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Les Etats-Unis d'Europe sont-ils vraiment notre avenir ?
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Non ou oui ?

Alors que les dirigeants européens se sont réunis jeudi et vendredi dans le cadre d'un sommet au scénario inattendu, les appels en faveur d'un fédéralisme européen se multiplient. Mais nombre de réalités viennent se heurter au rêve des "États-Unis d'Europe" de Victor Hugo... 1er épisode de notre feuilleton consacré à l'Europe politique de demain.

Christophe  Bouillaud et Pascal Fontaine

Christophe Bouillaud et Pascal Fontaine

Christophe Bouillaud est professeur de science politique à l’Institut d’Etudes politiques de Grenoble depuis 1999.

Pascal Fontaine est directeur honoraire au Parlement européen, professeur à l’École Normale Supérieure et à l’Institut d’Études Politiques de Paris.

Il est l'auteur de L'Union européenne : Histoire, institutions, politiques, paru en mai 2012 aux éditions Points Essais

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A (re)lire, les autres articles de notre série :

Épisode 2 : Imaginer des "États-Unis d'Europe" sur le modèle américain : une pure hérésie !

Épisode 3 : Le grand cimetière des avancées perdues de la construction européenne

Épisode 4 : De quelles unions du passé, l’Europe pourrait-elle s'inspirer pour sortir de l’ornière ?

Les « États-Unis d’Europe » vont-ils venir couronner l’aventure européenne ? On pourrait le croire au vu des résultats du dernier sommet européen.

Pour assurer l’irréversibilité de la monnaie européenne, il va bien falloir en passer par une mise en commun des décisions budgétaires des États membres de la zone euro, par une solidarité financière de fait entre États de cette dernière, et sans doute à terme par une pratique réellement fédérale de la part de la Banque centrale européenne.

On ne serait donc pas loin de toucher au but. On peut toutefois s’interroger. En effet, bien des conditions d’une telle fédéralisation ne semblent pas remplies.

Le sommet européen de jeudi et vendredi est-il selon vous un succès ou un demi échec ?

Christophe Bouillaud : Le plus logique du point de vue des problèmes économiques rencontrés dans la gestion de la zone euro semble de créer une « Fédération de la zone euro ». Or cette dernière possèderait un périmètre totalement déconnecté de quelque sentiment spécifique que ce soit d’appartenance qui se différencierait, ne serait-ce qu’un peu, de l’Europe en général.

On peut se sentir, ou non, attaché à l’Union européenne ; on peut vouloir conserver l’euro comme monnaie - ce qui semble bien être le cas de la majorité des Européens concernés -, mais peut-on se sentir attaché à une Fédération de l’euro, dont les contours ne possèdent aucune justification du point de vue symbolique, historique, moral. En pratique, une Fédération de l’euro voudrait dire que les Français ou les Allemands seraient plus prêts à partager des éléments essentiels de leur souveraineté nationale avec les Slovaques et les Estoniens qu’avec les Tchèques et les Lettons.

Je défie pourtant quiconque de trouver une raison censée à une telle priorité accordée aux uns sur les autres. Si la zone euro gardait son périmètre actuel, la Fédération de la zone euro aurait donc une ampleur géographique sans aucune symbolique possible, sans aucun précédent historique, surtout sans autre projet commun que le sauve-qui-peut face à la crise des dettes publiques. Saurait-on mieux dire alors que l’euro resterait définitivement un projet économique, dépolitisé, technocratique ? Certes, on peut imaginer que, conformément aux traités européens déjà signés, tous les États membres de l’Union européenne qui s’y sont engagés rejoignent à terme la zone euro. Or, vu la faible justification économique que la plupart des économistes lui accordent désormais, on peut sérieusement douter que d’autres gouvernements soient tentés de la rejoindre. Si, en plus, la zone Euro se met à souffrir d’une « décennie perdue » à la japonaise, alors que les autres États européens en viennent eux à sortir réellement de la présente crise économique, la Fédération de l’euro n’aura guère de pouvoir d’attraction sur les autres États membres.

Pascal Fontaine : Déception pour ceux qui désiraient un agenda clair et volontariste pour plus d'intégration, satisfaction pour les pragmatiques qui tiennent avant tout à calmer les marchés et éviter la descente aux enfers des pays les plus endettés. Sur le temps long, la construction européenne progresse irrésistiblement, même si elle donne trop souvent l'impression de piétiner dans des palabres.

Que pensez-vous de l'amorce d'une fédéralisation en Europe, qui pourrait mettre de côté tout ou partie des attentes des populations ?


Christophe Bouillaud :
Tous les grands partis politiques au niveau européen (chrétiens-démocrates et conservateurs, libéraux, socialistes, écologistes) se déclarent au fil de cette crise en faveur d’une telle évolution fédérale, en particulier par la voix de leurs leaders au sein du Parlement européen. Les partis nationaux rattachés à ces grandes fédérations transeuropéennes peuvent certes être plus ambigus en pratique, surtout lorsqu’ils sont aux affaires de leurs pays respectifs, mais il n’aura cependant échappé à personne que les gouvernants, issus de ces mêmes partis dominants la scène européenne, semblent craindre comme la peste de prendre des décisions qui les contraindraient à consulter par référendum leurs électeurs sur les évolutions à venir de l’Union européenne.

Les référendums de 2005 en France et aux Pays-Bas restent dans toutes les mémoires : malgré un fort consensus partisan en faveur de la Constitution européenne, des acteurs minoritaires ont réussi à rassembler des majorités d’électeurs pour refuser les évolutions jugées néfastes qu’elle incarnait à tort ou à raison. En effet, avec le référendum, la masse silencieuse des électeurs qui n’approuve pas nécessairement la perte de souveraineté nationale de leur État au profit de l’Union européenne, qui ne trouve en temps ordinaire que des partis extrémistes pour exprimer son désarroi face à l’évolution de l’Union européenne, peut trouver l’occasion de se compter, de se découvrir plus nombreuse qu’elle ne croyait l’être, de bloquer même un temps les processus considérés comme nécessaires par les gouvernants.

La crise économique en cours n’arrange rien de ce point de vue, et il n’est que de voir apparaître des discours directement hostiles à l’euro dans un pays comme l’Italie, à l’opinion publique pourtant solidement pro-européenne depuis les années 1970, pour se rendre compte de l’ampleur du hiatus qui s’approfondit entre une partie des populations et les dirigeants attachés à sauver à tout prix l’euro en le dotant d’une fédération.

Les rédacteurs de la feuille de route que nous promet le Conseil européen tiendront-ils à l’esprit ces quelques conditions préalables à une avancée fédérale de l’Union ? On peut encore l’espérer.

Pascal Fontaine : La nécessité historique d'adapter nos anciennes nations aux nouvelles conditions du monde est une dure réalité pour des gouvernants souvent enfermés dans leur dogme de la souveraineté nationale.

"Encore un moment, Monsieur le bourreau", semblent-ils dire soixante années après que le plan Schuman ait lancé la perspective révolutionnaire d'une Fédération démocratique transeuropéenne.

La première Communauté concentrée sur la mise en commun du charbon et de l’acier, a été possible en 1950 parce qu'elle touchait des domaines limités et opérait des transferts de pouvoirs qui n'allaient pas au cœur des Etats.

Quatre ans plus tard, en 1954, en s'attaquant au domaine militaire, la Communauté européenne de défense (CED) cala devant la résistance du parlement français. Mais la dynamique européenne rebondit peu de temps après: la CEE, en se limitant au domaine économique, fut bien acceptée par les gouvernements et les opinions. Le succès du Marché Commun dans les années soixante, puis celui du marché unique de 1992 profita largement au consommateur et aux entreprises. Un progrès en entrainant un autre, il apparut à la fin des années quatre vingt, qu’un grand marché ne pouvait être optimalisé sans monnaie unique. L’Euro lancé en 1999 créa la douce illusion que chacun pouvait emprunter à des taux privilégiés, sans qu'une autorité économique commune ait le pouvoir de corriger les asymétries macro économique.

La gigantesque crise des subprimes américains en 2008, suivie de la forte récession dont nous souffrons encore nous amène aujourd'hui à envisager de sortir par le haut du marasme: une Union bancaire, budgétaire et politique s'impose si l'on veut éviter l'éclatement de la Zone Euro et l'abaissement de l'Europe qui s'en suivrait.

Mais où est aujourd'hui la fraternité d’armes qui justifie l’acte de se fédérer ?


Christophe Bouillaud :
On compare souvent la situation actuelle à celle des États-Unis au début de leur existence, quand les 13 États acceptèrent de mettre en commun leurs finances pour rembourser les dettes contractées, chacun de leur côté, pour financer la guerre d’Indépendance.

La comparaison peut aussi rappeler que, justement, quand les États fédérés acceptent cette perte de souveraineté financière, ils le font dans un contexte où l’existence d’un ennemi est claire. De même, quand les États yougoslave et tchécoslovaque se formèrent au sortir de la Première Guerre mondiale, est-il nécessaire de souligner qu’ils n’étaient pas sans ennemis ?

Si l’on remonte plus avant dans l’Histoire, force est de constater que, lorsque des entités territoriales souveraines s’allient dans une ligue, une fédération, une alliance durable, c’est presque toujours contre la menace d’une autre entité souveraine. Pour l’instant, l’Union européenne n’a pas d’ennemis, elle n’a très officiellement dans le monde que des partenaires. Vu l’état gazeux de la politique étrangère commune, on ne voit pas bien ce qui pourrait faire sortir l’Union de son indétermination en la matière. De fait, contrairement à l’époque de la Guerre Froide, les menaces d’aujourd’hui restent abstraites et diffuses - la mondialisation, la finance, le déclin relatif face aux pays émergents -, mais ne justifient guère un pacte fédératif contre un ennemi, au sens ordinaire du terme.

Pascal Fontaine : La crise de confiance actuelle entre la France, qui veut commencer par la relance, et l'Allemagne posant en préalable l'équilibre budgétaire, ne sera pas résolue en un Conseil Européen. La confrontation des modèles qui est en jeu traduit ce processus original et finalement fructueux qui caractérise la construction européenne: elle avance en crabe, se cherche, et fabrique des compromis dont la somme constitue l'acquis communautaire.

Jean Monnet se réjouissait des crises. Celles-ci lui apparaissaient comme le signe du changement. L'Europe est avant tout une construction continue, ce qui en fait un fascinant projet de civilisation.

En dépit des apparences, la vision de États Unis d'Europe dessinés par Victor Hugo en 1849, est en voie de se concrétiser. L’impératif catégorique est maintenant d'en convaincre les citoyens.

Propos recueillis par Franck Michel

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