Faut-il vraiment se réjouir de la progression du taux de dénonciations anonymes en France ?<!-- --> | Atlantico.fr
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En France, les dénonciations en matière fiscale augmentent de plus en plus.
En France, les dénonciations en matière fiscale augmentent de plus en plus.
©Flickr / bookgrl

Trois petits singes...

Le taux de dénonciation en France progresse ostensiblement, du moins en matière fiscale. Véritable geste citoyen ou facteur de destruction de la société ? Retour sur une possibilité controversée offerte à tous les citoyens...

François Tripet

François Tripet

François Tripet est avocat fiscaliste.

Avocat au Barreau de Paris depuis 1978, il est essentiellement un " patrimonialiste international " qui, avec son équipe, apporte son concours et son assistance à plus d'un millier de familles réparties sur les cinq continents.

François Tripet est l'auteur de l'ouvrage de réference "Droit Fiscal Francais et Trusts patrimoniaux Anglo-saxons " ( LITEC, 1989 )

Voir la bio »

La presse s'est fait récemment  le relais des réjouissances du Directeur de TRACFIN ( l’organisme qui recueille les dizaines de milliers de déclarations de soupçons de blanchiment d’argent ) et de la Cour des Comptes, constatant une sensible « amélioration » du taux de dénonciation en France et appelant à de nouvelles actions de sensibilisation à grande échelle .

C’est l’occasion de faire le point sur la « dénonciation », nouvelle vertu cardinale des Démocraties Modernes !

Faut il  en effet, coûte que coûte, enclencher un vaste mouvement pédagogique afin d’éduquer les foules à améliorer leurs performances dénonciatrices ?

C’est peut être un peu vite oublier que la dénonciation participe d’un cycle dont le point de départ est toujours avantageux tandis que le point d’arrivée est toujours odieux.

Du reste les racines latines du mot le confirment : « de + nuntiare »  signifie   « faire apprendre à tout prix » d’où l’on a tiré l’acception  «  faire connaître » (en ce sens : « dénoncer un traité, c’est faire connaître que l’on désire ne plus en être partie » ; ou encore  « dénoncer une opposition au débiteur saisi », c’est lui faire connaître ce qu’il doit savoir).

Cependant, à force de « faire connaître » ou de « faire savoir », on ne se préoccupe plus du point de savoir pourquoi il faut faire connaître ce qui ne l’était pas : seul compte l’acte de révélation. Autrement dit, on ne se soucie guère de celui qui, connaissant l’information, n’avait pas jugé  opportun de la révéler : on passe outre ses réticences, peu important qu’elles soient légitimes ou peu avouables, en sacrifiant à l’acte irrépressible de la révélation. D’où la naissance de la seconde acception du mot : dénoncer devient synonyme de « trahir » («en ce sens : « Jean Moulin a été dénoncé par des collabos », ou bien « petit Gibus n’a pas voulu dénoncer ses copains de classe »).

C’est ainsi que se forme le cercle fatal de la « dénonciation » : au départ, chacun trouve avantage à devenir le héraut par qui l’information est révélée, trouvant sinon naturel du moins positif de faire connaître au plus grand nombre ce qu’il sait ,tant il est vrai que l’homme est un animal social qui se nourrit de l’échange, donc de l’information. Mais à l’arrivée, la révélation de l’information n’est le plus souvent que le substrat d’une trahison : on s’est empressé d’oublier que l’information n’est pas comme l’air que l’on respire, un bien commun qui appartient à tous et qu’il faut s’empresser de faire partager entre le plus grand nombre .l’information est un fait qui appartient à celui qui l’a isolé pour lui donner consistance . La révéler, sans l’autorisation de celui qui lui a donné consistance, c’est le trahir.

On objectera que trahir celui qui pourrait être un criminel  participe d’une révélation « utile » à tous. Cependant, celui qui se prévaut de cette excuse, devient nécessairement juge du point de savoir si celui qui a été trahit était bien un criminel. Autrement dit, toute dénonciation serait une trahison acceptable dans la mesure où il est toujours préférable de condamner un innocent que de laisser échapper un criminel.

Cette conviction, lourdement ancrée dans les gènes du genre humain, vient de ce que l’homme reste un mystère pour l’homme : tout voisin est un inconnu relatif en sorte que sa part de mystère est un danger potentiel que seul l’Amour – ce sentiment de confiance si inhumain et si rare- peut réduire. En d’autres termes, répandre l’information, y compris et surtout en trahissant celui qui la détenait secrète, c'est-à-dire en le dénonçant, conduit à réduire l’angoisse de celui qui s’y livre  en ce sens que le mystère diminue à proportion de ce que les faits cachés sont révélés.

On devrait pouvoir se réjouir d’un tel constat : dénoncer son prochain diminue mécaniquement notre anxiété au point que tout le monde dénonçant tout le monde, la société devrait pouvoir devenir sereine et apaisée. L’homme n’étant plus un loup pour l’homme, chacun deviendrait semblable, sinon « transparent », au point que toute différenciation disparaîtrait. On pourrait alors légitimement proclamer la fin de toutes civilisations, lesquelles ne prospèrent que sur le terreau de l’altérité.

Et pourtant ! Il n’existe pas un seul être humain sur notre planète qui est prêt à adhérer au projet d’une telle parousie ! L’uniformité, la monotonie, l’ennui lui sont bien plus insupportables que son anxiété. Il veut bien la mort du voisin mais pas celle de l’humanité et donc fatalement la sienne ! Il veut bien diminuer son anxiété mais pas au point de vivre dans une société fondée sur la peur « de ne pas dénoncer » !

Finalement, il veut bien « dénoncer » c'est-à-dire faire partager ce qu’il sait, et non pas « dénoncer », c'est-à-dire trahir celui auprès duquel il a volé l’information.

Cet être humain, c’est-à-dire vous ou moi, commence tout juste à réaliser que de pervers bureaucrates tentent depuis quelques temps de le faire participer à une entreprise de destruction de la société dans laquelle il vit et de la civilisation à laquelle il appartient.

Avant peu, il réalisera que sous le prétexte - ô combien fallacieux ! -  de pourchasser les criminels, c’est toute la société que l’on criminalise  au point qu’il ne restera plus bientôt, comme Georges Orwell l’avait prédit, qu’un seul être pur sur la surface de cette planète : Big Brother !

N’attendons pas de Monsieur le Directeur de TRACFIN ou des honorables membres de la Cour des Comptes qu’ils réalisent qu’avec quelques autres bureaucrates, ils participent avec une féroce insouciance à la criminalisation toute entière de notre société : cette prise de conscience serait aussi prématurée pour eux que pouvait l’être la conscience des cardinaux débattant, au Concile de Mâcon en 585, du point de savoir si les femmes avaient une âme.

Contentons nous pour l’instant de relire l’article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, selon lequel la résistance à l’oppression est un droit sacré et imprescriptible .

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