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La fête, seul horizon commun
de la jeunesse du 21ème siècle
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Pump it up !

Si les jeunes ont toujours fait la fête, parfois avec excès, il existe aujourd'hui une distance entre la société des jeunes et celle des adultes qui va en s'accentuant. Toujours plus autonomes et livrés à eux-mêmes, les jeunes s'inventent de nouveaux "rites initiatiques" par lesquels ils vont s'éprouver et se sentir exister, pour marquer leur passage à l'âge adulte. Pour le meilleur et pour le pire...

Anne Petiau

Anne Petiau

Anne Petiau est chargée de recherche et responsable des études à l’Institut de Travail Social et de Recherches Sociales.

Son dernier ouvrage, Technomedia. Jeunes, musique et blogosphère, est paru en 2011 aux éditions Mélanie Séteun.

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Atlantico : Deux jeunes de 22 ans viennent d'écoper d'un an de prison, dont 6 mois ferme, pour avoir reproduit le scénario du film "Project X" en saccageant une villa inoccupée lors d'une fête dans le Var. Les organisateurs ont lancé une invitation sur Facebook précisant : "C'est no limit. Venez avec bouteilles. Possibilité 1 200 personnes." Les fêtes des jeunes d'aujourd'hui riment-elles avec "excès", "délires" et "débordements" ?

Anne Petiau : De tout temps les jeunes ont fait la fête. Avec les excès que cela comporte... En revanche si l'on regarde à très long terme, on peut observer une différence de taille : les jeunes font la fête de façon beaucoup plus autonome qu'avant. Ils ont leur propre cercle culturel, leurs propres pratiques au sein d'un groupes de pairs. Cette autonomie est de plus en plus forte et s'acquière de plus en plus tôt, alors qu'à une époque très éloignée de la nôtre, les pratiques des jeunes étaient moins éloignées de la sphère des adultes. Il existe aujourd'hui une distance entre la société des jeunes et celle des adultes qui va en s'accentuant.

Bien avant notre époque - on peut même remonter à des sociétés "primitives" - il existait des rites pour faire passer les enfants à l'âge adulte.  Il pouvait s'agir d'épreuves, d'actes rituels comme se faire tatouer ou bien être éloigné de la sphère familiale pendant un temps. Dans nos sociétés modernes, tous ces moments qui faisaient avancer les enfants vers l'âge adulte sont de moins en moins organisés par les adultes. En l'absence de ces rites là - qui sont très importants puisqu'ils permettent de passer d'un âge à un autre - les jeunes se les recréent eux-mêmes : ils organisent tout un ensemble de petits rites par lesquels ils vont s'éprouver, se sentir exister etc.

Le fait divers que vous évoquez peut renvoyer à plusieurs choses. Certes, c'est le résultat d'une pratique festive qui a dégénérée, c'est évident. Mais c'est aussi emblématique de l'un de ces petits rites que les jeunes se bricolent, par lesquels ils se testent et dépassent les limites. Comme ils ne sont plus organisés par les adultes, les jeunes les organisent eux-mêmes, de façon plus ou moins heureuse...

D'un autre côté, à partir du moment où les choses se passent en groupe, c'est qu'il existe une forme de régulation, propre à ce groupe. Si on prend l'exemple des raves parties et des technivals - qui sont une forme de fêtes excessives, qui durent des jours avec des consommations de drogues - on va voir se former des groupes d’auto-support qui vont "former" les fêtards sur les drogues, sur les risques d'overdose etc. Ce qui montre que les groupes - même dans l'excès - sont capables de réguler leurs pratiques.

La façon dont les jeunes font la fête en 2012 n'est donc pas si différente de la façon dont ils faisaient la fête en 1990 ?

Je ne pense pas effectivement que ce soit très différent. Sauf que les jeunes ont encore plus gagné en autonomie depuis 20 ans. D'autre part, la jeunesse "rajeunit" si l'on peut dire : avant les années 50 / 60, ce qui n'est pas si vieux que ça, les jeunes quittaient le foyer familial très tôt pour se marier et fonder leur propre famille (à part pour certains privilégiés). En France, au début des années 60, le temps de scolarité a augmenté de façon significative. Ont alors commencé à émerger des cultures jeunes et des pratiques festives proprement juvéniles. Depuis cette période, le phénomène n'a fait que s'accentuer. Aujourd'hui la culture jeune est quelque chose de tout à fait banale. Quand on a commencé à voir apparaître des rockeurs au début des années 60 c'était complètement atypique. Maintenant on à l'habitude de voir des skateurs, des raveurs etc.

Par ailleurs, les pré-ados ont des pratiques très proches de celles des adolescents. Les excès peuvent parfois venir de ces très jeunes qui font la fête presque de la même manière que les ados de 16 / 17 ans. C’est un changement assez récent qu'on peut dater des années 90.

 C'est sans doute dû à une évolution de l'éducation et des valeurs : aujourd'hui on valorise beaucoup l'autonomie des enfants. De plus, nous vivons dans une société où le message sous-jacent est "chacun doit se réaliser soi-même, être soi-même et authentique". Les jeunes ne sont pas exempts de cette injonction et cherchent tout naturellement à la mettre en pratique. En 2012, les jeunes cherchent à exister par eux-mêmes, en dehors de la famille, dès les années collège.

Faire la fête dans un "bus discothèque", sortir en boîte dans une patinoire, ravager une maison... Les jeunes semblent chercher l’originalité avant la fête elle-même...

Chaque génération va chercher sa propre manière de faire la fête : il s'agit pour eux de se différencier de leurs aînés en général, et de leurs parents en particulier. En inventant notre propre façon de faire la fête on crée un sentiment presque aristocratique en tenant à l'écart ceux qui ne font pas partie du groupe, ceux qui ne sont pas dans la confidence.

Beaucoup de chansons de rappeurs ou de groupes de musique comme les Black Eyed Peas, Pitbull, ou LMFAO sont consacrées intégralement à la fête. Ces chanteurs en font l'apologie et présentent presque la fête comme un art de vivre. Est-ce révélateur d'une époque ?

C'est dans les thèmes de la fête, de la musique, de la culture, de l'émotion que les jeunes se retrouvent. C'est intemporel. Ces émotions permettent aux jeunes de se construire, à travers des expériences parfois extrêmes. Ils testent des extrêmes, par le biais de la destruction dans le cas des jeunes qui saccagent une maison. A chaque moment de notre vie nous avons besoin de nous retrouver autour d'émotions ou d'expériences communes. Les adultes qui boivent un apéritif en terrasse ou qui vont à un spectacle ensemble sont dans le même type de relation.

Certes les jeunes se retrouvent dans des pratiques plus extrêmes, mais ils n'ont pas beaucoup d'autres sphères qui leur permettent de se réaliser ou de se montrer responsables.La fête, ce n'est pas seulement des rave parties ou des beuveries : beaucoup de jeunes organisent des concerts, des spectacles etc. Ils prennent en charge des démarches artistiques qui sont justement encouragées par toutes les chansons dont vous parliez. La fête est à la fois un espace de déresponsabilisation, de transgression, mais aussi d'investissement. Un bon exemple : les apéros Facebook. D'un côté les jeunes vont se saisir des réseaux sociaux pour s'organiser de manière autonome. Et le résultat est parfois complètement dans l'excès. Ce paradoxe illustre bien le rapport des jeunes à la fête.

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