils ont jusqu’à présent refusé d’honorer. Des administrateurs publics seraient ainsi nommés, par un décret de réquisitiondu gouvernement pour administrer les banques pour une période de six mois. C’est sans doute le seul moyen d’empêcher l’hémorragie d’emplois qui attend la France dans les 6 prochains mois.

Mais, cette réquisition n’est qu’une mesure provisoire. Elle ne préjuge pas d’une véritable nationalisation. Cette dernière est nécessaire pour deux raisons.

Il faut tout d‘abord, modifier les règles de gouvernance interne des banques – en particulier les normes de rémunération des traders et du personnel de direction - et cela seul le « propriétaire » le peut. De même, pour effectuer la séparation entre les activités de dépôts et les activités spéculatives, séparation qui est aujourd’hui prônée sous des formes différentes tant par la Commission Volcker aux Etats-Unis et que par le rapport Vickers en Grande-Bretagne, une nationalisation limiterait les effets de lobbying que les banques sont en train d’organiser. Il est d’ailleurs frappant de constater que ce sont des pays où, pourtant, l’activité bancaire est plus importante que dans le nôtre qui montrent la voie en matière de réformes.

Ensuite, et une fois le travail fait, il est bon que la puissance publique conserve une partie des banques afin de constituer unpôle public du crédit qui, appuyé sur un refinancement à bas prix par la Banque Centrale Européenne, permettra de financer les investissements de longue durée des entreprises et des ménages.

La nationalisation des banques, qui serait précédée de leur réquisition immédiate, aurait ainsi deux objectifs, l’un conjoncturel – et, une fois atteint, certaines de ces banques devraient être re-privatisées, l’autre structurel, entraînant la présence d’un secteur bancaire public non négligeable pour l’avenir.


Henri Lepage : Autre justification à la mode : nationaliser les banques permettrait de remettre tous les compteurs à zéro et de repartir définitivement du bon pied. C'est la solution qu'a expérimenté la Suède dans les années quatre-vingt-dix lorsque, suite à une énorme bulle immobilière (dont nous avons d'ailleurs ressenti les effets en France à la même époque, mais de manière plus atténuée) son système bancaire s'est retrouvé dans un état de quasi faillite qui menaçait de dégénérer en crise systémique généralisée. L'Etat a pris l'initiative de recapitaliser directement les banques dont il avait exproprié les actionnaires. Puis ayant  ainsi restructuré les bilans, assuré les regroupements nécessaires, fait le tri entre les bons et les mauvais actifs – regroupés aux frais des contribuables dans une structure de defeasance publique -, il a rendu les banques ainsi assainies au secteur privé en prenant l'initiative de les reprivatiser. Ce fut incontestablement un succès, dont les suédois ne sont pas peu fiers.

C'est effectivement une solution de dernier recours, le moyen qui s'imposerait sûrement si, demain, il fallait à tout prix éviter le déclenchement d'une crise systémique imminente. Mais avons nous, en France, un marché politique suffisamment mûr et sérieux pour imaginer qu'un gouvernement s'engage dans une vaste manœuvre de nationalisation temporaire fondée sur l'engagement irrémédiable de reprivatiser dès que possible ? Il est permis d'en douter. Nous sommes encore loin de pouvoir nous parer des vertus d'une sociale-démocratie à la nordique, n'en déplaise à notre nouveau « Président normal » !

La grande question est de savoir comment répondre aux besoins de recapitalisation des banques, mais aussi d'assainir les bilans en éliminant les mauvais risques. Une technique consiste à laisser les équipes en place faire le travail, sous la double contrainte des urgences et de la concurrence – quitte à les aider en demandant aux pouvoirs publics ou à la banque centrale de leur prêter les capitaux nécessaires qui ne peuvent plus être levés sur les marchés en raison même du mauvais état des bilans et des trésoreries. L'inconvénient est que cela revient à soutenir financièrement ceux-là mêmes qu'on rend responsables de la situation à laquelle on cherche à échapper.

Propos recueillis par Franck Michel et Olivier Harmant

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